Régionales 2021 dans le Grand Est : Aurélie Filippetti n'est plus l'égérie des ouvriers

A la peine dans les sondages, Aurélie Filippetti passe par la vallée de la Fensch, où elle tente de se défaire de l'héritage Hollande. Dix ans après l’arrêt des hauts fourneaux d’Hayange entériné par l'ancien président, la plaie reste ouverte pour les sidérurgistes.

Dans la grande salle du local syndical d’ArcelorMittal où elle échange avec des représentants du personnel pendant une heure ce mercredi 15 juin 2021, Aurélie Filippetti peine à se rappeler quand elle était venue pour la dernière fois à Florange. Elle interroge son staff, qui ne lui est pas d’un grand secours : "ça devait être en 2017, avec Benoit Hamon pendant la campagne présidentielle".

Quatre ans, une éternité en politique. Mais pas assez pour faire oublier l’annonce du 30 novembre 2012, le soir où le Premier ministre socialiste de l’époque, Jean-Marc Ayrault, enterre les hauts fourneaux d’Hayange. L’arrêt de la filière liquide, voulu par Mittal et combattu avec acharnement par les sidérurgistes mosellans pendant dix-huit mois, est scellé. 629 emplois sont détruits.

Du côté des classes laborieuses

Fille d'un mineur de fer devenu maire et conseiller général communiste, Aurélie Filippetti s’affiche depuis ses débuts en politique au côté des ouvriers en lutte : "dès Gandrange, je me suis battue à leur côté". Elue députée socialiste en 2007 d’une courte tête face à un descendant de la famille Wendel, la fermeture de l’aciérie de la vallée de l’Orne et son millier d’emplois supprimés lui permettent de ferrailler avec le gouvernement de droite.

Elle se construit ainsi une image de porte-parole des revendications des ouvriers. L’annonce par Mittal de la fermerture les hauts fourneaux d’Hayange la jette dans le grand bain en 2011. Les sidérurgistes de la vallée de la Fensch entament une lutte dix-huit mois, médiatique et nationale.

La députée, conseillère spéciale de Ségolène Royal pendant la campagne présidentielle de 2007, s’affiche alors dans la vallée avec François Hollande, notamment le 24 février 2012 à Florange lorsque le candidat socialiste prend l’engagement de "rouvrir" les hauts fourneaux s’il est élu.

En mai 2012, l’agrégée de lettres classiques devient ministre de la Culture du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Aux affaires les socialistes doivent passer à l’acte, et tenir les engagements pris pendant la campagne. Aurélie Filippetti est au côté du ministre du Redressement Productif Arnaud Montebourg à Florange le 27 septembre suivant, où il évoque une "nationalisation temporaire" pour sauver la filière à chaud.

Le début de la fin

Le 30 novembre 2012 le couperet tombe. Le Premier ministre écarte la nationalisation, au profit d’engagements de Mittal à pérenniser les installations restantes, et notamment le laminage à froid, avec des investissements. Le coup est rude pour la Ministre mais "je n’étais pas dans la confidence, car j’étais ministre de la Culture, pas de l’Industrie". Elle était au cinéma lors de l’annonce, qu’elle a appris par un message du cabinet du Premier ministre.

Edouard Martin alors leader de la lutte pour la CFDT parle de trahison, en visant le gouvernement Ayrault. La ministre de la Culture affirme aujourd’hui qu’elle a exprimé son désaccord, ce dont ne se souvient pas cet ancien élu socialiste "mais c’est normal, quand on est membre d’un gouvernement on est solidaire des décisions qui sont prises". Face au virage libéral du gouvernement Mauroy en 1983, Jean-Pierre Chevènement alors ministre de la Recherche et de l'Industrie avait démissionné. Arnaud Montebourg ne démissionne pas. Aurélie Filippetti non plus.

Non réélue députée en 2017, elle quitte le conseil municipal de Metz en 2018. Elle retrouve son activité d'enseignante, s'essaye à la chronique radio. En décembre 2020 elle lance l'Appel Inédit avec la députée Caroline Fiat (La France Insoumise) afin de se présenter aux élections régionales dans le Grand Est. Une autre liste de gauche est portée par l'écologiste Eliane Romani.

Régionales 2021

Face aux militants UNSA d’ArcelorMittal Florange, Aurélie Filippetti réclame dix ans après un droit d’inventaire sur l’héritage Hollande. Christophe Paré, qui a participé à la lutte de 2011-2012 sous les couleurs de la CFDT, ne l’entend pas de cette oreille. Il crève l’abcès : "vous nous avez abandonnés en rase campagne". Le costaud cokier explique ainsi la défiance à son égard : "on a plus perdu avec vous qu’avec la droite ! On ne sait plus à qui se référer dans le paysage politique actuel, il n’y aucun ouvrier sur les listes à qui on puisse s’identifier".

