Témoignage. Psychologue à l'hôpital, elle se bat pour sa profession : "tout ce qu'on nous annonce, tout est pourri"

Publié le Mis à jour le Écrit par Cécile Poure
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Céline Cellier est psychologue au CHU de Strasbourg depuis quinze ans. Jeudi 11 juin, pour la première fois, elle descendra dans la rue. Finie la voix douce. Céline gueulera. Contre l'ubérisation de sa profession. Contre cette société qui veut faire de l'homme, si complexe, une simple machine.

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Céline Cellier a envie de parler. Je le sens tout de suite. Au son de sa voix, à cet empressement qu'elle a de vouloir me joindre, me répondre, m'expliquer. M'expliquer tout. Aujourd'hui, je le sais, je serai un peu psy. Ça tombe bien, elle, aurait aimé être journaliste. 

Céline a aussi besoin d'être entendue. Finies messes basses et chuchotis. Les psychologues, modelés par leur métier, drapés de tant de confidences, si discrets jusqu'à présent, "sortent du bois" me dit-elle. Ce jeudi 10 juin sera un grand jour. Céline et ses collègues seront dans la rue. Nécessité fait voix. "On veut être entendus, tout ce qui nous arrive dessus, ces projets, ces expérimentations, ces trajectoires , c'est monstrueux. Tout est pourri". Quand un psy sort du bois, il parle vertement. 

Un ordre

Céline Cellier a 40 ans. Un âge où l'on sait qui on est et ce que l'on veut. Plus ou moins. Et Céline sait que son métier, parangon de la liberté de dire et de réfléchir, celui qu'elle a choisi et qu'elle pratique aux HUS depuis 15 ans, est menacé. Par les économies, par une mise sous tutelle, par les neurosciences. Par une déshumanisation programmée. 

"Dans le milieu psy, on dit que notre métier c'est un truc de fou. Moi, ce que j'aime c'est de rendre les gens heureux alors que le bonheur n'existe pas. C'est fou oui. J'aime la liberté que j'offre à mes patients : celle de se déterminer soi-même, d'accepter ses failles et ses différences. Je travaille beaucoup sur le dialogue, la parole, le pouvoir de la rencontre entre deux humains. Le champ des possibles. Je tiens ça de mon histoire personnelle, avoir été un trait d'union dans une famille, un médiateur, un diplomate. On a ça en nous, nos névroses quoi."

Céline pouffe. Pas longtemps car la colère remonte aussitôt. L'émotion aussi. Sa liberté, si chère, est attaquée de toute part. Une proposition de loi a été faite le 7 avril dernier visant à la création d’un ordre des psychologues. Sans consultation, sans négociation, "anti-démocratiquement". Un ordre qui viendrait aligner une profession aux  multiples visages, aux approches diverses, foutraque peut-être mais à la mesure de la psyché humaine.

L'autonomie, l'expérience : c'est le principe même de notre profession.

Céline Cellier, psychologue

"Ils ne connaissent rien à notre profession je crois. Nous ne voulons pas d'experts psychologues qui nous disent comment travailler, comment penser. L'autonomie, l'expérience : c'est le principe même de notre profession."  Autonomie technique d'ailleurs reconnue, dans la fonction publique hospitalière, par un statut spécifique : celui de cadre. "Je ne dépends pour l'instant que du directeur des HUS. Et je ne veux pas que cela change. "

 

Une machine

Le sous-entendu de cette "mise en ordre" est l’assignation des psychologues à la catégorie paramédicale. "Nos patients devraient dans un premier temps passer par leur médecin traitant avant de nous consulter. Nous dépendrions d'une prescription, ce qui compliquerait l'accès aux soins des patients en souffrance. Sans compter l'ubérisation de notre travail : le remboursement serait plafonné à 20 euros avec interdiction de dépassement et les consultations limitées à 30mn." Céline m'explique qu'une consultation classique dure chez elle en moyenne 45mn, d'autres 1h30. La temps s'arrête quand on parle vrai. La preuve je suis à la bourre.

L'Etat se dédouane sur le privé, sur les cabinets libéraux.

Céline Cellier

Derrière cette ubérisation de la psychologie, Céline voit un désengagement de l'Etat. Au moment où les consultations psy ont augmenté de 30% en France. "L'Etat est bien conscient du problème. Le Covid a laissé des traces, ébranlé les structures de soins et les psychismes mais il ne peut pas y faire face. A force de désosser la psychiatrie depuis 20 ans... Du coup, comme il ne souhaite pas investir dans le public, dans les structures de jour déjà saturées, pas plus maintenant qu'avant, l'Etat se dédouane sur le privé, sur les cabinets libéraux. Tout cela n'a aucun sens."

Dans les CMPP, Centres médicaux psycho-pédagogiques, gratuits, service public par excellence, le délai moyen pour un rendez-vous est de six mois.

 

Un bon soldat

 

Toute cette rationalisation structurelle, économique, galopante trouve un écho particulier dans l'arrêté promulgué le 10 mars par le ministère des Solidarités et de la Santé.

Ce dernier stipule que, dans le champ de la prise en charge des troubles comme l'autisme, la prise en charge doit être spécifique et unique, balayant le recours à des approches pluridisciplinaires, adpatées. L'Etat prescrit. La Haute Autorité de santé oblige.

"En gros, cela signifie que les neurosciences qui ne sont qu'un aspect de notre profession sont les seules reconnues pour non pas guérir mais accompagner les troubles neuro-développementaux. On liquide les psychothérapies de la parole, éducatives. On liquide nos savoir-faire. Moi franchement, je vous avoue ça me fait peur. C'est grave."

Si Céline tremble c'est qu'elle sait lire entre les lignes. Derrière le triomphe des neurosciences, s'esquisse la défaite de la pensée brute, libre.  "Nous avons peur que cet arrêté fasse tâche d'huile, que les neurosciences emportent tout. Tout c'est nous, c'est moi, c'est le patient. Le sujet. Si on ne pense l'homme que comme un amas de neurones, un cerveau reconditionnable, on en fait un objet, une machine. On lui apprend à être ce qu'on attend de lui et plus ce qu'il est, avec ses forces et ses faiblesses". 

Si on ne pense l'homme que comme un amas de neurones, un cerveau reconditionnable, on en fait un objet, une machine

Céline Cellier

Céline ira manifester demain. Rdv 13h30 devant l'agence régionale de santé à Strasbourg. Comme partout en France. Peut-être aussi, pour la première fois de sa carrière, se syndiquera-t-elle dans la foulée "c'est le moment ou jamais". Histoire de prendre à bras le corps cette liberté qu'elle a. De penser. Parfois de travers. Parfois contre.

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