Mercredi 15 septembre a démarré officiellement l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique (DUP) concernant le projet Cigeo à Bure. Les opposants ont prévu plusieurs jours de contestation. Ils espèrent bloquer la consultation et remettre en cause le démarrage industriel du projet.
Peu après la cloche de midi et demie, le président de la commission d’enquête sort de la mairie de Montiers-sur-Saux (Meuse) par une porte dérobée, sous les insultes des opposants. Boucliers au-dessus de la tête, avec des gendarmes mobiles, le flash-ball en bandoulière.
Les invectives fusent à l’encontre de Claude Bastien, ancien ingénieur de la DDE, investi avec quatre autres anciens fonctionnaires par le tribunal administratif de Nancy le 9 août dernier pour mener à bien l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique du projet d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure (Meuse). Les anti-nucléaires, qui ont été délogés des accès peu après huit heures du matin par une intervention musclée des gendarmes mobiles, n’ont que leurs mots à jeter à la tête des enquêteurs. Echaudés par les tonfas, ils refusent cette fois la confrontation directe avec les forces de l’ordre.
Commission d'enquête
La mairie de ce petit village de 386 habitants a été désignée comme le siège de l’enquête publique. Une heure auparavant, le retraité nous reçoit afin de d'expliquer la mécanique de son travail, et de celui de ses collègues.
L’homme est affable, précis, et ne sort jamais de son rôle. Il détaille le processus de constitution de son équipe, "deux femmes, trois hommes, dont une prof de lettres, qui ne sont pas des spécialistes du sujet, mais qui sont capables d’apprécier un dossier technique". Il tient fermement à rappeler l’indépendance de l’enquête : "la préfète de la Meuse est l’organisatrice, mais nous sommes indépendants de l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) et de l’Etat".
Périmètre
Pendant 38 jours, quatre communes de la Meuse et deux de la Haute-Marne accueilleront quatre permanences de trois heures, où les riverains pourront venir déposer leurs observations. Le dossier est monté sur roulettes, dans un beau casier aux couleurs de l’ANDRA. Il contient l’équivalent de 6.000 pages A4, pour un poids total de 38 kilos. D’autres modèles du genre sont à disposition de ceux qui voudraient s’y plonger. Douze communes de la Meuse et de la Haute-Marne sont équipées au total. Le dossier est également consultable en ligne ici.
Les opposants, membres de plusieurs collectifs et organisations qui combattent le projet d’enfouissement, refusent la tenue même de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique (DUP).
Ils rappellent que les conseils municipaux de toutes les communes concernées ont adopté des délibérations qui rejettent le projet. "En 2006, une pétition a recueilli 50.000 signatures pour demander un référendum local sur la question, mais elle a été ignorée par les autorités publiques" soupire Joël, un militant électron libre venu de Nancy : "il y a déjà vingt ans de lutte citoyenne contre ce projet, mais elle n’est pas entendue, donc la consultation organisée autour de l’enquête publique est biaisée, c’est une procédure administrative, rien de plus".
Le jeune homme au ton posé assume la tentative de blocage de l’enquête publique : "on s’appuie sur la lutte victorieuse de Plogoff, où la mobilisation de la population a permis d’empêcher la construction d’une centrale nucléaire à la fin des années 70 en Bretagne. C’est important de bloquer parce que l’enquête est une étape légale, si on empêche sa réalisation, on freine le dispositif et on repousse encore un peu l'échéance".
Blocage
A côté de Joël, Michel Labat, le retraité, est un opposant de longue date : "des débats publics on en a tout le temps, mais malgré notre opposition et celle des conseils municipaux, on ne nous écoute pas, c’est une mascarde. L’ANDRA c’est des filous, ils font les choses à l’envers, et ne disent pas la vérité. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont pressés, parce qu’ils ont pris du retard, et que des élections arrivent, on n’est pas dupe".
Les anti-nucléaires voient juste.
Cette première étape est cruciale pour l’ANDRA dans la poursuite industrielle du projet. Si les enquêteurs émettent un avis favorable dans leur rapport attendu fin novembre 2021, le Premier Ministre pourra ensuite prendre un décret d’utilité publique (DUP) qui permettra d’exproprier au profit du maître d’ouvrage. Sur les 900 hectares du projet, l’ANDRA n’en possède aujourd’hui que 800. L’appropriation de la centaine restante constitue un bras de fer, que les opposants au projet ont bien intégré.
Il y a quelques années, des militants ont notamment acheté l’ancienne gare de Luméville-en-Ormois, par laquelle pourrait transiter dans le futur les déchets nucléaires susceptibles d’être enfouis à Bure. Le lieu est même devenu un site de mobilisation de la contestation au projet Cigéo, avec la tenue régulière d’événements comme en août 2021 pendant plusieurs jours.
Décret d’autorisation de construire
Etonnamment, la procédure permet d’exproprier avant même le décret d’autorisation de construire (DAC), pris lui aussi par le Premier Ministre. C’est le second volet, décisif celui-là, que redoutent le plus les opposants. Une fois le DAC acté, l’ANDRA pourra procéder à tous les travaux, et commencer à acheminer les colis radioactifs dans la Meuse, "à titre expérimental d'abord mais ça va prendre du temps, entre le décret d’autorisation de construire et la mise en œuvre opérationnelle, au moins 5 à 7 ans" estime Claude Bastien.
Que se passerait-il si l’enquête émettait un avis défavorable ? Est-ce que le Premier Ministre pourrait passer outre ? "Joker" répond le président de la commission d’enquête. "En moyenne 92% des enquêtes débouchent sur un avis favorable, le même pourcentage qu’aux résultats du bac" commente malicieusement l’ancien ingénieur, "mais c’est normal, c’est comme un examen pour l’ANDRA". Qui a bien révisé ses fiches, et dispose de moyens colossaux pour peser de toute son influence sur les enquêteurs, car dans le dossier figurent les éléments techniques et didactiques à sa main. Sa force de communication et de persuasion est sans commune mesure avec celle des opposants.
L’enquête publique doit durer 38 jours. Elle se tient à la fois physiquement, avec des permanences dans six communes de la Meuse et de la Haute-Marne, où les enquêteurs sont présents, mais également en ligne. Le site du registre numérique détaille à la fois les éléments administratifs, le projet, et la possibilité "d’apporter sa contribution"
Dans la salle de la mairie de ce petit village meusien de 382 habitants, les enquêteurs ont attendu, mercredi, les remarques et les observations de la population pendant trois heures. Deux habitants du secteur sont venus déposer leurs documents. L’un des deux nous glisse qu’il est opposé au projet, mais que la présence des forces de l’ordre et des manifestants décourage ceux qui voulaient faire comme lui.
Restauration
Sur la pelouse à côté de la mairie, on tartine du humus, et les crêpes dorent sous une pluie fine. "On restera là tout le temps de l’enquête publique, ce n’est qu’une étape, mais elle est importante, et on tentera encore de la bloquer" affirme calmement Joël. Le ton est serein, l’ambiance, à deux pas des gendarmes mobiles, est presque festive.
Cette semaine, le point d’orgue de la contestation de l’enquête est attendu pour vendredi 17 septembre 2021 au soir. Une "réunion d’échange et d’information avec le public" se tiendra à Gondrecourt-le-Château à 19h à la salle polyvalente. Les opposants tenteront de se faire entendre et de prolonger la lutte : "il y a peu de place pour la démocratie dans ce processus, mais notre mobilisation a un impact. L’occupation du bois Lejus a, par exemple, permis de modifier le rapport de force, on garde espoir" conclue Joël, la voix couverte par la sono. Couverte, mais parfaitement audible.