Prévention des féminicides : une priorité de l’État, mais "les moyens ne sont pas encore à la hauteur des enjeux"

Une femme de 42 ans a été tuée par son ex-compagnon à Metz mercredi 28 août, alors qu’il était connu de la justice pour des faits de violences. Un fait divers qui pose une nouvelle fois la question de la prise en charge des victimes. Si la France a rattrapé son retard en instaurant des bracelets antirapprochements et des téléphones graves dangers, les moyens restent encore très faibles en comparaison des pays pionniers comme l’Espagne.

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C’est un fait divers qui soulève une question essentielle : comment mieux protéger les femmes victimes de violences conjugales ? Mercredi 28 août 2024, à Metz (Moselle) une femme de 42 ans, a été retrouvée morte, tuée de plusieurs coups de couteaux par son ex-compagnon avec qui elle venait de rompre. L’homme était connu des services de police et avait déjà été condamné pour des menaces de mort en janvier 2023, et des faits de violence en mars 2024 envers ses compagnes et ex-compagnes. Il était en sursis probatoire au moment des faits.

67 femmes abattues par leurs conjoints depuis le début de l’année

Selon le collectif « Féminicides par compagnons ou ex » qui analyse les crimes conjugaux, 67 femmes ont été abattues par leurs compagnons depuis le début de l’année. Et en moyenne, un féminicide survient tous les trois jours en France. Des chiffres qui interpellent, alors que les dépôts de plaintes et signalements pour violences se sont démocratisés. "Les victimes sont mieux considérées. Nous n’avons plus ces problèmes d’écoute et de prise en charge que l’on rencontrait encore il y a deux ans. La police a été formée à l’accueil des victimes. Il peut encore y avoir quelques incidents, mais l’on constate un net progrès" affirme Christian Chalon, président de l’ATAV (Association Thionvilloise d’aide aux victimes).

Une réponse pénale croissante

Sur le secteur de Thionville (Moselle), l’association a accompagné 892 personnes victimes de violences conjugales depuis 2023. Soit une hausse de 24% par rapport à l’an passé. Dans 75% des cas, les victimes ont déposé plainte. Les auteurs de violences sont donc connus de la justice, et des victimes accompagnées au quotidien par l’association, ce qui n’empêche pas les agresseurs de passer à l’acte. Et pourtant, l’arsenal juridique s’est considérablement amélioré depuis le plan de lutte de 2021 et propose aujourd’hui des moyens concrets :

"Notre association est agréée par le ministère de la Justice. Nous assurons la remise du matériel, et le suivi tout au long de l’utilisation" explique Christian Chalon.

Des outils de protection efficaces et plébiscités

Ce matériel, c’est d’abord la mise en place d’un bracelet antirapprochement. Ce dispositif de surveillance électronique permet de géolocaliser une personne à protéger et l’auteur de violences. La décision de mettre en place un bracelet antirapprochement délimite un périmètre de protection que le conjoint accusé de violences conjugales ne doit pas franchir. S'il pénètre dans la zone interdite, la victime est prévenue et mise en sécurité par les forces de l'ordre. Un dispositif efficace, mais déployé à faible échelle, car son installation nécessite l’accord de l’auteur des violences.

Le second outil déployé par la justice est le téléphone grave danger. Testé en 2009 et institutionnalisé par la loi de 2014, le nombre de téléphones distribués n’a cessé de croître. En 2014, on comptait seulement 157 téléphones grave danger contre 4 367 déployés en 2022 et environ 5 000 actuellement. Ce téléphone est fourni sur décision du procureur de la République, pour les cas les plus graves de violences conjugales. L’appareil est géolocalisé et doté d’une touche spéciale préprogrammée, reliée à une plateforme d’assistance disponible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, qui déclenche l’envoi des forces de l’ordre.

Un dispositif largement plébiscité par les associations telle que l’ATAV. "C’est un outil extrêmement efficace qui rassure les victimes, affirme Christian Chalon. Ce que l’on peut rencontrer parfois, ce sont des difficultés d’approvisionnement."

Une justice qui manque de moyens

L’Espagne, pays pionnier dans la lutte contre les féminicides, a été le premier à lancer ce type d’appareil pour protéger les femmes menacées par leurs conjoints. Depuis l’adoption de la loi, « mesures de protection intégrale contre la violence conjugale » en 2004, le nombre de féminicides annuel a diminué de plus d’un tiers. Passant de 72 en 2004 à 30 en 2020. Si la France s’est inspirée de son arsenal juridique, elle est encore loin d’atteindre un tel bilan. 

Ainsi, l’ordonnance de protection est 12 fois plus demandée en Espagne, qui en délivre 17 fois plus que la France. Son obtention met en moyenne 6 jours en France alors qu’en Espagne, les demandes d’ordonnance sont traitées dans un délai de 72 heures maximum.

Un budget à la hauteur ?

"Les moyens ne sont pas encore à la hauteur des enjeux, reconnaît Christian Chalon. Il faut réduire le temps de traitement des affaires, mais c’est aussi une question de ressources. Le problème de la justice française, c’est ça. Les effectifs sont réduits, les remplacements ne sont pas assurés, y compris dans la police." L’ATAV a vu ses subventions chuter de 20% entre 2023 et 2024. "Nous allons peut-être devoir supprimer, un poste de juriste. Et cette aide, que nous ne pourrons plus fournir, ne sera apportée par personne d’autre" regrette-t-il.

Dans son rapport du 25 septembre 2023 « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? », la Fondation des Femmes estime à 2,6 milliards d’euros par an le budget minimum que l’État devrait consacrer à la protection des victimes. Si le budget a augmenté de 50 millions en 5 ans pour atteindre 184,4 millions en 2023, cela reste bien loin derrière le modèle espagnol qui consacre 260 millions à la lutte contre les violences faites aux femmes.

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