Aurélie Filippetti martèle qu’elle "a lutté pendant dix ans au côté des sidérurgistes de Florange" mais n’apporte aucun nouvel élément qui permettrait de crédibiliser son rôle d’opposante à la politique industrielle des gouvernements auxquels elle a appartenus. Elle ajoute qu’elle s’est battue avec l’Elysée pour que les sidérurgistes en lutte à Florange soient reçus dans son palais par le président élu.

Au local syndical cette semaine, elle rappelle plusieurs fois devant les sidérurgistes sa proximité avec Edouard Martin. Mais ce dernier, qui a renoncé à la politique après un seul mandat de député européen comme il s’y était engagé, reste silencieux aujourd'hui.

Fin de carrière ?

Le parcours politique d’Aurélie Filippetti pendant la crise de Florange résiste mal à l’épreuve des faits. Elle ne démissionne pas au lendemain de l’annonce par le Premier ministre en décembre 2012 de la fermeture des installations sidérurgiques à chaud. Aurélie Filippetti ne quitte pas le gouvernement Ayrault. Elle n’est pas du deuxième gouvernement de Manuel Valls, car elle annonce qu’elle renonce à être candidate à sa succession.

Elle laisse donc son poste le 24 août 2014, bien après la trahison de Florange… Si elle a bien rejoint les députés frondeurs socialistes, c’est également après la perte de son portefeuille.

Lettre ouverte d'Aurelie Filippetti à Francois Hollande et Manuel Valls du 25 août 2014 by Michaël Martin on Scribd

Interrogée précisément sur son attitude pendant cette période trouble, la tête de liste de l’Appel Inédit n’en démord pas. Elle n’a jamais trahi ses idéaux, elle a seulement été "d’une loyauté sans faille" à l’égard du gouvernement. "Elle est là pour sa gueule, pas pour la nôtre" estime Lionel Burriello, secrétaire général de la CGT ArcelorMittal Florange car "si elle avait démissionné, elle aurait aujourd’hui une autre image à nos yeux, mais là elle symbolise le renoncement de la gauche face au financier". Le vétéran de la lutte de 2011-2012 a pourtant porté les couleurs de la France Insoumise lors des législatives de 2017, "mais cette fois je n'irai même pas voter". La CGT pratique la chaise vide ce jour-là.

Que vient chercher Aurélie Filippetti dans la vallée de la Fensch ? "Franchement, on n’y comprend plus rien" soupire ce vieux militant meurthe-et-mosellan, "elle a été écologiste, puis socialiste, aujourd’hui elle réunit des Insoumis et des Valsistes, alors qu’on avait cru comprendre qu’elle quittait la politique, ça veut dire quoi ?". Un autre socialiste le rejoint : "elle estime que le Parti Socialiste l’a maltraitée, mais on lui a toujours trouvé une solution quand elle a voulu se faire élire en Lorraine, d’abord une circonscription en Moselle, puis une bonne place sur la liste de Dominique Gros à Metz… la vérité c’est qu’elle a une personnalité instable, elle se veut en dehors des partis aujourd’hui, mais elle doit tout au PS !".

Soutiens... communistes !

Sa liste est tout de même soutenue par deux anciens sidérurgistes de la vallée dont Patrick Peron, maire PCF d’Algrange, prévu au programme de la rencontre, mais qui n’est pas présent ce matin-là au local syndical. Par Serge Jurczak également. Actuel maire de Serémange-Erzange, l’ancien ouvrier de Gandrange a lutté âprement contre la fermeture de l’aciérie en 2008. Il ne fait pas mystère de ses convictions : "je soutiens la liste de l’Appel Inédit, pour laquelle j’ai œuvré, sans résultats. Ce qui me désole c’est le manque d’humilité pour réaliser un rassemblement de toute la gauche. Ça aurait eu un autre impact. Je dois avouer que je n’attends pas un résultat exceptionnel pour chacune des deux listes de gauche".

Alors que la candidate reprend la route pour sa prochaine étape direction Villerupt, Christophe Paré, coincé dans son bleu de travail noir de sueur lâche un soupir : "elle a eu le courage de venir devant nous aujourd’hui, les autres n’ont pas pris la peine de venir. On n’existe pas, on n’existe plus". Les hauts fourneaux d'Hayange seront dynamités l'an prochain. La gauche régionale, c'est déjà fait.

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