Quel hôpital public après la crise Covid-19 ? Christian Eckert, ancien secrétaire du budget, répond sans langue de bois

Secrétaire d’État chargé du budget de 2014 à 2017 sous la présidence Hollande, Christian Eckert a été le gardien de la rigueur budgétaire. Y compris dans le domaine de la santé. Dans un contexte de crise économique, comment concilier ambition et réalité pour l'hôpital de demain ?

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Pendant trois années, Christian Eckert a été Secrétaire d’Etat au budget dans les gouvernements de Manuel Valls puis de Bernard Cazeneuve. Il a notamment travaillé aux côtés d'Emmanuel Macron lorsque ce dernier était ministre de l'Économie. Il en a d'ailleurs tiré un livre “Un ministre ne devrait pas dire ça...” (Robert Laffont) où il analyse, avec un regard critique et mordant, et sans langue de bois, l'irrésistible ascension d'Emmanuel Macron. C'est aussi un livre où le natif d'Algrange (Moselle) décrit le processus de prise de décision au coeur de l'Etat.
 
Depuis son poste à Bercy, l’ancien prof de maths et député PS de Meurthe-et-Moselle, est amené à trancher tous les jours. Sur la sécurité, l'éducation, la culture ... Mais aussi la santé. C'est lui le gardien de la rigueur budgétaire. Dans le livre, il évoque le déjà très “sensible” budget du ministère de la santé et un arbitrage avec Marisol Touraine, l'ex-ministre de la santé : “... nous rognons dix millions ici, trente millions là, puis nous renonçons à telle ou telle amélioration pourtant si attendue. Et nous arrivons à notre objectif, contents d'y être parvenus, mais dépités d'en connaître le prix. Je rentre chez moi et rejoins mon épouse. Elle me connaît mieux que quiconque et me demande ce qui ne va pas. Je fais un sale boulot... sans argent, pour ne pas creuser la dette, nous devons prendre des décisions contre nos envies, et allons décevoir les espoirs placés en nous. Les gens ne se réjouiront pas des réductions de déficit, mais se souviendront des efforts que nous leur avons imposés...
 

Je fais un sale boulot... sans argent, pour ne pas creuser la dette, nous devons prendre des décisions contre nos envies
- Christian Eckert, ancien secrétaire d'Etat au budget (mai 2018)


Face à la crise du Coronavirus, l'hôpital fait face. Avec détermination et courage. Et le contexte fait également apparaître en plein jour toutes ses difficultés : manque de personnel, manque de lit, manque d'équipement, manque de masques... Il y a encore quelques semaines, le pouvoir ne jurait pourtant, que par une réorganisation synonyme de nouvelles suppressions de postes et de lits comme au CHRU de Nancy. Cette vision technocratique a même été réaffirmée par le directeur de l'ARS Grand Est. Elle lui a coûté son poste. Mais cette vision a t-elle été définitivement rangée au placard ? Pas sûr malgré les apparences. L'actuel ministre de la santé, Olivier Véran, préfère évoquer lorsqu'il parle de réformes de "plans de réorganisation évidemment suspendus à la grande consultation qui suivra."

Cependant, avec quel argent sera t-il possible d'être à la hauteur des attentes énormes et de l'espoir du personnel médical mais aussi des Français. Qui plus est, dans un contexte économique hyper tendu. Entre promesse et réalisme politique et budgétaire, la parole libre de Christian Eckert a le mérite d'apporter quelques éclaircissements dans cette période où tout le monde attend des engagements clairs et fermes, à défaut de réponses.

(Interview réalisée le 9 avril 2020) Moins d'impôt et du coup moins d'Etat, c'est presque devenu un slogan en politique excepté à gauche où on réclame le rétablissement de l'impôt sur les grandes fortunes. Une des conséquences, c'est un système de soin sans argent qui reste boîteux. Faut-il, selon vous, ouvrir un débat autour de cette question : lever plus d'impôts pour avoir un système de soins à la hauteur de cette crise ou d'une autre qui pourrait survenir ?

(Christian Eckert) Il faudra poser le débat, le plus apaisé possible. Il sera peut-être plus aisé lorsqu'on ne sera plus au coeur de cette crise sans précédent. La gérer reste la priorité mais il faudra se demander où on met le paquet. La santé, l'éducation, la sécurité... ? Dans le monde, le pays qui dépense le plus d'argent pour la santé, ce sont les États-Unis car les soins y sont très chers. Près de 20% de la richesse du pays y sont consacrés. Le second, très loin derrière, c'est la Suisse avec 12%. Le troisième place, la France la dispute avec l'Allemagne. Cette part a légèrement baissé au cours des quinze dernières années mais la France est très loin devant les autres pays de l'OCDE. Mais ce n'est pas le ressenti qu'on en a. 

