Le metteur en scène et ex-directeur du théâtre de la Manufacture à Nancy, Michel Didym, est accusé de viol. Il est ressorti libre de sa garde à vue. L'enquête préliminaire ouverte par le parquet de Nancy se poursuit. Nous avons recueilli d'autres témoignages sur son comportement souvent inapproprié.
“Si je me tais, ça met en danger d'autres personnes”. C'est dans le journal Libération et uniquement chez nos confrères, qu'Alice (1) a choisi de s'exprimer, après plusieurs années de silence. Elle y décrit cette journée du 23 novembre 2020 où elle décide d'alerter le procureur de la République de Nancy : “Dans ce courrier de cinq pages, elle accuse Michel Didym, comédien, metteur en scène renommé et ancien directeur du théâtre de la Manufacture à Nancy, de l'avoir violée...”.
“Chaque détail de cette soirée de 2012 est retranscrit sur le papier : un rendez vous sous un prétexte professionnel, une soirée dans l'appartement nancéien de l'homme de théâtre, les verres de vin rouge qui s'accumulent au fil de la soirée et la chambre où il l'aurait emmenée pour lui “faire un massage” avant de la violer. Je sens ses doigts qui se rapprochent de mon sexe. Et finalement ses doigts dans mon sexe. Et là, il y a comme un réveil. Il faut que ça s'arrête” rapporte le quotidien.
Il y a un gouffre entre l’article de Libération et les propos de l’enquêteur mercredi dernier.
Au mois d’avril 2021, une enquête est ouverte par le commissariat de Nancy. Mercredi 29 septembre 2021, Michel Didym est placé en garde à vue. Pendant cette même garde à vue, il y a eu une confrontation avec la plaignante qui a duré un peu moins d’une heure. "Chaque partie est restée sur ses positions", explique Philippe Guillemard, avocat de Michel Didym, joint par téléphone vendredi 1er octobre. Ce jour-là, devant les enquêteurs, Michel Didym, selon le procureur de la République, a déclaré "n’avoir eu aucune relation sexuelle avec une étudiante."
La garde à vue est levée dans la soirée de mercredi, après dix heures d’audition. L’enquête en préliminaire se poursuit. "Je suis vraiment très surpris par les éléments qui sont apparus pendant cette confrontation. Nous avons été aussi très surpris de voir que c’était toujours la même personne, qui déjà en 2019 avait distribué des tracts et qui porte plainte aujourd’hui", raconte Philippe Guillemard.
Déjà à la faculté de Metz
Si Alice est la seule personne qui a décidé de porter plainte contre Michel Didym, elle n'est pas la seule à parler. Libération, qui a enquêté plusieurs mois rapporte le témoignage d'autres jeunes filles qui n'ont pas été violées mais qui disent avoir subi des agressions sexuelles de la part de Michel Didym. Depuis la publication de notre premier article (Nancy : l'ex-directeur du théâtre de la Manufacture Michel Didym visé par une plainte pour viol) au mois d'avril, plusieurs personnes se sont également manifestées. Et les agissements de Michel Didym remonteraient très loin selon elles.
J'ai vu Michel Didym mal agir. C'était assez souvent des réflexions sexistes et des gestes déplacés.
Ses cours de théâtre, Jeanne (1) s'en souvient très bien. C'était il y a une quinzaine d'années sur les bancs de l'Université de Metz. Un des enseignants de ce cursus de pratique théâtrale s'appelait Michel Didym. Un cours où il n'était pas seulement question de Molière ou de Shakespeare. Il n'était pas non plus question de mise en scène, de tirade, de dialogue ou de didascalies. “J'ai vu Michel Didym mal agir. C'était assez souvent des réflexions sexistes et des gestes déplacés, affirme l'intéressée, et gare à celles qui osaient se défendre. La brimade était immédiate : il pénalisait les filles qui lui disaient stop en leur donnant des rôles plus que secondaires. Elles n'avaient plus de textes à travailler et se retrouvaient black listées en quelque sorte. Elles n'existaient plus dans son cours.“
Avec d'autres étudiantes, on n'envisageait pas de rencontrer Michel Didym, tard et seule.
