Le changement climatique engendre des phénomènes météo violents en hiver. Tempêtes, inondations se succèdent à un rythme plus soutenu que par le passé, engendrant la multiplication des arrêtés de reconnaissance de catastrophe naturelle. La prévention des risques est devenue une priorité pour les collectivités locales.
Le changement climatique engendre des phénomènes météorologiques violents en hiver. Tempêtes, inondations semblent se succéder à un rythme plus soutenu que par le passé. Le laboratoire LOTERR (laboratoire de recherche en géographie de l'université de Lorraine) possède un département hydrologie. Il suit de près l'impact de l'évolution du climat sur les débits des cours d'eau. Didier François, ingénieur de recherche, explique : " Ce qui nous intéresse en hydrologie, ce sont les évènements extrêmes. Depuis 1983, les crues ne sont pas forcément plus graves, mais plus fréquentes".
La fréquence des crues et leurs intensités se lisent dans le nombre d'arrêtés de reconnaissance de catastrophe naturelle pris par les préfectures. En Moselle, on peut noter de fortes disparités qui informent sur l'exposition inégale des communes face au risque inondation. Ainsi, l'Eurométropole de Metz en présente 205 depuis 1982, contre 467 pour la communauté de communes du Saulnois.
Le syndicat mixte Moselle aval englobe 605 communes sur trois départements (Moselle, Meurthe-et-Moselle et Meuse) et concerne 780 700 habitants. Un tiers est exposé au risque d'inondation. Les crues ont des conséquences graves sur les habitations, le tissu économique et présentent aussi des risques pour les vies humaines.
Trois secteurs sont classés Territoires à risque important d'inondation (TRI) : Thionville, Metz et Pont-à-Mousson. 57 000 habitants et 32 000 emplois seraient impactés par une crue centennale (Q100-300).
L'ensemble des élus a pris conscience de la problématique des inondations
François Henrion, président du syndicat mixte Moselle aval
En 2018, le syndicat mixte décide de répondre à un appel à projet de l'État pour l'élaboration d'un PAPI (Programme d'action et de prévention des inondations). Il permet d’aborder les grands axes de la prévention des risques d’inondations : connaissance et conscience du risque, surveillance et prévision des crues et des inondations, alerte et gestion de crise, intégration du risque inondation dans l’urbanisme, réduction de la vulnérabilité des personnes et des biens.
François Henrion le président explique : "je pense que l'ensemble des élus a pris conscience de la problématique des inondations. C'est pour ça que nous avons souhaité aboutir à un PAPI en fin d'année 2024 avec un programme d'actions et de prévention des inondations, ce qui implique de bien connaître son territoire, de bien connaître la Moselle et également de tous ces affluents".
Quarante ans plus tard, la crue exceptionnelle de la Moselle d'avril 1983 est encore dans les mémoires. Elle reste une référence. L'arrivée d'une masse d'air tropicale sur les sommets vosgiens a entraîné la fonte en seulement trois jours de l'épais manteau neigeux. À quoi se sont ajoutés, avec le retour d'un front froid, des cumuls de précipitations de l'ordre de 75 à 100 millimètres dans le secteur Moselle-aval, gonflant d'autant les eaux de la Moselle.
Toutes les communes de la vallée ont été sinistrées. Les dégâts ont été importants et les vulnérabilités mises en évidence. À ce titre, le lotissement du Bas-Chêne à Saint-Julien-lès-Metz (Moselle) construit en 1982 est emblématique. Il sera détruit après la crue. L'eau était montée à 1,80 mètre dans les habitations.
Pour François Henrion, le PAPI est donc un précieux outil de connaissances des risques liés aux aléas climatiques et donc de prévention : "Avec le PAPI, on va pouvoir maîtriser tous les plans locaux d'urbanisme, informer sur ce que l'on peut faire ou ne pas faire et dans quel secteur. On tient compte également des ruissellements".
Les remontées de nappes et les ruissellements sont des risques émergents
Geoffrey Rémy, chargé de mission Gestion des milieux aquatiques au syndicat mixte Moselle aval
Geoffrey Rémy est chargé de mission Gestion des milieux aquatiques au syndicat mixte Moselle aval. Le risque d'inondation le plus connu est le débordement de cours d'eau. Il en existe deux autres qui commencent à devenir préoccupants : " Les remontées de nappes et les ruissellements sont des risques émergents. Le ruissellement, on en entend parler depuis quelques années. Il apparaît en lien avec le changement climatique : une pluviométrie plus concentrée sur certaines périodes peut générer ce type de phénomène".
Le syndicat mixte cherche aussi à mieux appréhender le risque des remontées de nappes. Moins spectaculaires que les débordements de cours d'eau, elles n'en représentent pas moins un facteur de vulnérabilité pour les biens et les personnes. Le syndicat a engagé un programme de recherche avec le Bureau de recherche géologique et minière. Le BRGM développe des modèles pour comprendre ces phénomènes de remontée de nappes.