Pour quelles raisons, selon vous ?

Si vous ne faites rien, si vous laissez les choses en l'état (les mêmes taux de remboursement, l'équipement, les pratiques médicales...), les dépenses de santé augmentent naturellement et spontanément de 3 à 4% par an. Pourquoi ? Parce que les Français sont de plus en plus nombreux et vivent de plus en plus longtemps. Au niveau des soins, nous avons des médicaments, appareillages et techniques qui sont de plus en plus coûteux. Or, la richesse de notre pays a augmenté sur la dernière décennie de 1 à 2%. Ça veut dire que sans réforme, et le mot fait peur, le poids des dépenses de santé dans la richesse nationale est de plus en plus important. C'est mécanique.
 

Ce n'est pas une bonne nouvelle que de devoir s'endetter plus que prévu mais ce n'est pas non plus la catastrophe annoncée
- Christian Eckert


D'où la nécessité d'investir. Aujourd'hui plus qu'hier ?

Il n'y a pas grand chose à faire hormis emprunter sur les marchés financiers. Il n'y a pas d'autre solution à court terme. Il faut compter sur la disponibilité de volumes financiers sans oublier la largesse ou la bienveillance de la Banque Européenne. L'endettement est une donnée à laquelle nous nous sommes habitués. Nous avons une facilité en France à pouvoir emprunter car la signature de la France est toujours considérée comme étant une des plus sures du monde. Lorsqu'on s'endette, on parie sur la croissance à venir. Pas dans l'année qui vient mais au moins dans la prochaine décennie. La croissance reviendra, je n'en doute pas. Elle permettra de d'absorber la dette. Ce n'est pas une bonne nouvelle que de devoir s'endetter plus que prévu mais ce n'est pas non plus la catastrophe annoncée d'autant plus que la plupart des pays du monde n'auront pas d'autre choix que de le faire, eux aussi.

Emprunter pour la santé, les infrastructures hospitalières, le matériel, son personnel... Voilà qui rompt avec une vieille rigueur budgétaire qui faisait office de ligne à ne jamais franchir. Cette vision purement techno est désormais derrière nous ?

Investir est une nécessité mais ça veut dire aussi qu'il y a moins de moyens et de postes budgétaires à consacrer sur d'autres dépenses comme l'armée, la sécurité nationale ou l'éducation. Je crois que le pays doit mettre à plat sa politique budgétaire. Ce n'est pas aujourd'hui, au moment où il faut remettre de l'argent partout, qu'on va dire qu'il faut faire des économies. Mais il faudrait revisiter les déclarations des uns et des autres. Comme celles de l'IFRAP par exemple, qui, lorsque j'étais au gouvernement, nous disait tous les deux jours qu'en matière de dépense de santé, c'était la gabegie, que le nombre de fonctionnaires n'avait jamais été aussi élevé... Il faudrait qu'on se repasse ces déclarations pour mesurer tout ce qui a été fait sans pour autant être obligé de déshabiller le service public. Les alertes qui ont été données sur l'hôpital public ces deux dernières années auraient mérité une réaction. Ceux qui nous donnaient des leçons de réformes structurelles, d'économies, en disant que la France dépensait trop d'argent, notamment dans le domaine de la santé, sont parfois aujourd'hui les premiers à dire qu'on a trop restreint les moyens ! Il faudra regarder les choses avec moins de partialité. Je ne veux pas donner de leçon mais je m'en souviens.
 

Vous ne pouvez pas avoir des CHU partout. Il faut trouver des structures intermédiaires avec un dimensionnement efficace
- Christian Eckert


Peut-on croire aujourd'hui ceux qui affirment qu'ils faut changer radicalement de cap en arrêtant “la rigueur” alors qu'hier, ils disaient le contraire ?

Ce débat n'est pas propre à France. Il a lieu dans tous les pays du monde. Moi par exemple, je n'étais pas favorable à la suppression des petits hôpitaux. La difficulté, c'est qu'on cherche à trouver le bon équilibre entre proximité et accès à l'hôpital dans des temps de transport raisonnables mais aussi de performances des hôpitaux. La médecine devient de plus en plus pointue et vous avez forcément besoin pour certaines activités médicales d'avoir des équipes et un nombre de patients suffisant pour justifier l'existant. Vous ne pouvez pas avoir des CHU partout. Il faut trouver des structures intermédiaires avec un dimensionnement efficace. Je crois beaucoup à des centres de premier accueil où on peut orienter les patients en fonction de leur symptômes. D'autres personnes peuvent également être traitées à domicile. Je crois en cette proximité qui doit être travaillée. Cela a été commencé, ce n'est pas abouti. Cela a été poursuivi et évoqué par Mme Buzyn par exemple sur la coordination entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. On n'a pas toujours raisonné en termes de nombre de lits ou de postes même si ce sont souvent ces facteurs qui ont une incidence budgétaire. 

