Durant 12 années, Barbara a porté un implant contraceptif Essure, qui a fait de sa vie un cauchemar, avec des douleurs jour et nuit. Depuis son retrait, elle revit. Un gynécologue strasbourgeois réalise régulièrement ce genre d'explantation pour soulager des femmes comme elle. L'une et l'autre raconte son expérience.
"Je voudrais être lanceuse d'alerte en Alsace, c'est important de sauver d'autres femmes de la douleur," s'exclame Barbara Hamm. Cette Bas-Rhinoise, qui vit près de Brumath, a porté entre 2012 et le 18 janvier dernier un implant contraceptif définitif Essure de la marque Bayer. Durant ces dix années, elle a été victime de nombreux symptômes inexpliqués ainsi que de douleurs continuelles à la limite du supportable.
Depuis que son dispositif Essure lui a été explanté, voici à peine deux semaines, ces effets secondaires la relâchent peu à peu. Et elle sent qu'elle retrouve déjà "(son) peps et (sa) niaque." C'est pourquoi elle tient à partager son expérience. "Je souhaite le dire aux Alsaciennes, particulièrement à celles qui habitent la campagne comme moi, et n'ont peut-être pas eu toutes les informations nécessaires" martèle-t-elle. Car elle, il lui a fallu des années pour comprendre l'origine de ses nombreux problèmes.
En France, plus de 200.000 femmes se sont fait implanter un tel dispositif Essure entre 2002 et 2017, année où l'implant contraceptif a été retiré du marché. 30.000 d'entre elles ont demandé, comme Barbara, à ce qu'on le leur explante, suite à des effets secondaires parfois très graves.
Mais contrairement à un stérilet, dont le retrait est facile, l'explantation du dispositif Essure nécessite une opération sous anesthésie. Il faut au minimum enlever une trompe de Fallope, et parfois aussi l'utérus. Parmi les chirurgiens gynécologiques pratiquant ce genre d'intervention, il y a le docteur Thomas Boisramé, responsable de l'unité fonctionnelle de chirurgie gynécologique des hôpitaux universitaires de Strasbourg à Hautepierre. Il a déjà libéré plus de 200 femmes de cet implant qui gâchait leur vie, mais tient toujours à mesurer au préalable l'équilibre entre le bénéfice et le risque de cet acte chirurgical qui n'a rien d'anodin.
Une lente descente aux enfers
En 2010, Barbara Hamm, maman de trois grands enfants et "déjà mamie", décide de se faire ligaturer les trompes. Vu son âge, 45 ans, son gynécologue n'y voit pas d'objections, mais lui propose plutôt "un processus très innovant pas du tout invasif", et sans besoin d'anesthésie. Confiante, Barbara Hamm accepte. Sans se douter que c'est le début d'un calvaire de douze ans, dont elle n'est pas encore vraiment sortie.
La même année 2010, on lui détecte une apnée du sommeil. Et quelques mois plus tard, des problèmes récurrents de mémoire immédiate, des absences. A l'époque elle travaille dans la restauration, mais "oublie des réservations." Et ne retrouve plus les paroles des chansons qu'elle adore interpréter. "Depuis, je suis obligée de tout me noter, du matin au soir" confie-t-elle. Puis sa libido disparaît. "C'est comme si on m'avait mis un bouton off. Ça fait dix ans que ma vie de femme a été changée."
Des douleurs horribles, au point de ne plus pouvoir marcher, me lever... Une véritable descente aux enfers.
Barbara Hamm
Ensuite, elle commence à souffrir "de problèmes de dos, de tendinites à répétition." Puis "de douleurs musculaires horribles, dans les jambes, au point de ne plus pouvoir marcher, me lever, monter et descendre un escalier. Une véritable descente aux enfers." Seule explication médicale : c'est de l'arthrose.
