Laurence Prud'homme-Poncet est historienne et enseignante d'éducation physique. Elle nous explique en quoi la région rémoise a été pionnière dans l'histoire du football féminin dans les années 1960.
C'est le jour J. La Coupe du monde féminine de football débute ce vendredi 7 juin, un événement que la ville de Reims attend avec impatience, avec six matchs programmés au stade Delaune. La cité des sacres était l'un des deux bastions du football féminin, lors de son renouveau dans les années 1960, selon Laurence Prud'homme-Poncet, historienne, enseignante d'éducation physique –et ancienne joueuse de football.
Dans une interview croisée avec la joueuse auboise Gaëtane Thiney sur Cairn.fr, vous racontez que les deux bastions du renouveau du football féminin se situaient dans la région rémoise. Pourquoi ces régions précisément ?
"Dans les années 1960, au moment de la renaissance du football féminin, une des premières rencontres organisées avait lieu à Humbécourt, en Haute-Marne, en 1965. Un président de club avait décidé d'organiser un match folklorique à l'occasion de la fête du club pour attirer un public plus nombreux. Par voie de presse, il a demandé à des femmes de se prêter à ce jeu-là et de jouer contre des hommes. Le match a bien eu lieu, a attiré du public mais sera sans lendemain.""Plus tard, en 1968, c'est un journaliste à l'Union de Reims, qui lui, monte également un match féminin pour la fête du club. Dans son journal, il rédige un article pour l'organiser et de nombreuses joueuses répondent à sa demande. Le match va se jouer et ne sera pas sans lendemain car les joueuses qui disputaient la partie jouaient déjà par ailleurs avec leurs frères, leurs copains dans la rue ou à l'école. Donc ce match qui devait être éphémère et sans lendemain va finalement susciter de l'intérêt. Une équipe va se former et rencontrer d'autres équipes, notamment en Alsace et à l'étranger, en Italie."
Qu'est-ce qui a fonctionné à Reims?
"Les joueuses d'Humbécourt étaient moins intéressées, elles n'étaient pas pratiquantes… c'était en majorité les épouses du président du club, de certains politiques… à Reims, le recrutement était plus étendu, qui concernait des femmes sportives qui pratiquaient du handball ou le foot avec les frères et les copains. Et puis on arrivait en 1968, avec un contexte différent.""Il faut ajouter la popularité de l'équipe masculine, qui avait de très bons résultats et une belle notoriété. Et le fait qu'à Reims, à ce moment, l'équipe féminine s'organise grâce à la personnalité de Pierre Geoffroy. En tant que journaliste, qui avait des contacts et une facilité pour écrire des comptes rendus de match et avoir des contacts par ailleurs."
Mais ce premier match avait-il vraiment une portée folklorique ou y avait-il déjà une ambition sportive?
"Pour cette première rencontre, c'était avant tout du folklore en levée de rideau du match masculin. Mais très vite, l'équipe va s'organiser, se retrouver pour s'entraîner… de plus en plus et un objectif plus sportif va être développé.""Aux débuts du football féminin dans la fin des années 1910, certains médecins préconisaient que les femmes ne jouent pas au risque de "se masculiniser" ou les "rendre stériles"…"
"Les obstacles au développement du football féminin vont apparaître dès 1917. A la fois les journalistes, les médecins et les éducateurs vont s'opposer à la pratique féminine, qui est contraire avec le rôle de mère et d'épouse des femmes, avec des arguments pseudo scientifiques."
"Dans les années 1960, la Fédération française de football (FFF) n'est pas très favorable à la pratique du football féminin (elle ne reconnaitra la pratique qu'en 1970, alors que la fédération existe depuis 1919). Les obstacles médicaux ne sont plus complètement les mêmes mais il subsiste une réserve quant à la pratique d'une activité aussi "rude et violente" que le football par les femmes. Les critiques se féminisent, elles ne sont plus aussi violentes que dans les années 1920."