Ils s'appellent Marie, Judith ou encore Remi. Tous ont un jour tiré sur une cigarette et sont parvenus à y renoncer. Récits d'ex-fumeurs, qui ont écrasé leur dernière blonde, aidés ou non par des tabacologues.

Pour certains, la dernière cigarette, c'est un souvenir très précis, un moment qui reste gravé dans la mémoire. "On est des minables, assène Marie, une Ardennaise. Excusez-moi du terme, ce n'est pas gentil pour les autres, mais on est des minables." Pour Judith*, originaire de l'Aube, "acheter des cigarettes, c'était comme acheter une paire de collants, il fallait en avoir." Et contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas des raisons de santé qui motivent les fumeurs à arrêter, mais les économies.

Je suis journaliste web à France 3 Champagne-Ardenne. Le 14 avril 2014, lors de ma dernière clope, j'étais assise sur un banc devant un hôpital, une roulée entre les doigts. Je n'étais pas une grosse fumeuse, environ cinq clopes par jour, mais j'avais mes petites habitudes. Le lendemain, je devais subir une opération du visage et arrêter la cigarette pour favoriser ma cicatrisation selon les médecins. Argument que je n'ai écouté que d'une oreille. Ce qui m'a convaincue, c'est qu'avec mes pansements qui recouvraient tout mon visage, je redoutais de rester 24h d'affilée avec cette odeur pestilentielle juste sous mes narines. 
 
 

Arrêter de fumer à cause des odeurs, pas pour sa santé

Si je vous raconte tout ça, c'est que parfois, il suffit d'un détail pour se motiver à ne plus fumer. Ce fut également le cas pour Florian, qui habite dans la Marne. Il vit avec Ulysse, un molosse noir au regard tendre, dans une grande maison, où il y a aussi des chats, des lapins, des rats domestiques… Cela fait presqu'un an que Florian a dit au revoir à la cigarette. Gros fumeur, il a consommé entre un paquet et un paquet et demi par jour pendant dix ans. Malgré cette grosse addiction, comme pour moi, c'est un mélange de maladie et d'horreur de l'odeur du tabac froid qui l'a conduit à écraser sa dernière blonde.

J'avais le nez embrumé, la bouche pâteuse, les yeux complètement pris. J'attendais devant chez mon médecin et de suite, j'ai été écoeuré. J'étais à la moitié de ma cigarette et je l'ai écrasée. Je n'ai plus refumé depuis.
- Florian, ancien fumeur marnais.


Il existe autant de raisons d'arrêter de fumer que de fumeurs. C'est ce que m'a appris Rémi Vannobel, tabacologue à Reims. Dans son cabinet ce soir-là, il a du retard sur son planning, mais comme il le dit, pour aider au mieux ses patients, il est obligé de déborder. Cela fait maintenant une dizaine d'années qu'il les reçoit et les accompagne. Son travail, c'est précisément de trouver LA raison que vous fera écraser votre dernière cigarette.

J'imaginais que la principale raison, c'était la santé. En fait, ce sont les économies.
- Remi Vannobel, tabacologue à Reims. 


"Léthargie, isolement, empoisonnement"

Fumeur compulsif, hédoniste ou occasionnel… Trouver sa méthode, c'est aussi réfléchir à son propre rapport à la cigarette. "Léthargie, isolement, empoisonnement, je l'ai résumé comme ça." Ces trois mots ont été choisis par Marie, une Ardennaise qui était complètement accro au tabac. Jusqu'à la mi-octobre 2019, elle ne pouvait pas passer deux heures sans fumer. 

Quand elle me reçoit chez elle à Charleville-Mézières, elle en est à sa huitième tentative d'arrêt de la cigarette. Difficile pour elle de dire un adieu définitif à cette mauvaise habitude, qui dictait ses moindres faits et gestes. "Au bout d'une semaine, j'ai rechuté. Je sais que les rechutes existent", justifie Marie, embarassée. 
 
Dans cette parodie signée South Park, les quatre protagonistes du dessin animé visitent une usine de tabac. Les employés raillent un des arguments souvent avancé par les fumeurs, la cigarette ferait déstresser. Pour une Auboise que j'ai rencontrée, la pause cigarette, c'était son moyen de fuir les problèmes professionnels. 

A proximité de Troyes, elle me reçoit avec le chien dont elle a la garde. Un bon thé noir nous attend, accompagné de petits pains au saumon et de pâtisseries achetées spécialement pour l'occasion. Cela fait plus de six mois qu'elle ne fume plus. En période de vacances, elle se contentait de deux ou trois cigarettes par jour. En revanche, au moment de travailler, les compteurs s'affolaient. 

J'étais dans un environnement qu'on pourrait qualifier de toxique. L'opportunité de sortir dans la journée trois minutes, le temps de fumer une cigarette, ça me faisait du bien d'échaper à toute cette atmosphère. Quand j'exhalais la fumée, avec les soucis partaient.
- Judith*, ancienne fumeuse dans l'Aube.


À chacun sa façon de fumer, à chacun sa façon d'arrêter

Certains voient la cigarette comme un compagnon fidèle, toujours là dans les bons comme les mauvais moments. Pas facile donc, de lui dire au revoir comme ça. C'est pourquoi certains fumeurs ont besoin d'accompagnement. 

