TEMOIGNAGE - Coronavirus : "On se prépare déjà à une deuxième vague" raconte Marie Klem, infirmière libérale

Après avoir travaillé dans l'industrie pharmaceutique, Marie Klem est devenue infirmière libérale dans le secteur de Rosheim (67). Pour "retourner à l'humain". Aujourd'hui, malgré les difficultés inhérentes à la pandémie, son travail prend tout son sens. Soigner. Et faire le lien.

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Au fil de mes conversations, je me suis aperçue que tous mes interlocuteurs étaient des citadins. Le covid19 ne fait pourtant aucune différence entre les rats des villes et les rats des champs. Il frappe partout. Dans nos campagnes aussi, de façon plus éparse, mais avec la même force. Aujourd'hui, je décide donc de me mettre au vert le temps d'un appel. Une échappée sous le signe de la bienveillance.

Pour trouver Marie Klem, je suis passée par le syndicat des infirmières libérales FNI 67. La réponse n'a pas tardé. Deux lignes lapidaires de je ne sais qui au juste sur Messenger: "Contactez Mme Klem au 06... PS: elle est super". Je compose le numéro à moitié convaincue. Marie m'attendait. Elle n'a pas l'air surprise. Je ne le serai pas non plus. Marie est super.
 

 

Prise en charge humaniste

Sa voix est très douce. Maternelle. C'est fou ce qu'une simple voix peut provoquer chez l'autre. Malgré les circonstances, malgré ses propos, durs parfois, avec Marie je me sens bien. Comme dans une bulle bourrée d'ouate. Une bulle cuirassée. Réconfortante et solide. Réconfortante parce que solide.

Marie est toujours très précise. Elle pèse ses mots. Au nanogramme près. Comme la responsable qualité qu'elle a été pendant 15 ans. Car avant d'embrasser l'Homme dans son entièreté, la quadragénaire l'a d'abord envisagé au niveau moléculaire. "J'ai travaillé pour l'industrie pharmaceutique longtemps. Assez pour qu'à 35 ans, j'ai eu envie de revenir aux fondamentaux. Rester derrière des tests à longueur de journée ne me plaisait plus, je voulais une prise en charge humaniste des patients."

Voilà donc qu'à 35 ans, Marie Klem entame des études d'infirmière. "J'étais la maman de la promotion". Etudes qu'elle complètera par la suite avec un DU Plaies et cicatrisation puis un DU Interventions en soins palliatifs. Marie ne fait jamais les choses à moitié. "J'adore apprendre, que voulez-vous". Apprendre et surtout comprendre. "Dès le début, j'ai voulu me confronter aux soins palliatifs. Dans cette discipline, il y a à la fois une réflexion morale, éthique et des gestes très techniques. On prend l'Homme dans sa globalité."
 

Je soigne parce que je suis
-Marie Klem-


Comment faire le bon soin ? Le soin juste ? C'est la première fois au cours de mes entretiens que j'entends cette question. Elle est pourtant, me semble-t-il, cruciale. "Moi, quand j'ai commencé à pratiquer, j'ai commencé à exister. J'existe parce que je soigne. Je soigne parce que je suis. Tout ce qu'on nous apprend à l'école, la distanciation blabla j'y crois pas. Nous, les soignants, nous sommes touchés par nos patients. Si on est blindé, on est mauvais. Je dirais même plus qu'on soigne bien parce qu'on est humain. Plutôt que de juste distance, je parle de juste présence." Le bon soin pour Marie c'est celui qui vient de la main experte et du cœur qui l'irrigue. Un soin cartésien. Un soin bienveillant.


Les ressources du terrain caillouteux

Le cabinet de Marie Klem se trouve au pied du Mont Sainte-Odile. Sur la toute petite commune de Boersh. Son secteur couvre des petites villes et des villages de montagne. Avec l'arrivée du covid19, Marie a dû réorganiser ses tournées journalières. Elle et la collègue avec qui elle travaille. "Nous faisons une grande tournée de 40 patients environ et une plus petite, une bébé tournée, de 7 personnes pour les patients qui demandent plus de temps. C'est dans celle-ci que nous mettons les malades du covid, à la toute fin pour éviter les contaminations." 
 

Infirmière libérale en milieu rural est un métier hybride. Quelque part entre chauffeur-livreur, aide-ménagère, psychologue et bien-sûr soignant. Le covid19 a accentué le trait. "A la campagne, on fait tous les soins techniques et beaucoup de nursing qui nous prend un tiers de notre temps. Hygiène, confort, prises de sang, pansements, injections, administration et surveillance de traitement, perfusions, sondages... En ce moment, je dois avouer que je fais aussi pas mal les courses pour les personnes âgées. Elles représentent à peu près la moitié de notre patientèle."

Deux tournées distinctes, plusieurs virées au supermarché et surtout un mot: débrouille. Décidément ce dernier revient inlassablement dans mes portraits. "Moi, j'ai anticipé la crise, j'ai cousu mes propres masques et on avait du stock. Sans compter les dons des particuliers ou des entreprises comme Supra qui nous en a donné 8.000. Les dentistes aussi nous ont donné des lunettes, des charlottes ou des surblouses. C'est du système D. On a bénéficié d'un réseau de solidarité immense."
 