Débordements, remontées de nappe et ruissellements, on va essayer de construire une stratégie et des programmes d'actions opérationnels pour gérer ces trois risques
François Henrion, président du syndicat mixte Moselle aval
Ainsi, selon François Henrion, la remise à niveau des digues dans le secteur de Metz s'élève à 24 millions d'euros. À quoi il convient d'ajouter le coût de leur entretien, de l'ordre de 500 000 euros par an : "Sur un territoire comme la métropole, c'est déjà conséquent, mais ça permet de protéger 5 000 personnes. Donc, il y a des enjeux forts là où il y a une forte densité de population. Nous devons pouvoir protéger ces personnes, mais aussi les emplois, car des entreprises de la vallée sont aussi exposées au risque d’inondation".
Le PAPI ne se cantonne pas aux problématiques inondations. Il est un projet global qui intègre aussi l'aménagement du territoire, la qualité de vie des habitants et la santé des cours d'eau. Il est aussi un outil de connaissances à vocation écologique. Il permet d'identifier les zones de protection des milieux aquatiques. Le PAPI doit aussi répondre à la Directive-cadre sur l'eau qui impose aux États membres de l'Union européenne un retour à un bon état écologique des cours d'eau.
Claire Delus est géographe hydrologue au sein du département pédagogique de géographie de l'Université de Lorraine. Elle est aussi enseignante-chercheuse au laboratoire LOTERR. Elle étudie en particulier les extrêmes hydrologiques. La chercheuse s'est plongée dans des archives jusqu'ici peu exploitées pour savoir si les crues sont plus fréquentes et plus graves.
L'observation des débits de la Moselle est récente, le réseau a été mis en place en 1960, ce qui offre peu de recul. Par contre, les postes d'observation des pluies et des températures remontent à 1790 pour les premières stations dans notre région : "Nous pouvons utiliser ces informations climatiques pour simuler des débits passés et c'est exactement la même méthode qui est appliquée dans le contexte du changement climatique. On va prendre des scénarios climatiques pour simuler des débits futurs".
Claire Delus mène ses recherches en collaboration avec des historiens. En remontant cent cinquante ans en arrière, elle démontre que le ressenti actuel sur l'augmentation des crues extrêmes est faussé. Sans remonter aussi loin, les crues spectaculaires de 1947 et 1983 n'ont pas eu d'équivalent depuis 40 ans : "Cette longue série nous montre qu'il n'y a pas d'augmentation ni en fréquence ni en intensité des crues, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de changement climatique. Simplement aujourd'hui, nous n'avons pas été confrontés à une situation comparable à 1983".
Là, on a un événement clairement attribué au changement climatique
Claire Delus, géographe hydrologue à l'Université de Lorraine
Par contre, explique la chercheuse, des évènements extrêmes ponctuels sont toujours possibles comme celui qui s'est produit en Allemagne et en Belgique mi-juillet 2021 : des pluies diluviennes ont provoqué des glissements de terrain et des inondations. Ils ont causé la mort de plus de 200 personnes et des milliards d’euros de dégâts : " Là, on a un événement clairement attribué au changement climatique et qui aurait très bien pu se produire chez nous". Ces phénomènes météorologiques violents sont très difficiles à prévoir. Les cellules orageuses se déplacent de façon aléatoire. Didier François, ingénieur hydrologue au LOTERR utilise l'image de la toupie : " Il est difficile de prévoir où et quand elle va s'arrêter".
Si en ce qui concerne les crues de la Moselle et de ses affluents, aucune tendance ne se dégage des statistiques et des observations, il en va différemment pour les étiages des cours d'eau. L'enchaînement inédit des années de sécheresse récentes inquiète le département hydrologie du LOTERR.
Sur le volet sécheresse et étiages, il y a clairement un signal. Ça décroche partout, on a une tendance à la baisse des écoulements.
Claire Delus, enseignante-chercheuse au laboratoire LOTERR de l'Université de Lorraine.
Les crues sont toujours spectaculaires. Elles peuvent paralyser tout un territoire. Les étiages, par contre, ont des effets beaucoup plus lents et insidieux, mais les conséquences peuvent être tout aussi graves. Les risques liés à la baisse extrême des cours d'eau sont une préoccupation croissante pour les services gestionnaires de l'eau dans notre région : "Avant, on ne s'inquiétait pas de l'évolution des écoulements. Ces dernières années, on voit clairement que ça décroche. Si on prend le cas du bassin-versant de la Moselle, ce qui nous interpelle, c'est que ça décroche beaucoup plus dans le massif des Vosges".
Didier François renchérit :"Normalement, on observait les niveaux d'étiages les plus bas aux mois d'août et septembre. Aujourd'hui, c'est dès le mois de juin. Cette précocité exceptionnelle est liée aux vagues de chaleur".
Aujourd'hui, les préoccupations des chercheurs du laboratoire de géographie LOTERR sont donc plus orientées vers la problématique de la sécheresse et du déficit d'eau en amont de la Moselle que celle des crues. Comprendre les mécanismes des étiages extrêmes est d'autant plus une priorité, que le massif des Vosges est le château d'eau de la Lorraine.