En tant qu'entrepreneuse à son compte, elle serre les dents et continue à travailler malgré tout. "Si j'avais été employée, depuis plus de dix ans, j'aurais été handicapée. Je ne sais pas où j'ai puisé toute mon énergie pour avancer" assure-t-elle.
Des informations trouvées tout récemment
Ce n'est qu'en novembre 2022 qu'elle découvre, sur le site de France 3 Alsace, le témoignage d'une jeune femme vosgienne "qui parle des implants Essure." En parallèle, une amie lui envoie le lien vers deux reportages sur le même thème. La révélation : "Là, je pleure devant ma télé. Et je me dis : je pourrais mettre mon prénom sur celui de chacune de ces femmes. On est sœurs de galère."
Deux jours plus tard, elle s'affilie à l'association RESIST (Réseau d'Entraide, Soutien et Informations sur la Stérilisation Tubaire), créée en 2016 "par une lanceuse d'alerte lorraine", et lit les témoignages de nombreuses autres femmes "dont certaines se retrouvent aujourd'hui en fauteuil roulant." Mais qui ont toutes, à côté d'autres symptômes, "des problèmes de libido, de dos et de douleurs musculaires." Elle trouve également un groupe Facebook de victimes en Alsace.
"A force d'avoir mal, à la maison, c'est le mari qui prend" résume-t-elle. "Parmi ces pauvres femmes, il y en a plein qui ont divorcé, alors que les médecins les traitaient de folles parce qu'elle se plaignaient toujours." Elle apprend aussi que la principale explication à ces maux multiples serait "des intoxications aux métaux" (platine, nickel, titane, chrome, du fer, iridium, étain) qui constituent l'implant.
L'explantation dans la foulée
Barbara Hamm prend immédiatement rendez-vous chez son médecin, qui reconnaît avoir eu connaissance d'effets secondaires en lien avec l'implant Essure, mais sans avoir fait le lien avec elle, parce qu'il n'avait "pas d'autre patiente avec des pathologies aussi importantes." Dans la foulée, son gynécologue accepte de procéder au retrait.
"Vous ne pouvez pas vous imaginer le soulagement quand je me suis réveillée après l'opération" raconte-t-elle. "Un sentiment d'être libérée d'un poids mental, physique et psychique. J'aurais pu crier de bonheur." Dès le lendemain, elle décide de dévoiler son expérience sur sa propre page Facebook.
Cinq jours plus tard, ses douleurs récurrentes qui, jusque-là, lui donnaient "la sensation d'une rage de dents, ou d'aiguilles plantées dans les genoux" et laissaient les anti-inflammatoires sans effet, ont disparu. "Mon mari m'a dit : Quel beau sourire, ce matin ! Et je lui ai répondu : Ce matin je n'ai pas mal. Quelle joie." Certes, monter un escalier reste toujours douloureux, car son arthrose, elle, est toujours là. "Mais enfin, je sais ce qu'est l'arthrose" sourit-elle. "Ça fait mal, mais c'est largement supportable."
Des explantations à Hautepierre depuis 2017
Ce n'est pas le docteur Thomas Boisramé qui a opéré Barbara. Mais son témoignage ne l'étonne pas. "C'est souvent comme ça que les patientes s'en rendent compte. Par hasard, par un reportage, un article. Après, elles creusent le sujet, et voient que les symptômes décrits sont les leurs." Et comme elle, la grande majorité des femmes auxquelles il a retiré l'implant, environ 9 sur 10, se disent "transformées après".
Lui-même réalise ce genre d'opérations depuis une demi-douzaine d'années. Après la "première médiatisation" des problèmes liés à l'implant "à la période de 2017, et l'arrêt de la commercialisation", il avait vu arriver "des patientes de toute la France." Actuellement, elles viennent principalement d'Alsace-Lorraine.
"Quand les demandes de retrait ont commencé à émerger, les patientes se sont d'abord tournées vers leur gynécologue", celui qui leur avait posé l'implant, ou celui qui les suivait, explique-t-il. "Et elles ont rencontré deux types de réactions : il y avait ceux qui estimaient que ce n'était pas possible. Et ceux qui se sentaient remis en cause."
