En lisière de l'ancien camp militaire du Ban Saint-Jean, situé sur la commune de Denting en Moselle, reposent les dépouilles de 23.000 prisonniers de guerre soviétiques. Lorsque la municipalité décide d'y installer des éoliennes et un parc photovoltaïque, les esprits s'échauffent.

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A l’approche de la forêt qui délimite l’ancien camp, Gabriel Becker tend l’oreille: "on n’entend jamais rien, c’est toujours le silence ici. Même au printemps, aucun oiseau ne chante".
Le vice-président de l’Association Franco Ukrainienne pour la réhabilitation du Ban Saint-Jean est l’auteur de plusieurs ouvrages sur ce camp militaire de la ligne Maginot transformé en Stalag par l’occupant nazi de 1941 à 1944. "C’était un camp de transit: dès les débuts de l’opération Barbarossa, les prisonniers soviétiques, majoritairement Ukrainiens, sont arrivés ici pour être ensuite affectés au travail forcé dans les mines, les champs et les carrières de Moselle", explique l’agrégé d’allemand.

Son regard doux mais vif plonge sur la stèle que l’association a réussi à ériger en 2012, à la mémoire des 23.000 corps enterrés dans des fosses à la lisière du camp. "Et encore, 23.000 c’est un calcul qui a été fait en 1945, en multipliant le nombre de corps trouvés dans quelques fosses par le nombre total de fosses".
Les historiens s’accordent sur un chiffre : 320.000 prisonniers soviétiques sont passés par le Ban Saint-Jean, "mais certains étaient déjà morts pendant le voyage, les maladies et la malnutrition faisaient souvent le reste" soupire l’ancien professeur.

Sanctuaire

A ses côtés pendant la visite automnale, une jeune étudiante, germanophile elle aussi. Chrystalle Zebdi-Bartz se passionne pour le lieu. Cette histoire des prisonniers soviétiques, elle la connaît par cœur. "Mes arrières grands parents avaient un prisonnier russe dans leur ferme".
Quand la forêt s’ouvre sur l’ancienne cité des officiers, elle s’emporte contre le projet de création du parc éolien et photovoltaïque sur le site. "Pour moi, simple citoyenne engagée, ce site doit rester un sanctuaire. Il ne doit pas être modifié, de quelque façon que ce soit", explique la jeune femme, qui passera son Capes d’allemand en mars si tout va bien.

Rebellion en ligne

Ces dernières semaines, elle a mené la fronde sur les réseaux sociaux avec plusieurs de ses amis. Avec succès: son ami Antoine Krutten, du collectif les Historateurs, a touché près de 300.000 personnes avec un post sur le sujet.
Joint par téléphone, il apporte sa voix à la révolte. "Nous sommes des lanceurs d’alerte, ce lieu a été le théâtre d’une des histoires les plus tragiques de la Seconde Guerre mondiale en France, il est impensable qu’il accueille autre chose qu’un mémorial. Nous devons nous battre pour faire en sorte que cette histoire méconnue sorte maintenant au grand jour".
Il achève son plaidoyer. "Les nazis ont cherché à dissimuler ce qui s’est réellement passé ici, on ne peut pas accepter que l’Histoire leur donne finalement raison".

Camouflage

L'ancien professeur assume. "L’armée française, qui n’avait pourtant rien à voir avec cette tragédie, a dissimulé les traces. Elle a ordonné à tout le monde de se taire, et ce silence est encore aujourd’hui de rigueur j’ai l’impression".
Démilitarisé en 1981, la grande muette a vendu les 100 hectares de l’ancien camp à la commune de Denting pour l’euro symbolique en 2015. Charge à elle de l’entretenir… Mission quasi impossible pour ce village de 300 habitants.

Dès la fin de la guerre, on a cherché à camoufler ce qui s’est passé ici.

Gabriel Becker, vice-président de l'association franco-ukrainienne pour la réhabilitation du Ban Saint-Jean

Le maire actuel, François Bir, a hérité de l’ancienne équipe municipale le projet de la société Nordex d’implanter des éoliennes et un parc photovoltaïque. Dans les colonnes de nos confrères du Républicain Lorrain, il défend l’initiative. "Ce projet économique est une aubaine pour notre petite commune (…) car avec ces futures retombées financières, nous pourrons enfin entretenir, sécuriser et valoriser le site du Ban Saint-Jean qui est jusqu’à présent une épine dans le pied".

Pour les défenseurs du site dans sa configuration actuelle, le maire est allé un peu vite en besogne. Il a ordonné l’abattage des arbres du camp des officiers. Plusieurs hectares mis à nu, avec les ruines des maisons au milieu. Un décor d'après tempête, lunaire et sinistre. "Pourquoi se précipiter?" se demande Chrystalle Zebdi-Bartz. "Quels sont les enjeux derrière tout ça? On ne peut pas accepter qu’une éolienne soit plantée au milieu du camp".

Compromis ?

Le président de l’association franco-ukrainienne pour la réhabilitation du Ban Saint-Jean, Bruno Doyen, défend une position médiane.
Pour lui, la création d’un parc photovoltaïque est souhaitable dans la mesure où l’installation permettrait de sauver le site de la destruction. "Si le maire décide de raser les maisons parce qu’elles sont dangereuses, personne ne pourra s’y opposer, et on prendrait le risque de ne plus rien avoir du tout".
L’installation de panneaux solaires permettrait selon lui de sauver la cité nord, celle des sous-officiers, à l’abandon elle aussi, mais dans un meilleur état et "une ceinture verte protègerait le parc des regards". L’association, forte de 200 membres, est officiellement opposée aux éoliennes par la voix de son président, "à cause du bruit et de la pollution visuelle, car ce lieu de mémoire doit rester paisible".
 
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