Le docteur Balthazar-Olette est psychiatre addictologue au sein de l'antenne rémoise de l'Anpaa, l'association nationale de prévention en alcoologie et addictologie. Selon elle, il existe autant d'arrêts du tabac que de fumeurs. C'est pourquoi elle doit s'adapter à chaque nouveau patient. "À chacun sa manière de fumer à chaque fumeur sa manière d'arrêter, explique-t-elle. Tout dépend de son passif, de son histoire personnelle... il n'y a pas vraiment de règle."
 
Dans ce spot du mois sans tabac de Santé public France, on apprend que l'envie de cigarette disparaît au bout de trois minutes. Or ces trois minutes peuvent paraître interminables, surtout quand l'envie de fumer s'installe. Difficile donc de ne pas s'en griller "juste une, pour le plaisir." Les experts sont catégoriques : il faut en moyenne sept à huit tentatives avant de transformer l'essai. C'est d'ailleurs le cas de Marie, dans les Ardennes, notre Carolo complètement accroc. "J'avais toujours des paquets d'avance, des pots de tabac, des filtres, la tubeuse... au cas où, car c'est toujours au cas où", se souvient l'Ardennaise. Mais ce 19 octobre 2019, elle décide de tout jeter. 

Avant, je jetais, mais je laissais tout en haut de la poubelle, pour ne pas salir et reprendre le paquet si besoin. Cette fois, j'ai tout émietté de rage. C'est comme une alliance au bout de 30 ans de vie commune.
- Marie, ancienne fumeuse ardennaise.


En moyenne, il faut 7 à 8 tentatives avant d'arrêter de fumer

Pas de rage chez Judith*, l'Auboise qui me reçoit avec son chien et un bon thé, mais un parcours en dent de scie. Car un fumeur ou une fumeuse reste un ou une ex-fumeuse toute sa vie. Une rechute est possible à n'importe quel moment. C'est pourquoi, après avoir arrêté pendant une dizaine d'années pour avoir des enfants dans les années 1990, Judith a repris une fois les enfants faits et son époux parti. "Au début, on s'est un peu pris le nez. On avait le stress de ne pas concevoir, de ne pas avoir de clopes... et puis bon, on a eu deux enfants."

Puis monsieur s'est fait sa crise de la quarantaine et hop, il est parti avec la secrétaire. Là, j'ai pas résisté, j'ai de suite refumé.
-Judith*, ancienne fumeuse auboise.

En juillet 2019, Judith a de la chance. Malgré un deuxième coup dur, le décès de sa cousine, sa "partenaire dans le crime", elle ne replonge pas. "J'ai perdu très gros. Mon petit cousin fumait une cigarette et j'ai recraqué. Il fallait que j'évacue toute cette tristesse en exhalant la fumée", se souvient-elle. Malgré l'odeur "attirante", Judith est écoeurée. "Quand c'était dans ma bouche c'était mauvais ! Une espèce de goût terreux qui s'installait dans ma bouche... Je n'ai pas réitéré mon exploit et depuis, je ne fume plus !"

 

La nicotine rend aussi accro que l'héroïne

Il faut dire que la cigarette rend aussi accro que l'héroïne. Remi Vannobel, tabacologue rémois m'a expliqué le mécanisme. Ce n'est pas une diffusion en continu de la nicotine qui crée la dépendance. C'est le fait d'en inhaler par flashs. Pas étonnant donc, que se défaire de cette addiction soit si compliqué. Pour certains, ne plus fumer peut aussi aller de paire avec quelques kilos en plus. C'est d'ailleurs ce qui a longtemps freiné Marie, la Carolo aux huit tentatives d'arrêts. "Pendant longtemps, j'ai continué de fumer par peur de prendre du poids, déplore-t-elle. Mais maintenant que j'ai 60 ans et que je me porte bien dans les trucs larges... Je n'en ai plus rien à faire !" Une idée reçue que réfute Remi Vannobel, tabacologue. Selon lui, une prise de poids n'a lieu que si le patient est sous-dosé en nicotine. 

Après la théorie, place à la pratique. Malgré tous les suivis et les méthodes possibles, il suffit parfois de tomber sur la technique qui nous convient. Avant le 19 octobre 2019, Marie, la Carolo, pensait avoir tout essayé.  Cela fait quasiment un mois qu'elle tient sans tabac, grâce au livre Comment j'ai arrêté la cigarette, de l'auteur américain Allen Carr. "Au début du livre, l'auteur vous dit de continuer à fumer, il prend le problème à l'inverse, s'amuse Marie Pia. Une méthode qui a plu à la Carolo, car elle est le fruit d'une démarche personnelle. "C'est une sorte d'auto-hypnose, analyse Remi Vannobel, tabacologue à Reims. C'est comme le film le Pari, les patients se répètent à eux-mêmes 'Je n'aime plus fumer'."
 
Pour Judith, l'Auboise, aucun déclic du genre. C'est une paresse monumentale qui l'a conduite à arrêter.

C'était un dimanche soir en mai. j'étais affalée dans mon canapé, installée devant un film et là je me suis dit, "oh non, j'ai plus de cigarette". Je file dans la boîte à gants, car j'y avais toujours un paquet de secours et là... pas de cigarette non plus ! Puis j'ai continué ma semaine comme ça, le tabac ne me manquait pas. Pour moi, le tabac s'est arrêté par hasard.
- Judith, ancienne fumeuse.


Une chose est sûre, quelle que soit la méthode, tous ceux qui ont arrêté de fumer se sentent plus libres. C'est aussi le cas de Florian, qui a réussi à arrêter grâce aux patchs. "C'est le mot : liberté. Ça, et on sent meilleur."

* Le prénom a été modifié
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