Aujourd'hui, Jeanne est comédienne. Le temps est passé par là mais le comportement et les phrases de Michel Didym la hantent toujours. “Avec moi, ça a été plus loin. Il était très proche physiquement et il ne cessait de me répéter que ma carrière pouvait décoller ou s'écrouler en fonction de mon attitude à son égard. J'avais vingt ans mais c'est une autre époque. On se disait “encore un”, “il faut faire avec”. Tout ce qu'on pouvait faire, c'était de prévenir les plus jeunes de faire attention. Avec d'autres étudiantes, on n'envisageait pas de rencontrer Michel Didym, tard et seule. Si les faits avaient lieu aujourd'hui, j'aurais porté plainte. Une amie comédienne m'a même raconté qu'elle avait demandé à un technicien de passer régulièrement et discrètement lors d'une répétition avec lui. Personne n'est étonné de ce qu'on apprend aujourd'hui à son sujet.”
Alcool et mains aux fesses
C'est en 2010 que le comédien et metteur en scène Michel Didym arrive au Théâtre de la Manufacture à Nancy. Une consécration dans cette institution. Il est nommé directeur. Il succède à Charles Tordjman. Entre succès d'estime et même populaire, il obtient une forme de reconnaissance culturelle auprès de la critique et du public local. Mais sa réputation ne se limite pas à son aisance à manier le verbe et la mise en scène.
Quand j'ai vu revenir cette serveuse en courant, je me suis dit qu'il s'était passé quelque chose de pas très net...
Ce soir-là, au Théâtre de la Manufacture, les équipes mais aussi quelques invités triés sur le volet fêtent la première d'un spectacle. Une habitude apparemment dans le métier après plusieurs semaines de travail. Il y a des petits fours et de l'alcool. “Quand j'ai vu revenir cette serveuse en courant, je me suis dit qu'il s'était passé quelque chose de pas très net”, rapporte un des témoins qui souhaite garder l'anonymat. Et pour certaines personnes qui participent à l'évènement, ils assistent finalement à un bien triste spectacle. Michel Didym, le directeur des lieux se permet quelques excès dans cet "after" plutôt surréaliste. “Dès qu'une fille passait près de lui, c'était une main aux fesses. Il insistait“, raconte ce même témoin. “La serveuse qui part avec lui car il lui a promis une visite des coulisses du théâtre et qui revient en courant, franchement, ça pose question, ça met mal à l'aise.”
Le problème, c'est que tout ce qui était aussi visible et évident pour certains, reste tout aussi difficile à se remémorer pour d'autres. "Certains “spectacles” sont faits pour être oubliés. Ces pratiques outrancières et répétées de Michel Didym se déroulaient pourtant “à la vue de tous”, confirme un participant à ces soirées.
Michel Didym, le routard
Pour cette étudiante de l'ENSATT (École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre) à Lyon, la simple évocation du nom de Michel Didym provoque colère et indignation. “Ses propos, actes sexistes et agressions sexuelles étaient de notoriété publique quand il est venu dans l'école nationale où j'étudiais” se souvient-elle, “malgré les plaintes à la direction, rien n'a été fait. Il y a pourtant eu des mains aux fesses.”
Lors de la saison 2015-2016, Michel Didym collabore avec la promo de l'école sur la pièce “Meurtre de la princesse juive". Ce qui devait être un moment de travail et de découverte se révèle une souffrance. ”Merci de mettre la lumière sur cette odieuse personne et ses actes. La honte doit changer de camp. J'ai encouragé mes collègues victimes à se faire connaître et à témoigner.” Pas facile. Malgré #MeToo, le silence reste toujours très pesant au sujet des violences sexuelles dans le théâtre. Entre peur et déni, le milieu reste peu loquace.
L'actuel directeur Laurent Guttman répond qu'“aucun comportement inapproprié de Michel Dydim lors de son intervention à l'école en 2015 ne m'a été rapporté depuis, ni par mon prédécesseur Thierry Pariente, ni par d'anciens élèves, ni par des enseignants, ni par des personnels administratifs ou techniques. Je ne peux donc rien dire, à l'endroit où je suis, qui corroborerait ou contredirait les allégations et plaintes que vous évoquez.”
