Nancy : voyage photographique et littéraire à travers des lieux de culte en déshérence

Entre 2012 et 2020, de l'Allemagne jusqu'au Portugal, en passant par le Grand Est de la France et la Nouvelle-Aquitaine, Francis Meslet a photographié à travers l’Europe plusieurs centaines de lieux de culte oubliés. Son dernier livre est un témoignage sans pareil de ces lieux.

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Dans son récent ouvrage, publié en octobre 2020 par les Editions Jonglez et consacré aux "Eglises abandonnées" en Europe, le photographe nancéien, Francis Meslet, a inévitablement glissé plusieurs édifices de la Région Grand Est dont un à Nancy, en Meurthe-et-Moselle.

Afin de protéger ces lieux des visiteurs mal intentionnés, tout comme il est souhaitable de prévenir d’occasionnels curieux des dangers qu’ils peuvent encourir à y pénétrer, l’auteur n'a pas indiqué où ils se trouvent : ni dans les textes, ni dans les images. Ils sont simplement datés et localisés par pays.

Après avoir passé une trentaine d’années, en tant directeur artistique dans la communication, à composer et décomposer images, signes et symboles, impulsant, retouchant ou présentant de plus en plus souvent les images d’autres photographes, il décide en 2009 de revenir à la photographie avec l’acquisition de son premier boîtier numérique : discipline qu’il avait pratiquée quelques années plus tôt.

A l’époque, il pratiquait la course à pied dans la forêt près de chez lui, dans le Pays Haut, ce bassin d’emploi sinistré qui compte plus de friches industrielles que de musées, quand il est tombé nez à nez avec un bâtiment abandonné d’un blanc immaculé. "Une architecture surprenante. Tel un navire échoué au milieu d’une végétation reprenant ses droits", écrit-il dans l’introduction de son voyage photographique et littéraire. "L’ancien sanatorium à l‘agonie affichait ses allures d’une autre époque, la façade traversée de balcons interminables." Il est revenu avec son appareil photo pour explorer cet endroit mystérieux en profondeur et à ramener ses premières images. Le virus était inoculé.

Au bout de quelques mois, ayant fait le tour de ses destinations secrètes, il a élargi le cercle de ses recherches aux pays limitrophes, tout aussi riches en patrimoine industriel abandonné. Sa passion l’a amené à s’intéresser à d’autres types de bâtiments, toujours plus loin de mon point de départ : Luxembourg, Belgique, Allemagne, Hollande, Portugal, Espagne, Italie, Japon... 

"Après dix ans passée à arpenter ces territoires parallèles, de l’autre côté du miroir", nous confie le photographe, "j’ai été frappé par le nombre de lieux de culte désertés par leurs fidèles et davantage encore interpellé par la poésie qui en émanait, de la simple chapelle à la plus haute église."
Dans son premier ouvrage "Mind Travels", paru aux éditions éponymes en 2017, il avait réussi l’expérience de proposer des portfolios de ses photos à des musiciens, artistes du "Label Ici, d’ailleurs". Ces images devaient être leur source d’inspiration pour créer des pièces de musique ambient. Allant bien au-delà de ses espérances, certaines compositions sont devenues des albums et ont pris place dans la collection "Mind Travels" qui compte aujourd’hui une dizaine de références.

Dans "Eglises abandonnées – Lieux de culte en déshérence", qui vient de recevoir une mention d'honneur du prestigieux "International Photography Awards", il ne s’agit plus de mélodies, mais de mots. Il a demandé à une dizaine de personnes (musicien, écrivain, maître de conférences en littérature...) de s’adonner à un exercice de style descriptif. 
 
Texte accompagnant la photographie "Combien de temps"
Au petit jour, les oiseaux se sont arrêtés de chanter, à l’entrée du village le chien s’est mis à aboyer après le ciel, et le renard est sorti de son terrier. Le bruissement des frondaisons agitait l’air sans que le vent y fût pour quelque chose. Une colonne de fourmis rompit le rang. Plus rien ne semblait à sa place. Jusqu’au grand silence qui emplit de peur et de paix l’alentour. Le lézard ne trouva où se cacher. La terre se mit à trembler doucement, régulièrement, dans un même sens, en diagonale, puis de haut en bas plus fermement, plus lourdement. Elle parlait une langue immémorielle, audible et indiscernable. Lorsque ses signes se rendirent rapidement visibles et compréhensibles sans que l’on sache qui la parlait, si ce n’est par ondes successives, on l’écouta sans voir dans quel espace elle se déploierait. Un immense filet de lignes courantes au sol se mit à monter sur les parois des édifices comme une sève secrète s’infiltrant sous une peau seconde, filant plus vite qu’une araignée, creusant des saignées plus larges à mesure que les secousses se rapprochaient. Chaque palais, chaque église parla soudain sa propre langue, inouïe, jamais entendue, qui montrait dans quel corps ils avaient été bâtis. Tous, en leur ossature, vibraient d’une chair distincte. Un puissant saint Christophe portant sur ses épaules le Sauveur resta pris dans une niche du mur. Du très-haut, la lumière perçait à travers le jour ménagé de la toiture effondrée. Les tuiles brisées craquaient sous les pas, les poutres se mêlaient aux bancs de prière. Au côté d’une ampoule suspendue au faîte de l’église, un pan de bois narguait à l’aplomb la pesanteur. Le rituel de la verticalité était-il rompu ?
Le bâton de saint Christophe, qui dépasse largement ses épaules, le porte vers d’autres contrées. Un voyageur, un migrant, un déplacé, tente toujours une traversée. Lui qui porte le monde attend de ficher son bâton en terre pour le voir refleurir. "Partez, partez, je vous retrouverai !"

Frédérique Villemur est écrivaine, historienne d’art et professeure à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier.
 

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