Depuis 2015, les indications géographiques protégées peuvent s'appliquer aux produits non-agricoles. L'association des Potiers d'Alsace mise sur ce label pour lutter plus efficacement contre les copies. Les artisans espèrent cette validation de leur savoir-faire avant l'été 2021.
"Les copies de nos produits, c'est une vraie gangrène, qui s'est répandue sans qu'on ne puisse rien faire depuis quinze ans", déplore Pierre Siegfried, qui préside depuis Soufflenheim l'association des Potiers d'Alsace. Leurs produits, même les plus innovants, sont plagiés, depuis la Chine principalement, et innondent le marché. "Au début, c'était nos produits les plus traditionnels surtout. Mais une fois flairé le bon filon, même nos nouveautés se retrouvaient dans les boutiques, en moins de six mois! Tous nos efforts, de recherche, de développement, sont anéantis. C'est ce qui m'énerve et m'attriste le plus."
Car les revendeurs se font tellement plus de marge sur les copies qu'ils n'hésitent plus à faire leurs courses ailleurs. "En Chine, ils vont acheter un mug 1 euro à l'achat, chez nous, ce sera 4 euros. Et ils ne vont pas pouvoir reporter cette différence à la vente dans les boutiques", explique le potier.
Pour lutter contre cette concurrence jugée déloyale, ces artisans, traditionnellement installés dans les villages de Betschdorf et Soufflenheim, ont toqué à toutes les portes - les douanes, la répression des fraudes, jusqu'au ministère de l'économie. C'est en 2015 enfin qu'une réponse concrète leur est apportée : une loi permet aux indications géographiques protégées de s'ouvrir aux produits non-agricoles et non-alimentaires pour englober certains savoir-faire. "Ils nous ont dit qu'avec cette protection, il serait plus facile d'agir." L'association se lance aussitôt dans l'aventure, mais le montage du dossier s'avère long et technique.
"Il a d'abord fallu nous réunir et nous entendre, explique Pierre Siegfried. Puis s'appuyer sur ceux qui savent faire pour ne surtout rien oublier." En premier lieu Alsace Qualité, qui a planché par exemple sur l'IGP "choucroute d'Alsace". Le réseau a accompagné les onze artisans candidats à l'IGP Poteries d'Alsace. "C'est une grosse machine, le cahier des charges à remplir est énorme, les contrôles serrés."
Douze savoir-faire protégés en France
Un gros travail qui est sur le point d'aboutir. " Nous avons déposé le dossier le 4 décembre, il y a encore une phase de consultation publique, puis de validation finale. Nous devrions obtenir l'IGP fin mai, juste avant l'été", se réjouit l'artisan. Et donc pouvoir embrayer sur une large campagne de communication. "Nous travaillons déjà avec les offices du tourisme pour appuyer sur le patrimoine, l'authenticité... C'est tout un territoire qui profitera de l'éclairage sur Betschdorf et Soufflenheim. Je suis sûr que ça va marcher! Il faut parler positivement de notre métier... c'est le plus beau du monde!"
Pour l'heure, seuls douze savoir-faire sont ainsi reconnus et protégés par l'institut national de la propriété industrielle, qui valide les IGP. Les poteries d'Alsace rejoindraient ainsi la porcelaine de Limoges, les charentaises ou encore le linge basque, pour devenir le premier IGP hors alimentaire et agricole du Grand Est. De quoi "surfer", dit Pierre Siegfried, un peu plus encore, sur le besoin d'authenticité et de proximité des consommateurs. "Bien sûr, à la fin, quoiqu'il arrive, c'est le consommateur final qui décide... Label ou pas, s'il veut payer moins cher, il continuera à acheter des copies, mais ce n'est pas la tendance, estime le potier. Les gens ont envie d'authenticité.
A travers nos produits, ce sont des valeurs que nous défendons, des valeurs qui parlent aux gens : le plaisir des belles tables, de la convivialité... Nous soutenir est une manière d'y adhérer.
Pour le moment, onze artisans des deux villages produiront les poteries protégées par l'IGP. D'autres pourraient les rejoindre, sur un territoire qui va de Bischwiller à Wissembourg, la zone englobée par l'IGP. Du moment qu'ils remplissent le cahier des charges. "C'est le savoir-faire qui est protégé. Des contrôles sont faits sur site tous les deux ans, pour être sûr notamment que les poteries sortent bien de nos ateliers, qu'elles sont fabriquées dans le respect des traditions..."
Des savoir-faire qui remontent à l'âge de bronze, entre 1800 et 750 avant notre ère, époque à laquelle on modelait déjà l'argile. Les poteries deviennent "utilitaires", pour la cuisine, puis la décoration, à partir du XVe siècle. A Betschdorf, la poterie "au grès de sel" et ses célèbres couleurs grises et bleues s'est développée au XVIIIe siècle. Ce sont ces deux types de produits et les méthodes de production utilisées qui devraient obtenir l'IGP tant espérée, saluant le travail que les artisans se transmettent depuis plus d'un millénaire.