Il aura duré un peu plus de trois mois, entre le 15 mars et le 28 juin. L'entre-deux-tours des élections municipales 2020 s'est transformé en marathon pour les candidats. À Sedan, Aÿ ou Châlons-en-Champagne, les candidats d'opposition ont éprouvé de grandes difficultés à exister.
Trois mois et demi au lieu de cinq jours. C'est le temps qu'aura duré l'entre-deux tours exceptionnel des élections municipales 2020, dans un contexte inédit de crise sanitaire. Alors que le premier tour très controversé a été maintenu le 15 mars dernier, il est temps pour les candidats de se relancer dans la campagne et convaincre les électeurs de se rendre aux urnes le 28 juin prochain.
Une période "d'invisibilité" pour les candidats d'opposition
Or si la campagne s'est stoppée net pour les candidats d'opposition, elle ne s'est pas vraiment arrêtée pour les maires sortants candidats à leur réélection. "Le calendrier leur est très favorable, approuve Olivier Duperon, maître de conférence à la faculté de Reims-Champagne-Ardenne. C'est une situation durant laquelle les maires ont eu une situation d'urgence à gérer. Pour l'opposition en revanche, le confinement a été une période d'invisibilité."
A Châlons-en-Champagne, les opposants au maire sortant Benoist Apparu partagent ce constat. À l'issue du premier tour, l'ancien porte-parole d'Alain Juppé a recueilli 46,06% des voix, le plaçant en position de favori le 28 juin prochain. "Les maires sortants ont bénéficié d'une communication institutionnelle favorable, c'est indéniable, s'insurge Rudy Namur, candidat socialiste à Châlons-en-Champagne. C'est pour cette raison que je souhaitais que ce second tour ne se tienne pas le 28 juin. Cette campagne n'est pas équitable."
Pour les candidats d'opposition, la visibilité du maire pendant la crise nuit à l'équité du scrutin.
Alan Pierrejean, candidat divers centre, s'indigne également : "Évidemment que cette élection est tronquée, que le pouvoir du maire sortant s'est révélé d'autant plus puissant. Le soir du 15 mars, on m'a demandé de rester chez moi, de ne plus voir mes colistiers alors que le maire a pu avoir une communication offerte plus large."
"C'est ce qu'on appelle la politique"
Dominique Vatel, candidat divers gauche, est plus cynique. Il reconnaît la bonne gestion de la crise de la part de la mairie et affirme qu'en position de maire sortant, il aurait également profité de la situation : "L'équipe et les personnels de la mairie ont bien travaillé. Il doit essayer d'en profiter, c'est ce qu'on appelle la politique. J'aurais fait pareil. Ce n'est pas juste, mais c'est comme ça. Il n'y a pas de conclusion politicienne à en tirer." Et de conclure : "Tant mieux pour les élus sortants et nous, on fera au mieux."
Dans la Marne, à Aÿ-Champagne, le maire candidat à sa réélection Dominique Lévêque s'est retrouvé en ballotage avec 44,12%. Ses deux têtes de liste concurrentes, Jean-François Rondelli et Philippe Brun, tous deux divers centre, ont récolté respectivement 35,69% et 20,18% des voix. De quoi mettre en difficulté l'édile. Finalement, Philippe Brun a décidé de ne pas poursuivre la campagne mais sa liste ne fusionnera pas avec celle de son adversaire centriste, faute d'accord. Ne reste plus que Jean-François Rondelli face au maire. "On n'a eu accès à rien, on était isolés. Le public a eu du mal à comprendre qu'on s'insurge face à certains sujets", déplore le candidat. Et le centriste de détailler : "Comme nous n'avions pas d'actualité réelle, il était difficile de parler de la pluie et du beau temps. C'était une période particulière, pendant le confinement, les gens étaient très sensibles, si on critiquait le maire ou ses décisions, on nous disait 'vous n'avez pas honte de tout critiquer'."
Si on gagne, c'est que vraiment les gens veulent de nous ou qu'on a été très bons.
- JeanFrançois Rondelli, candidat divers centre à Aÿ.
Ce mutisme, la plupart des candidats l'ont observé. "Durant cette période, on est un peu tenu à la solidarité, à l'esprit d'union, souligne Olivier Duperon. Parfois la critique peut être fondée, mais elle peut être perçue comme une récupération. Il est très difficile d'être audible dans ces moments là, il y a une retenue, un silence contraint. Il est très difficile d'exister quand on ne peut pas s'exprimer."
Dominique Vatel à Châlons a préféré ne rien dire : "On a eu deux périodes : celle où on avait autre chose à faire que la politique, s'inquiéter pour nos proches, pour nos entreprises et puis celle du déconfinement. Depuis un mois, on a recommencé à donner des nouvelles sur internet. On a retravaillé nos textes, nos propositions. On a recommencé nos réunions de travail. Pour ne pas être plus de 10, on a réorganisé les mêmes réunions trois fois."
