La Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de l’Aube met en place une cellule dédiée aux violences intra-familiales afin d’accueillir les victimes dans de meilleures conditions.
"Le choc, l'angoisse. Les victimes pleurent beaucoup durant l’audition. Et il faut leur laisser le temps de le faire", témoigne le major de police, Alexandre Ferin, membre de la nouvelle cellule consacrée aux violences intra-familiales au commissariat de Troyes. Franchir la porte d’un hôtel de police suite à des violences conjugales n’est jamais une chose facile pour une victime. Elle l’est encore moins lorsque les conditions ne sont pas réunies pour l’accueillir convenablement. "Il suffit d’un mot, d’une incompréhension, pour la faire reculer". Pour éviter cette situation décrite par Aude Vincent, psychologue du commissariat, un nouvel accompagnement des victimes a été instauré, à l'initiative du gouvernement.
Des interlocuteurs privilégiés
Depuis le 1er octobre 2021, une équipe se consacre exclusivement aux affaires de violences conjugales afin d’améliorer la prise en charge des victimes. "Jusqu’à maintenant, les policiers étaient généralistes, c’est-à-dire qu'un agent pouvait traiter un vol de vélo et dans la foulée une femme qui s’est faite violer », affirme Anna Bedhet, présidente de l’association Solidarités Femmes de l’Aube.
Depuis, quatre policiers de Troyes, tous volontaires, ont été formés pendant plusieurs semaines pour être en mesure de traiter correctement de tels dossiers. Un poste de psychologue a également été ouvert en septembre 2021 pour optimiser le suivi des victimes. "Il était temps", rebondit Anna Bedhet. Avec l’intervenante sociale, tous travaillent ensemble, en veillant au strict respect du secret professionnel. "C'est très éclairant : les policiers comprennent parfois mieux les victimes ; l'assistante sociale et la psychologue prennent connaissance de certains pans juridiques d’une procédure", rajoute Alexandre Ferin.
Une collaboration efficace, qui permet de mieux appréhender des situations souvent complexes. Une première, largement saluée par la présidente de Solidarité Femmes : "C'était essentiel car le problème aujourd’hui, c’est l’accueil en commissariat. Des femmes se voient refuser leur dépôt de plainte car elles n'ont pas de certificat médical. Déjà, c'est interdit, mais en plus c'est une double peine pour elles".
Professionnels et victime, un travail collaboratif
"Quand on vous raconte des violences qui ont duré des mois ou des années, le récit est forcément compliqué", déclare le Major Ferin. Or, pour saisir une situation dans son intégralité, les victimes doivent avoir le temps nécessaire pour s’exprimer. "On doit pouvoir comprendre ce qu’elles traversent", rajoute la psychologue. Désormais, elles seront entendues durant deux heures et demi en moyenne, "avec la plus grande attention", termine M. Ferin. Le seul moyen, pour lui, de démêler les faits. De les enregistrer de manière structurée sur le procès-verbal, afin d’informer, au mieux, le procureur de la République.
"Les victimes prennent des risques en venant porter plainte et elles doivent se sentir en confiance pour le faire".
Magali Journet, intervenante sociale
Laisser le temps, c'est aussi mettre les victimes en confiance. "Lorsqu'elles arrivent, elles pensent que tout est de leur faute". Le rôle des professionnels est donc de les déculpabiliser et de les rassurer, pour qu’elles comprennent qu’elle ne sont pas responsables. "Et il faut le faire en employant les bons mots", poursuit la psychologue Aude Vincent. Un échange dont l’objectif est de réfléchir ensemble pour penser à l'après.
La psychologue et l’intervenante sociale accompagnent ensuite la victime sur le long terme. "Avant, elles sortaient du commissariat avec une pile de papiers, des numéros sans toujours savoir quoi en faire", explique Magali Journet. Toutes deux peuvent désormais les aider à chercher un nouveau logement, trouver un avocat, ou encore proposer des prises en charge pour les enfants si nécessaire. Une approche globale, pour aider la victime à se reconstruire après le traumatisme. "C’est très important, notamment lorsqu’une problématique psychologique atteint le corps », termine Aude Vincent.
Les agresseurs systématiquement poursuivis
"Désormais, la pratique de la main courante est totalement révolue", indique Alexandre Ferin. Qu’une victime décide de déposer plainte ou pas, une enquête sera systématiquement ouverte et l’agresseur poursuivi par le Ministère Public. Une procédure déjà existante, mais qui devrait désormais être toujours appliquée. L’objectif : ne laisser passer aucune infraction.
La présidente de Solidarité Femmes, Annie Bedhet, regrette cependant le manque de coopération entre police, gendarmerie, justice et associations pour un meilleur suivi des dossiers. "C'est dramatique pour les femmes, car c'est elles qui en payent le prix". Mis en place depuis pratiquement deux mois, le dispositif semble en tout cas porter ses fruits : un dossier peut être traité dès trois semaines, assure Magali Journet. Une avancée, avec l’espoir de réduire considérablement ces violences à l’heure où 102 femmes et 23 hommes ont été tués par leur conjoint ou ex-conjoint, en 2020.