Les auxiliaires de vie, indispensables au maintien à domicile des personnes âgées ou lourdement handicapées, ne font pas partie du personnel soignant. Encore moins bien dotés en masques et gel hydroalcoolique pour se protéger do covid19, ils nous racontent les difficultés rencontrées.
Pas simple pour les auxiliaires de vie sociale (AVS) en ce moment. Avec l'épidémie de coronavirus, ils sont nombreux à être en arrêt maladie ou en quarantaine pour éviter de contaminer les personnes fragiles qu'ils aident. Ils sont pourtant indispensables pour que les personnes âgées ou lourdement handicapées puissent vivre chez elles, en l'absence de famille proche ou pour soulager les aidants familiaux. Mais ils ne font pas partie du "personnel soignant" dont on parle beaucoup depuis le début de l'épidémie, à juste titre puisqu'ils se battent pour soigner et guérir les patients atteints de coronavirus.
Activité soutenue pour ceux qui restent
Gaëlle Arnould est AVS entre Obernai et Lingolsheim. Salariée d'une entreprise d'aide à domicile, elle a entre 8 à 10 personnes à visiter chaque semaine, certains tous les jours, d'autres une fois. "Je suis la seule diplômée dans mon secteur, d'habitude on est quatre, deux sont en arrêt depuis le début de l'épidémie et ma dernière collègue vient de tomber malade. Les interventions sont maintenues là où les familles ne peuvent pas venir et pour faire certains gestes parce que je suis AVS diplômée, par exemple faire une toilette d'une personne alitée ou utiliser un verticalisateur pour lever une personne".Alors maintenant, ses journée sont à rallonge et elle multiplie les trajets entre Obernai et Lingolsheim en "accumulant la fatigue. "Ce n'est pas facile de trouver des AVS en temps normal, surtout à proximité des grandes villes, parce qu'il faut avoir le permis et une voiture. Avec ma collègue on parlait de ça justement, de notre peur de tomber malade, elle ou moi."
Je suis la seule AVS diplômée de mon secteur désormais, nous étions quatre avant l'épidémie
- Gaëlle Arnould, auxiliaire de vie sociale
Première intervention de Gaëlle Arnould, à 7h30 jeudi 26 mars, à Ottrott, dans un selfie qu'elle nous a envoyé :
Pour que ce soit encore possible de visiter tous le monde, certains gestes ont été provisoirement mis de côté comme le ménage et la surveillance de prise de repas pour certaines personnes. Certaines familles ont annulé les heures des AVS par peur du virus et préfèrent assurer elles-mêmes les gestes en ce moment.
Les bénéficiaires de Gaëlle sont pour certains en couple ou aidés par leurs enfants, "donc ils ne souffrent pas de la solitude, même si je reste moins longtemps ou que je passe plus". Le métier d'auxiliaire de vie n'est pas centré uniquement sur les repas, la toilette ou les courses. Parler avec les gens, accompagner certains dehors pour leur rendez-vous ou pour faire leurs courses, autant de situations de vie et de contact très importantes pour les plus isolés.
Pas prioritaires pour les masques
Pour Gaëlle, les masques sont arrivés mercredi, "après une menace de droit de retrait de notre part", précise-t-elle. Elle concède que sa direction a eu du mal à s'approvisionner. Et elle a dû elle-même rappeler à plusieurs pharmacies qu'elle faisait partie des professionnels autorisés à en obtenir. Elle a même envoyé le décret du 16 mars à une pharmacie recalcitrante. L'auxiliaire de vie déplore la ruée des particuliers sur les masques et le manque de mesures pour protéger les bénéficiaires, ses collègues et elle-même.Selon un décret du ministère de la santé publié le 16 mars 2020, les AVS sont sur la liste des professionnels autorisés à recevoir des masques gratuits, mis à disposition par le gouvernement :
"[art. 7] Des boîtes de masques de protection issues du stock national peuvent être distribuées gratuitement par les pharmacies d’officine [...] aux professionnels relevant des catégories suivantes, en fonction des priorités définies au niveau national pour faire face à la crise sanitaire et des stocks disponibles : [...] les services d’accompagnement social, éducatif et médico-social qui interviennent à domicile en faveur des personnes âgées, enfants et adultes handicapés [...] ainsi que les aides à domicile employées directement par les bénéficiaires."
