On vous explique les motivations de ceux qui ont renversé une statue de l'abolitionniste Victor Schoelcher en Guyane

La statue de l'abolitionniste Victor Schoelcher, d'origine alsacienne, a été retrouvée renversée samedi 18 juillet en Guyane. Une spécialiste de l'histoire de l'esclavage nous explique les raisons qui ont pu pousser des militants à s'attaquer cette figure emblématique du combat contre l'esclavage.

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La statue de l'abolitionniste Victor Schoelcher et d'un esclave a été retrouvée renversée samedi 18 juillet à Cayenne, en Guyane, pendant le couvre-feu anti-coronavirus. Une enquête a été ouverte pour dégradation de biens d'utilité publique. "La statue n'était pas fixée sur son socle ce qui fait qu'elle n'a pas été déboulonnée. Elle a été soulevée et renversée au sol", a précisé à l'AFP le procureur adjoint Jean-Claude Belot. Dans la nuit du 1er au 2 juillet dernier, la statue de l’abolitionniste avait déjà été maculée de peinture rouge représentant du sang. L'action n'est à ce jour pas revendiquée contrairement à celles menées deux mois auparavant en Martinique.
 


Le 22 mai dernier à Fort-de-France et à Schœlcher, en Martinique, deux statues de Victor Schœlcher, avaient été déboulonnées. L’action avait cette fois été revendiquée et relayée sur les réseaux sociaux dans une vidéo réalisée par les militants eux-mêmes, se présentant comme anti-béké et anti-héritage colonial.
 
Pour tenter de comprendre les raisons qui poussent des personnes à s'attaquer aux statues de Victor Schoelcher, signataire du décret de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises le 27 avril 1848, Annissa Bouhied, spécialiste de cette époque, nous donne quelques points de repère.  Elle est responsable de l'Espace muséographique Victor-Schoelcher à Fessenheim, ville dont est natif le père de Victor Schoelcher.

"Il existe un courant de personnes en Guyane et surtout en Martinique, où Victor Schoelcher est mis en avant (avec des écoles, des hôpitaux et même une ville qui portent son nom), qui critiquent ce personnage. Ceux qui s’en prennent aux statues de Victor Schoelcher, justifient leurs actes selon deux types d'arguments", nous explique Annissa Bouhied.
 

"C'est aux esclaves qu'il faut rendre hommage"

Le premier argument avancé par les déboulonneurs met en avant le fait que les esclaves se sont libérés aux-mêmes et non grâce à un blanc, Victor Schoelcher. "Ils considèrent que c’est à eux, les esclaves, qu’il faut rendre hommage. Ils pensent qu’on parle trop de Victor Schoelcher et pas assez  du combat des esclaves pour leur propre libération", explique Annissa Bouhied, sur la base de témoignages de militants martiniquais. Même si Victor Schoelcher était abolitionniste, il est considéré par les déboulonneurs comme étant du côté des Français qui ont pratiqué l’esclavage. "Ce serait grâce à une suite d'insurrections, où les esclaves étaient au premier plan, que l'abolition a été signée. Le travail de mémoire qui aurait dû suivre l’abolition de l’esclavage ne mettrait pas assez en valeur cette lutte des esclaves pour leur liberté", précise Annissa Bouhied. 

Pour les déboulonneurs il n’y aurait donc pas assez d’objets mémoriels ni de statues qui rendent hommage aux esclaves. Le message que renvoient, pour eux, les statues de Schoelcher est: "C’est la France qui vous libère, Victor Schoelcher est l’émancipateur des noirs, alors que c’est la France qui a pratiqué l’esclavage." 

"Victor Schoelcher représente la République française qui a indemnisé les maîtres"

Le deuxième point qui fait polémique est le vote de l'indemnisation des maîtres par la commission de l'abolition, (qui a siégé du 6 mars au 21 juillet 1848) et dont Victor Schoelcher était le président.  "Il représente la République française qui a indemnisé les maîtres", aux yeux de ceux qui s'attaquent à ses statues précise Annissa Bouhied. Entre les partisans du maintien de l'esclavage et les abolitionnistes, la question économique était un point de discorde important. "Les uns reprochaient aux autres de mener la France à la ruine"

Un travail de mémoire qui reste à faire

A l’époque de Schoelcher, parmi les abolitionnistes, "il y avait des noirs, des blancs, des femmes et des hommes qui se soutenaient dans leur combat", explique Annissa Bouhied.  Aujourd’hui la mémoire des uns s'opposent à celle des autres, blancs contre noirs et "cela institue une concurrence des mémoires qui est anachronique". Schoelcher dans les dernières années de sa vie a rédigé un livre intitulé "La vie de Toussaint Louverture", ancien esclave haïtien qui s’est libéré par l’insurrection. Victor Schoelcher, "qui était quelqu'un de discret", ne se considérait pas détenir le monopole de la cause de l’abolition de l’esclavage, c'est pour cette raison qu'il a mis en avant l'action de Toussaint Louverture. "A l’époque il n’y avait pas de concurrence entre abolitionnistes blancs et abolitionnistes noirs. Aujourd’hui on fait cette opposition par le déboulonnage de statues", déplore Annissa Bouhied.

Un long chemin reste à parcourir pour faire connaitre l'histoire de ces esclaves anonymisés, les historiens ne s’y étant pas ou très peu intéressée. "Par rapport aux Etats-Unis, en France il y a eu très peu de témoignages d’esclaves enregistrés, c’est un travail à compléter et je crois que c’est la raison pour laquelle il y a encore des polémiques de ce genre", constate Annissa Bouhied.
 

Exposition au musée Schoelcher de Fessenheim

La programmation de l'Espace muséographique Victor-Schoelcher  ayant été bouleversée par le confinement à la mi-mars, l’exposition "Dix femmes puissantes, portraits de femmes en lutte contre l’esclavage colonial" est prolongée jusqu’au dimanche 23 août 2020. Une exposition conçue par le Mémorial de l’abolition de l’esclavage de la ville de Nantes pour la Journée nationale des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leur abolition.
 
 
 

 






 
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