Un réseau de solidarité immense
-Marie Klem-

Et c'est ce que Marie veut retenir de tout ceci: les ressources du terrain. "J'ai été époustouflée par le réseau qui s'est créé d'un coup: médecins généralistes, infirmiers, pharmaciens. Il y a eu du troc, des coups de main. C'est une ressource qui préexiste mais qui n'est pas suffisamment utilisée, qui est négligée. Nous, sur le terrain, on connaît les gens, on veut les sauver. Les organismes et institutions en tous genres ont un regard froid et statistique, technicien. Il faut s'appuyer davantage sur la base."

 

Un lien, un vecteur

Vivre le confinement à la campagne peut sembler plus confortable. Pour les personnes âgées, isolées ou impotentes, si le printemps a ramené le chant des oiseaux dans leurs jardins, il a aussi cloué le bec de leurs sonnettes. Muettes. Désespérément muettes. "Nous sommes souvent les seules personnes qu'elles voient. Les auxiliaires de vie ne viennent plus. Elles sont toutes seules et très angoissées. D'autant plus qu'on débarque avec une charlotte, un masque et compagnie, c'est très anxiogène." Alors Marie leur fait les courses et la conversation. Marie fait le lien. Un lien ténu. Vital. Contre l'isolement et la dépression.
 

Elles sont toutes seules et très angoissées.
-Marie Klem-


Mais tout lien est aussi un vecteur. "Honnêtement, je me fais beaucoup de soucis. Une de mes patientes a 98 ans. Alors, oui, on les protège du mieux qu'on peut, mais nous sommes un vecteur potentiel de la maladie. C'est indéniable. Tous les matins, je vais travailler la peur au ventre. Pas pour moi. Pour eux. Probablement que je vais choper cette saloperie, mais l'essentiel c'est de ne pas la transmettre. Ça me met une pression supplémentaire. On les porte à bout de bras, on les soigne et on pense à eux constamment. Je ne me fais aucune illusion, je sais que je vais en perdre. A la fin, quand on fera nos comptes, chaque famille alsacienne aura perdu un proche."

Le 23 avril, jour de l'entretien, Marie Klem n'a perdu aucun de ses patients. "Je ne sais pas si c'est de la chance ou si nous avons fait du bon travail. De toute façon, on se prépare déjà à une deuxième vague."
 

De toute façon, on se prépare déjà à une deuxième vague.
-Marie Klem-


Et cette pression constante se traduit chez Marie, comme chez beaucoup d'autres, par une fatigue insondable. "Je ne dors que 3 ou 4 heures par nuit en ce moment. J'ai une grande capacité de travail, mais quand je me pose, je craque. Quand je me pose, je réfléchis et ça n'est pas vraiment du repos. La dernière demi-journée off que j'ai prise, je l'ai passée à pleurer. De fatigue et de peur. Ma fille, qui est infirmière aux urgences, m'appelle souvent et me raconte l'horreur à laquelle elle est confrontée. C'est inimaginable. On sortira de là toutes les deux cabossées. Je suis son sas de décompression. Elle est ma faiblesse."
   

La lueur au bout du tunnel

Si Marie est si fatiguée, c'est qu'elle mène la lutte contre le covid19 sur deux fronts parallèles. Celui des vivants, le jour. Celui des moribonds, la nuit. Sa sombre bataille est tout autant éprouvante. "Ça fait depuis mi-mars que je me bagarre pour mettre en place une astreinte d'infirmières libérales en Ehpad la nuit." 

En Alsace, plus d'une centaine d'Ehpad n'ont pas de personnel soignant la nuit. Les résidents atteints du covid sont alors seuls face à la maladie quand le soir y tombe. Certains d'entre eux tombent avec lui. Dans d'effroyables souffrances. "Ce n'est pas parce qu'on a plus de 70 ans qu'on doit mourir comme un poisson." Forte de ses fonctions au sein du réseau alsacien de soins palliatifs, Marie vient de gagner une première manche en partenariat avec l'ARS. "Après un mois de réflexion et de lutte, cette fois, ça y est. Nos astreintes sont mises en place dans les deux départements."
 
70 infirmières libérales se sont déjà portées volontaires. "Avec l'aval médical, nous intervenons la nuit auprès des résidents d'Ehpad atteints par le covid19. Nous avons créé une plateforme téléphonique que les établissements peuvent appeler. Il s'agit de prendre en charge les situations de détresse respiratoire ou de fin de vie. Nous avons mis en place un protocole simplifié pour cette prise en charge." La nuit, les résidents des Ehpad ont depuis le 13 avril dernier des anges gardiens. Qui allègent ou abrègent leurs souffrances.
 

Prise en charge d'un résident d'Ehpad en astreinte dans le cadre du covid19


La lutte pour le droit à mourir dignement ne s'arrêtera pas avec le covid19. Pas pour Marie. "J'espère que ces astreintes seront pérennisées... après. Les soins palliatifs en Ehpad sont un réel enjeu de société. Il faut aussi travailler sur la prise en charge des familles et du deuil. Covid ou pas. Faire quelque chose de plus humain. J'espère que de toute cette horreur, il restera au moins un petit grain de sable dans les consciences." Je raccroche sur ces belles paroles. Porteuses d'espoir. Quand on s'appelle Marie et qu'on habite au pied du Mont Sainte-Odile, on est en droit de croire aux miracles. Ou mieux d'être clairvoyante.
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