Alors pour travailler, c'est la débrouille : "comme beaucoup de mes collègues, nous avions un peu de gel hydroalcoolique en stock, on en utilise toute l'année". Le 18 mars, elle a reçu 10 masques pour une semaine de travail, ce qui est bien sûr insuffisant. "Ça va être le combat pour notre direction d'agence maintenant pour trouver des masques pour la suite".
Djamel Imoussaïne est lui aussi auxiliaire de vie social, mais à temps partiel, il visite trois patients par jour, à Illkirch, Oswald ou la Montagne Verte, selon les jours. "J'ai peur pour moi et pour les patients qui sont très âgés, et pour l'instant je ne sais pas quand je recevrai les prochains masques. Ma supérieure fait ce qu'elle peut." Il lui en reste dix. L'infirmière qu'il croise chez une personne âgée en a reçu plus, un par jour, ce qui n'est toujours pas assez.
On est en dernière ligne pour la distribution, alors que nos bénéficaires sont très fragiles,
- Djamel Imoussaïne, auxiliaire de vie sociale
"Même les gants c'est difficile, certains en ont acheté et nous les mettent à disposition, quand on arrive chez eux", explique-t-il.
Exposés quand même
Djamel se rend chez les personnes à domicile en bus, parfois il doit attendre plus d'une demi-heure à un arrêt. Les horaires sont beaucoup plus espacés puisqu'il y a beaucoup moins de monde qui fréquentent les transports en commun. C'est une difficulté en plus pour cet auxiliaire de vie sociale.
Gaëlle Arnould dit aussi prendre des risques quand elle va faire les courses pour les personnes âgées, elle va dans un supermarché, dans le cadre de son travail, au moins deux fois par jour. Alors que pour ses propres courses, elle privilégie les courses commandées sur internet et récupérées dans un drive.
Toutes ces prises de risque l'inquiètent, "pour les personnes âgées et fragilisées [qu'elle aide], et qui ont en plus d'autres pathologies qui aggravent les symptômes provoqués par le virus". "On est toujours oubliés, on parle de personnel soignant partout, mais pas de nous. Pendant qu'à l'hôpital, il faut deux aides-soignants pour faire la toilette d'une personne alitée, nous, nous sommes seules pour ces actes", conclut-elle.
Les employeurs à la chasse aux masques
Du côté des employeurs, petites ou grosses entreprises, associations, collectivités, qui emploient les AVS, c'est la chasse aux masques. Jean Caramazana, le directeur général de l'APRAPA, le plus gros employeur d'AVS du Bas-Rhin, c'est une préoccupation quotidienne. Joint la semaine dernière, il expliquait avoir quotidiennement organisé une cellule de crise pour remonter les informations et chercher des solutions d'approvisionnement.
L'ABRAPA emploie 1.800 auxiliaires de vie sociale dans le Bas-Rhin, il pense que le double de salariés AVS travaillent dans le département. Sachant que des AVS sont en contrat direct avec des particuliers-employeurs, ils sont plus de 4.000 auxiliaires de vie sociale dans le département.
"Ça a frémi", nous explique-t-il jeudi 26 mars, "l'agence régionale de santé (ARS) nous a donné 10.000 masques vendredi 20 mars, et la région Grand Est 10.000 mercredi 25 mars, mais nous avons besoin de 200.000 à 250.000 masques pour les deux mois à venir. Des entreprises alsaciennes font des dons, la société Hager à Obernai a donné du gel hydroalcoolique, la SNCF 2.000 masques. Par contre, certaines pharmacies refusent d'en délivrer à l'ABRAPA pour les auxiliaires de vie, les réservant aux soignants uniquement, malgré le décret du ministère de l'Intérieur. "C'est le système D partout, et ça arrive au compte-goutte", souligne l'ABRAPA.
Seul point positif, la solidarité des particuliers et des petites entreprises, après le relai d'un spot sur les radios Accent 4, Fréquence Verte et Top Music. Un regain d'entraide qui fait du bien, pour les oubliés de la protection au covid19.