C'est souvent comme ça que les patientes s'en rendent compte. Par hasard, par un reportage, un article.
Thomas Boisramé
Lors de l'intervention, il y avait aussi un risque de "casser l'implant, ce qui est absolument à éviter." Par le bouche à oreille, et le biais de l'association RESIST, "les patientes se sont donc fait un réseau de chirurgiens gynécologues" de confiance.
Actuellement, Thomas Boisramé voit en entretien "deux à trois patientes par semaine" pour cette demande d'explantation. Mais son acceptation n'est jamais immédiate. "Je suis prudent, je fais le point avec elles" explique-t-il. "Je reste gynécologue, et ne suis pas à même de savoir si les douleurs dont elles souffrent ne sont pas liées à d'autres pathologies." Mais lorsque d'autres spécialistes, comme les rhumatologues, peuvent écarter toute autre explication liée à des pathologies inflammatoires ou auto-immunes, il n'hésite pas.
Contrairement à d'autres confrères, il évite l'ablation totale de l'utérus, "plus lourde, avec plus de risques, et non justifiée dans la plupart des cas", et qui "nécessite une convalescence d'un mois." Il se contente d'enlever la trompe et la partie de l'implant située dans l'utérus. Une intervention dont "les risques opératoires restent assez faibles" et pour laquelle il faut compter "un arrêt de travail de dix jours."
Des questions demeurent
Malgré ses longues années d'expérience, le docteur Thomas Boisramé se pose encore de nombreuses questions. Scientifiquement, "on ne comprend pas trop" reconnaît-il. "Il y a quelque chose où on a du mal à mettre le doigt dessus, et comme médecin, on a horreur de ça."
Selon lui, les explications d'intolérances à certains métaux, ou de taux trop élevés de métaux dans le sang, comme causes de ces effets secondaires parfois très lourds, divisent encore la communauté scientifique. Le dispositif est principalement constitué "d'un alliage de nickel et de titane. Et on sait qu'une partie de la population est sensible au nickel. Mais les allergologues ne sont pas forcément convaincus, car ils distinguent l'allergie cutanée externe et l'allergie interne" explique le chirurgien gynécologique.
Pareil pour les soudures en étain d'argent qui complètent l'implant. "Ça fait peut-être partie de la cause, mais on n'a pas encore de preuve" ajoute Thomas Boisramé. "Certains avancent aussi l'hypothèse qu'il y ait un réservoir de métal dans l'utérus, mais ça n'a jamais été prouvé."
C'est quand même surprenant qu'on ait toutes les mêmes pathologies, qu'on vive les mêmes choses en souffrant, et qu'il n'y ait pas encore eu d'enquête.
Barbara Hamm
"C'est quand même surprenant qu'on ait toutes les mêmes pathologies, qu'on vive les mêmes choses en souffrant, et qu'il n'y ait pas encore eu d'enquête" s'insurge Barbara Hamm. Elle-même sait que des semaines difficiles l'attendent encore. Elle s'apprête à passer une batterie de test et d'examens, pour déterminer si son corps est imprégné de métaux lourds, ce dont elle est persuadée. Elle a pris rendez-vous chez une naturopathe, dans l'espoir de pouvoir enclencher une désintoxication de son organisme. Et en espère d'autres bénéfices, principalement "recouvrer la mémoire instantanée."
Pourquoi aussi peu d'informations ?
Aujourd'hui, elle ne se sent pas "en colère" mais "révoltée", et dénonce une certaine "omerta" de la part des pouvoirs publics. "Pour la moindre intoxications aux pizzas, tous les médias en parlent", assène-t-elle. Or, malgré des alertes lancées dès 2016, en France et ailleurs dans le monde, et le retrait des dispositifs Essure du marché français dès septembre 2017, elle-même a seulement pris connaissance des potentiels effets secondaires de l'implant qu'elle portait à la toute fin de 2022. "J'ai souffert 5 années pour rien" s'écrie-t-elle.
