On vous explique pourquoi les professeurs d'EPS ont progressivement supprimé le football de leurs cours

Egalité filles-garçons difficile à établir, différences de niveaux trop importantes, découverte de nouvelles activités… autant de raisons avancées par les professeurs d'EPS pour ne plus enseigner le football durant leurs cours. Ces derniers espèrent que le mondial féminin changera la donne.

C'est quand j'ai interrogé Laurence Prud'homme sur l'épopée des pionnières rémoises que j'ai ouvert les yeux, à l'occasion du coup d'envoi du mondial féminin. L'historienne spécialiste du football, également professeur d'éducation physique et sportive (EPS), me glisse au détour d'un entretien qu'elle n'enseigne plus le football à ses élèves, qu'elle a pratiqué pendant des années.

Très souvent, on contourne en EPS l'enseignement du foot et on préfère l'enseignement du rugby, pratique de grand terrain également.
- Laurence Prud'homme, historienne et enseignante en EPS.

En échangeant avec mes collègues, je me rends compte que personne n'a touché un cuir de sa scolarité. Nous venons tous de régions différentes, et aucun d'entre nous n'a appris à jouer au football durant les cours. Bien avant que mon ancien collège ne rende obligatoires les embrassades en guise de bonjour, je n'y ai jamais joué. En tout cas, pas dans le cadre d'un cours d'EPS. Aujourd'hui, dans l'académie de Créteil, le foot représente 1,36% des activités programmées au collège, soit à la 22ème place.
 

Des valeurs incompatibles avec un cours d'EPS

Ces constats se vérifient avec quelques coups de fil auprès d'enseignants marnais et du ministère de l'Education nationale. Au baccalauréat, les élèves ont le choix entre différents menus proposés par leur établissement. Seul 1,3% des filles choisissent celui avec le football en sport collectif (contre 14% pour le volley). Côté des garçons, ils ne sont que 4% des bacheliers à passer le ballon rond.

De toutes parts, les raisons évoquées se répètent.

Trois problématiques reviennent : les valeurs autour du foot, comme les contestations de décisions d'arbitre, les grosses différences motrices entre les élèves et la représentation du football par les élèves. 
Sébastien Jimenez, professeur agrégé d'EPS au lycée Stéphane Hessel.

Des raisons qu'invoque également Véronique Eloi-Roux, la doyenne du groupe EPS de l'inspection générale de l'éducation nationale, qui dit comprendre que les professeurs soient réticents à l'idée de faire rentrer ces valeurs dans un cours d'EPS. Selon elle, "il n'y a rien de mieux que de mettre les enfants dans le rôle de l'arbitre pour déconstruire leurs préjugés. Intégrer le football dans les cours, c'est monter qu'il y a d'autres valeurs". Et d'ajouter :

Plus l'activité est médiatisée, plus il y a de représentations à combattre, plus il y a de raisons de l'enseigner.
- Véronique Eloi-Roux, doyenne du groupe EPS de l'inspection générale de l'éducation nationale.

Au lycée Stéphane Hessel d'Epernay, ils se sont accordés pour ne plus enseigner le football durant leurs cours. Pour une raison pratique notamment : le stade étant loin du lycée, il faudrait louer un transport scolaire quand le gymnase lui, se trouve à l'intérieur. Ils ont préféré le futsal, qui se pratique dans le gymnase et dont les règles sont plus strictes : pas de contacts autorisés, les fautes sont plus sévèrement sanctionnées.

Une absence de contacts physiques qui permet aussi plus de mixité. Par exemple, Cathy Patinet, enseignante de sport agrégée à Amiens et spécialiste de la question, a aménagé le peu de cours de football qu'elle a donnés. "Le football est quasiment 'inenseignable' si on ne prend pas en compte la spécificité de chaque classe, constate-t-elle. J'ai réussi une fois, car l'ambiance de classe était bonne et que j'ai instauré certaines règles. Comme les contacts, ou en faisant comprendre aux élèves les plus forts qu'ils n'étaient pas là pour progresser, mais pour faire progresser les autres." 

Le mondial féminin a amené beaucoup de supporters et supportrices à Reims, et certainement suscité des vocations parmi les plus jeunes.
 

Des niveaux trop disparates 

Une vision de l'enseignement que partage entièrement Sébastien Jimenez, qui au début de sa carrière à Charleville-Mézières a également déprogrammé le football. Notamment à cause des écarts de niveau entre les élèves, qui peuvent être très importants. Les enseignants sont unanimes : "On a régulièrement une dizaine d'élèves confirmés par classe, qui pratiquent régulièrement en club ou avec les copains. Ils croient être là pour la performance, et nous devons leur apprendre que non, ils doivent avoir un rôle de modèles pour les autres."

Outre ces différences de niveaux entre élèves, les professeurs ont du mal à lutter contre les clichés que véhicule ce sport aussi médiatisé.

Les élèves sont tellement imprégnés des comportements des joueurs. Ils simulent les fautes, contestent les arbitres, on peut aussi entendre des insultes. Le pire, c'est quand ils crachent par terre. C'est une attitude que l'on voit tout le temps à la télé et que les élèves reproduisent.
- Sébastien Jimenez, enseignant en EPS à Epernay.

"On passe trop de temps à se battre contre ces représentations pour que ce soit 'rentable' en dix séances", ajoute Sandrine Beulaigne, enseignante à Fagnières. Finalement, l'ensemble des enseignants a fini par opter pour d'autres activités. Laurence Prud'homme préfère le rugby, plus neutre en termes de représentations. "Le statut du rugby dans la société française est complètement différent de celui du foot, analyse-t-elle. Il n'a pas cette aura qu'a le foot. Passée l'étape de la peur des placages, une fois que les élèves ont expérimenté le contact avec le sol, ils y prennent tous du plaisir."

"Il y a aussi l'envie de la part des enseignants de faire découvrir de nouvelles disciplines sportives, comme l'ultimate par exemple", fait valoir Sandrine Beulaigne, qui a lancé une section UNSS de danse hip-hop dans son collège à Fagnières. Elle note que "le concours des enseignants impose de nouvelles directives en ce sens."  

"En tant qu'enseignante, j'ai dû me battre deux fois plus"

Dans les années 1990, Catherine Decure a enseigné le sport dans un collège d'Avize, près d'Epernay. A l'époque, les enseignements d'EPS sont non mixtes. Elle n'a que des garçons dans sa classe. Sportive, elle n'est confrontée à aucune difficulté durant l'année. Sauf au moment du foot. "Je me suis retrouvée face à tous les stéréotypes masculins sur le foot, comme quoi 'une femme n'y connaît rien, qu'en tant que non pratiquante, je ne pouvais pas arbitrer les matchs...' C'était un combat", se souvient-elle. Puis l'enseignante évolue dans d'autres établissements, évite la discipline "si possible". "S'il fallait que je le fasse, je le faisais", convient Catherine Decure. Avant d'ajouter :

La Coupe du monde féminine amène d'autres valeurs. Je suis confiante pour l'avenir.
- Catherine Decure, enseignante en EPS à Epernay.

"On pourra le reprogrammer à terme, renchérit Thomas Depierreux, qui gère l'UNSS football au lycée Stéphane Hessel d'Epernay. On voit de plus en plus arriver de jeunes filles qui pratiquent le foot. Elles pourront servir de modèle à des non-pratiquantes." 

 
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