Depuis son arrivée à la tête de l'école en 2018, Laurent Guttman précise : “la question de la prévention et de la détection des violences en général et des violences sexuelles en particulier dans l'école est au cœur de mes préoccupations.” Une charte a été mise en place.
“Tout le monde savait”
“Le Centre Dramatique National de Nancy, c'était un peu chez lui”, explique ce passionné de théâtre, “La Manufacture, il y était accroché. Le ministère mais aussi les politiques locaux ont eu du mal à s'en débarrasser. Lorsque son mandat est vraiment arrivé à terme, il n'a pas eu le choix. Il est parti et les langues se délient.” A t-il été poussé vers la sortie après dix ans de mandat ? “Les directeurs de centres dramatiques nationaux sont nommés pour un mandat de quatre ans, reconductibles au maximum pour deux mandats de trois ans chacun. Il est également prévu par les textes relatifs au statut des CDN que chaque directeur peut solliciter une année supplémentaire de mandat, si des circonstances particulières le justifient”, explique le Ministère de la Culture. “En août 2018, Michel Didym a sollicité la prolongation d’un an de son mandat qui devait initialement arriver à échéance le 31 décembre 2019. Ni l’Etat ni les autres partenaires du CDN n’avaient connaissance des faits qui lui sont aujourd’hui reprochés, aussi la qualité de sa gestion de l’établissement dans un contexte très contraint a fait considérer qu’un prolongement d’un an de son mandat serait profitable à l’établissement.”
Finalement Michel Didym a cédé sa place à Julia Vidit en janvier 2021.
C'est un fait. Quelques mois après son départ de la Manufacture qu'il a dirigé pendant dix ans, Michel Didym a laissé son empreinte. Beaucoup de louanges sur le plan culturel, mais aussi pas mal de non-dits et un comportement inapproprié. “Tout le monde savait sur ses comportements mais personne ne disait rien”, explique un technicien. “Mais de là à imaginer des choses aussi graves, non !“.
Dans l'article de Libération publié vendredi 1er octobre, Cassandra Leray évoque “plusieurs artistes qui affirment s'être manifestées auprès des instances compétentes. En vain”. A Nancy, elle évoque le cas de Romane qui “assure avoir rapporté à la direction du théâtre de La Manufacture qu'il avait tenté d'embrasser de force une comédienne : “J'ai été reçue par l'administration mais ce n'est pas allé plus loin qu'une discussion. Rien n'a été fait à ma connaissance”. La secrétaire générale du théâtre de la Manufacture, Emmanuelle Duchesne affirme "n'en avoir jamais entendu parler". Elle y exerce la fonction depuis quinze ans.
Je soutiens de façon inconditionnelle les victimes de violences et particulièrement les femmes
Selon nos informations, au théâtre de la Manufacture, Julia Vidit, la nouvelle directrice qui a pris la suite de Michel Didym, affirme en interne vouloir faire en sorte que ce dernier n’ait plus aucun accès aux locaux. En tant qu’ancien directeur, lui et sa compagnie, bénéficient normalement d’un accès facilité pour des résidences. Julia Vidit dit craindre pour ses équipes. Vendredi 1er octobre, elle nous affirme "soutenir de façon inconditionnelle les victimes de violences et particulièrement les femmes. Dans ce cas précis, je n'ai rien à ajouter tant que l'enquête est en cours."
L'enquête se poursuit
Il y a encore quelques semaines, Michel Didym s'affichait en compagnie d'acteurs connus et reconnus. Avec aussi des élus politiques de la région pendant le festival de la Mousson d'été. Un rendez-vous littéraire et théâtral, qu'il a impulsé. Comme si de rien n'était. “Tout le monde sait mais personne ne bfait rien”, analyse un observateur local, “et il n'y pas que le milieu du spectacle qui a choisi le déni.”
Dans une de ses pièces, “Comparution immédiate”, Michel Didym avait transformé la scène en prétoire en permettant au public de juger à son tour la justice de son pays. La pièce avait été saluée et elle avait rencontré un franc succès. Après la plainte pour viol déposée par Alice, à l'issue de sa garde à vue, Michel Didym n'a pas été mis en examen. L’enquête en préliminaire se poursuit. Elle a été confiée à la brigade des mœurs de la sûreté départementale de Nancy.
(1) Les prénoms ont été volontairement modifiés