À Sedan, le silence a également été de mise pour le candidat divers droite Bertrand Bonhomme. Face à Didier Herbillon, ancien socialiste sous l'étiquette divers gauche qui a recueilli 43,21% des scrutins, l'équipe de Bertrand Bonhomme "a décidé de ne pas communiquer pendant le confinement". La tête de liste explique : "On pensait que les Sedanais avaient d'autres soucis que la campagne. On a dû faire trois articles sur deux mois, alors que d'habitude, on est plutôt à trois par semaine. On a préféré rester en retrait et ne pas critiquer l'action du maire pendant la crise."
Pendant la crise, le maire de Sedan assure ne pas avoir abusé de la communication sur les réseaux sociaux de la ville.
Une période de calme révolue. "Les Sedanais ont pu voir le manque de dynamisme de l'équipe en place, attaque le candidat divers droite. Quand on voit que beaucoup de mairies ont mis en place des chèques vacances, des tickets repas..." Le Sedanais dénonce "l'inertie de la municipalité" et juge que "la crise a plutôt été défavorable" à son adversaire.
Un pouvoir confié par le législateur
"C'est le législateur qui a confié aux maires ces pouvoirs spéciaux, rétorque Dominique Lévêque, maire sortant d'Aÿ. Les moyens de communiquer étaient restreints. Il était tout à fait légitime que les maires aient agi. Les mêmes qui critiquent, nous reprocheraient de n'avoir rien fait."
Il n'y a pas de bonne solution. Le vrai reproche que l'on peut faire, c'est d'avoir maintenu ce premier tour. J'ai essayé de faire du mieux possible le travail qui m'était confié. Je n'ai pas fait de communication de propagande.
- Dominique Lévêque, maire sortant à Aÿ.
Didier Herbillon quant à lui, ne conteste pas la tenue du premier tour. En revanche, il reconnaît que la coupure avec le contexte électoral a été "brutale". "On a travaillé au service de nos concitoyens sans arrières pensées, tranche l'édile. On a été plus visibles, mais c'était dans le cadre nos missions. Je ne vois pas comment on aurait pu s'investir dans de telles opérations efficacement."
Et Didier Herbillon d'analyser : "Sauf quand c'est très serré, un premier tour est un sondage grandeur nature. C'est pourquoi il y a souvent peu de temps entre les deux tours. Je ne fais pas campagne car je n'ai pas le temps. Il y a tellement de sujets sur la remise en route de nos services, la réouverture des écoles… tout cela fait que le temps manque pour faire une véritable campagne. Notre visibilité, on risque de la perdre un peu sur cette période de campagne."
"On nous demande de faire campagne sans campagne"
Depuis le 8 juin, la campagne a officiellement repris pour tous les candidats. "Une bien drôle de campagne", pour Olivier Duperon. Pas de marché, de tractage, de porte à porte… ce qui laissent encore moins de visibilité aux opposants. "Je ne suis pas sûr que les citoyens aient conscience que nous sommes en période électorale", décrypte le politologue. Il n'est pas le seul à avoir ce sentiment.
"Depuis qu'on est déconfiné, on essaie de revenir voir nos électeurs. On les accueille avec des masques, du gel… mais on sent qu'il reste une certaine crainte et un désintérêt", constate Alan Pierrejean à Châlons. Le candidat divers centre assure que malgré sa motivation et celle de son équipe, la reprise est compliquée. "Il faut repartir : mais comment ? On nous demande de faire campagne sans faire campagne. Évidemment on joue sur les réseaux sociaux. En campagne, ce qu'on aime, c'est voir les gens, faire la bise, serrer des mains… pour un maire, la proximité est essentielle."
Pour l'équipe de Dominique Vatel aussi, la remise en selle s'avère difficile : "Notre équipe est moins enthousiaste. On essaie de trouver des initiatives originales… mais on ne peut pas voir les gens chez eux, il faut un masque, on ne peut pas distribuer de tracts. La machine est plus longue à remettre en route. On fera un sprint à la fin."
Pour Didier Herbillon, ce manque d'intérêt est dû à la crise économique qui se prépare. "J'ai affaire à une population qui pense à sa situation perso, économique et sociale, ou une autre qui pensent à la sortie du confinement, aux vacances, au repos. C'est très très compliqué de faire une campagne en ce moment. (…) Peu de gens me parlent dans la rue des élections. Ils me parlent de craintes, de difficultés. Il va falloir être très modestes, il va falloir que les gens aillent voter, mais d'une façon générale, les temps ne sont pas à l'euphorie."
"Je crois qu'il y a encore une crainte diffuse du covid-19", ajoute Dominique Lévêque. Selon l'élu agéen, "l'enjeu est faible par rapport à cette crise, non seulement sanitaire mais aussi économique. Il y a cette impression qu'on ait un tel ou un tel, finalement, ça ne changera pas grand-chose."