Alors que le Teknival 2018 continue à Marigny dans la Marne, en pleine zone Natura 2000, la LPO Champagne-Ardenne, le CENCA et Marne Nature Environnement ont déposé une plainte contre les organisateurs. Elles craignent que le Teknival fasse définitivement disparaître certaines espèces de la zone.
Alors que plusieurs milliers de teufeurs continuent de célébrer les 25 ans du Teknival sur l'ancienne base aérienne de l'OTAN de Marigny dans la Marne, trois associations écologistes ont annoncé qu'elles portaient plainte contre les organisateurs du festival. La LPO Champagne-Ardenne, le CENCA et Marne Nature Environnement. Les 280 hectares du site, propriété de l'armée, sont classés zone Natura 2000 depuis 2005. Interview d'Etienne Clément, président de la LPO Champagne-Ardenne.
Sur quel motif allez-vous déposer plainte aujourd'hui ?
Pour destruction d'habitat, voire d'espèce. On a besoin de voir le site pour évaluer quels sont les dégâts. On voulait y aller lundi après-midi, mais ça nous a été déconseillé par la police et la préfecture. Après 3 jours de fête, l'ambiance serait en train de changer, et avec l'alcool et la drogue qui font leur effet, ils ont peur de ne pas pouvoir assurer notre sécurité. Donc, dans un premier temps, pour destruction d'habitat en zone protégée.
Les teufeurs sont venus en connaissance de cause. Tout le monde savait que c'était un site protégé. Les organisateurs disent même qu'ils sont venus voir s'il y avait des chenilles urticantes. Il y a eu une préparation préalable, ils ne sont pas venus de manière fortuites, il faut qu'ils assument les risques qu'ils prennent.
Pour ce site est-il classé en zone Natura 2000 ?
Ce site est ce qu'on appelle un ancien savart, une zone de pelouses à moutons comme il y en avait beaucoup en Champagne crayeuse. Aujourd'hui, il en subsiste très peu du fait de l'agriculture, et ce site abrite de nombreuses espèces d'oiseaux, une soixantaine, et une flore exceptionnelle. Il n'est pas classé parce qu'il y a des chenilles, comme on a pu le lire, mais parce qu'il accueille des espèces qui sont très fragiles, dont certaines sont inscrites dans la liste rouges des espèces menacées.
A quelles espèces pensez-vous ?
Comme le hibou des marais, l'oedicnème criard, le tarier des prés et l'engoulevent d'Europe. Ce sont des oiseaux qui refuge là, car ils ne trouvent plus ailleurs les habitats dont ils ont besoin. Si on détruit leur habitat, de fait ces espèces ne peuvent plus nidifier.
En quoi le Teknival menace cet habitat ?
Si on parle des détritus, puisque les organisateurs expliquent que les teufeurs nettoient derrière eux, il faut savoir qu'en 2005, lors de la dernière édition sur site, presque 200 tonnes de détritus ont été sortis du site. C'était une édition légale, des bennes à ordures ont été installées sur le site. Après, pendant 5 ans, on a retrouvé des détritus, on en sortait régulièrement. Des fringues, des canettes, etc… Et là, on est sur une édition illégale. Alors même s'ils mettent des sacs en plastique, on va encore en retrouver.
Et ça n'est pas seulement une question de nettoyage. Il y a jusqu'à 15 à 20.000 participants. Il va y avoir du piétinement sur le site, avec la météo, la pelouse autour des pistes va être rendue boueuse. Les allers-retours des voitures tassent le sol. Il y a 410 espèces végétales sur le site, dont certaines classées sur des listes rouges d'espèces devenues rares… Par exemple, il y a 20 espèces d'orchidées sauvages. Ce sont des fleurs sensibles, et dès qu'il y a une modification du sol, elles ne vont plus pousser.
Et puis il y a le bruit. Nous, quand nous y allons pour faire des suivis à cette période de l'année, nous y allons à deux ou trois seulement pour être le plus discret possible. Les oiseaux ont besoin de calme en pleine nidification. Là, on sait qu'ils sont forcément déjà partis, et on ne sait pas quand ils reviendront, ou s'ils reviendront.
Pour se défendre, les organisateurs disent que ça n'est pas la première fois que le Teknival se déroule sur ce site ?
Et chaque fois, en 2001, en 2003 et en 2005, il y a eu des dégâts. Après la dernière édition, en 2005, on a perdu une espèce. Autrefois, l'Outarde canepetière nichait de manière abondante en Champagne crayeuse. Ce site était le dernier en Champagne-Ardenne où cet oiseau très menacé nichait. Et depuis 2005, on ne le voit plus du tout. Quand on dit qu'il y aura des dégradations irrémédiables, c'est parce qu'on le sait, du fait des anciennes dégradations.
Votre sentiment aujourd'hui ?
Du découragement. Une étude est sortie récemment, elle montre que les effectifs de population d'oiseaux s'effondrent. On voit la même chose avec les abeilles… Il y a des signaux d'alerte, et lorsque l'on fait des sites qu'on essaye de protéger, ça ne marche pas. Et forcément, il y a de la colère aussi. Tous les ans on sait qu'il y aura un Teknival, ça fait 25 ans, et en un quart de siècle on n'a pas trouvé un site qui s'y prête plus.