Et dans les gros établissements comme les CHU ?

Le CHU de Nancy est un exemple à méditer. J'avais été saisi sur le dossier de l'endettement alors que j'étais au gouvernement. Beaucoup de gens qui ont travaillé sur le dossier ont reconnu qu'il y avait des évolutions nécessaires dans l'organisation. Les lieux sont éclatés à Nancy. Il y en a sept, entraînant des frais de structure et de gestion matérielle parfois difficiles. Sur certains hôpitaux, il y a parfois eu une gestion qui n'était pas très opérationnelle. En Rhône-Alpes, par exemple, des locaux sont restés inoccupés après leur construction surdimensionnée. Je me souviens aussi de débats difficiles sur les appareils médicaux et les appareils respiratoires qui étaient pour 1/3 inutilisés. Il ne faut pas forcément regarder les choses à la seule lumière du nombre de lits et de postes.

Lorsque le ministre de la santé parle de suspension et pas d'annulation en ce qui concerne les plans de réorganisation comme au CHRU Nancy, vous dites quoi ?

Quant on parle de santé, de vie, de mort, on préfèrerait pécher par excès que par défaut car on s'aperçoit aujourd'hui que l'hôpital n'est pas calibré pour une épidémie de cette ampleur. Même s'il n'y avait pas eu de diminution de la voilure dans certains hôpitaux depuis une vingtaine d'années, je ne suis pas complètement certain que le dimensionnement aurait été suffisant. La situation est hors normes et dépasse toutes les anticipations possibles. En période normale, quel est le taux de remplissage des services de réanimation ? Faut-il calibrer la réponse hospitalière à un événement dont personne n'imaginait une crise d'une telle ampleur ? De toute façon, il n'y a pas de solution miracle. Il faut essayer de tenir une ligne d'équilibre : des équilibres géographiques, territoriaux qui permettent d'avoir une forme de proximité, une première ligne, un premier recours mais ensuite, il faut se dire que pour certains types de traitements, tous les hôpitaux ne pourront pas les faire.
 

Les économies, c'est plus facile à faire en pleine croissance. Il est globalement plus aisé de demander des efforts lorsque ça va bien
- Christian Eckert


Cet hôpital de demain devra se construire autour du patient, qui n'est pas un simple client ?

Oui, il faut toujours se concenter sur l'aspect humain quand on parle santé. Il faudra aussi développer des passerelles entre le public et le privé. Et il nous faut aussi plus de médecins. En 2014, lorsque je suis entré au gouvernement, nous avons décidé de ne plus dérembourser de médicaments et de ne plus augmenter les franchises médicales. Marisol Touraine me disait régulièrement que l'hôpital était en tension et qu'il fallait faire attention. On pouvait lui demander de faire des efforts mais il fallait veiller à ce que la marmite, si j'ose dire, tienne le coup. Lorsque vous êtes au pouvoir, vous avez en face de vous, des opposants politiques, des commentateurs, des think tank ultra-libéraux, des journaux spécialisés dans l'insulte, des décideurs qui vous disent tous les jours que vous donnez dans la gabegie... Vous pourriez être tenté de ne faire reposer vos décisions qu'à partir de tableaux Excell. Mais j'ai toujours essayé de regarder les choses de façon humaine. On a réussi ? Je n'en sais rien. On me reprochait parfois de ne pas faire assez d'économies. J'en souris aujourd'hui comme Mme Bachelot d'ailleurs. Les économies, c'est plus facile à faire en pleine croissance. Il est globalement plus aisé de demander des efforts lorsque ça va bien. Quand on est arrivé en responsabilité, on a hérité de 5% de déficit. Mais on est passé de 150 milliards de déficit annuel à 70 milliards quand nous sommes partis du pouvoir. Le déficit a été divisé par deux. La sécu est quasiment à l'équilibre et sa dette sera remboursée en 2024. Vous parliez de besoins pour l'hôpital ? Voilà une vingtaine de milliards qui seront disponibles tous les ans avec la fin de la dette de la sécurité sociale. Peut-être pas dès 2024 avec la crise actuelle. Mais ce n'est pas rien, tous les ans ! Si on en reverse une partie dans les hôpitaux, c'est pas mal non ?
 
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