Outre la relative "médiatisation vers 2017", et des communiqués au sein de congrès médicaux locaux, il n'y a pas eu grand-chose d'officiel jusque-là dans l'hexagone, confirme Thomas Boisramé. "Ici, on combine deux choses : les nouveaux symptômes qui arrivent, et le scandale des dispositifs médicaux. Cette situation a permis de mettre le doigt sur le fait que les procédures d'évaluation étaient un peu légères."
Concernant les alertes sur les risques liés à l'implant Essure, "les Etats-Unis et les Pays-Bas, par exemple, ainsi que le réseau associatif, sont largement en avance sur nous. Nous, on a appris en même temps que les patientes" regrette le chirurgien. Il a aussi le souvenir de "groupes de travail" mis en place avant la crise du Covid-19 "pour alerter les patients de potentiels soucis." Mais manifestement, l'ensemble des femmes qui portent l'implant n'ont pas été alertées. Loin de là. Il aurait aussi été question d'une "étude nationale" prévue par la DGS (Direction générale de la santé) pour cette année 2023. Mais lui-même n'a "pas de nouvelles."
Les symptômes ne sont pas très spécifiques et peuvent donc passer inaperçus.
Thomas Boisramé
Ainsi, comment s'étonner que tous les médecins ne soient pas sensibilisés ? "Ce qui est délicat, et augmente la difficulté, c'est que les symptômes rapportés par les patientes, et retrouvés dans les études, ne sont pas très spécifiques et peuvent donc passer inaperçus" ajoute encore le gynécologue. "La fatigue, la perte de mémoire et de libido, ainsi que les douleurs articulaires, peuvent être mis sur le compte de la ménopause. C'est pourquoi il y a eu un rejet de certains de mes confrères". Pour se convaincre du problème, il suffit de consulter l'ensemble des symptômes listés par l'association RESIST. "Chacun peut en cocher quelques-uns, et c'est toute la difficulté."
Continuer à témoigner
Thomas Boisramé estime que le nombre de femmes implantées en souffrance va diminuer avec le temps. "Le gros des patientes qui avaient des soucis ont déjà été explantées" assure-t-il. Et comme les implantations ont cessé dès l'automne 2017, de plus en plus de victimes qui viennent consulter sont celles qui ont développé des effets secondaires "sur le tard". Ou qui, comme Barbara Hamm, n'avaient pas encore eu l'information jusque-là.
Mais à cause de cette diminution, justement, il craint aussi de devoir rester avec ses interrogations, et "n'avoir jamais de réponse scientifique complète", puisqu'il n'y aura, "plus assez de patientes pour faire de véritables études médicales." Du moins en France.
Par ailleurs, tient aussi à rappeler que la majorité des 200.000 Françaises implantées semblent bien supporter le dispositif Essure. Il ne milite donc pas pour un retrait systématique, loin de là. "Dans la majorité des cas, ça se passe bien. Il y a clairement des patientes pour lesquelles ça ne va pas, et il faut les prendre en charge. Mais celles qui vont bien, il faut aussi les rassurer" précise-t-il.
Malgré cette "décennie gâchée à tous points de vue", Barbara Hamm, elle, n'a qu'une envie : "démontrer aux autres que la vie vaut la peine d'être vécue." Elle est bien décidée à "écrire à l'Agence nationale du médicament" pour apporter son témoignage. Mais sans logique procédurière. "Je ne veux pas d'argent" précise-t-elle. "Je veux aller de l'avant, et en parler", pour éviter à d'autres femmes de continuer à souffrir inutilement.
L'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) a mis en place une surveillance renforcée sur Essure pour informer les patientes. Nos collègues de France 3 Bretagne ont également publié une enquête en trois volets avec le média d'investigation Splann ! sur ce scandale sanitaire.