Malaise chez les pompiers volontaires, "c'est un management par la peur, on ne devrait pas être traité comme ça"

Dans les Vosges et dans la Meuse, plusieurs plaintes sont déposées par des sapeurs-pompiers volontaires contre leur hiérarchie. Plusieurs syndicats dénoncent un système global et des techniques de management toxiques qui entraînent de la souffrance chez les pompiers volontaires. Y a-t-il un malaise général chez les pompiers volontaires en France ? Exemple à Liffol-le-Grand où sept d'entre eux ont été suspendus.

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Yoann* est l'un des sept sapeurs-pompiers volontaires de la caserne de Liffol-le-Grand suspendus de ses fonctions pour une période indéterminée depuis le début du mois de novembre 2024. Dans un arrêté émanant du président du conseil d'administration du Service Département d'Incendie de Secours des Vosges, il lui est reproché d'être sorti de son devoir de réserve et d'avoir pris position à l'encontre du SDIS.

Mise à pied en série 

Cette mise à pied, Yoann la vit comme une injustice : "on me reproche d'avoir soutenu un collègue brutalement congédié en juin dernier sans préavis. Je voulais juste lui montrer mon affection, je ne pensais pas qu'on en arriverait là" se désole le sapeur-pompier volontaire très affecté par cette situation. "Il y a une vraie souffrance psychologique dans la caserne, chez ceux qui ont été suspendus mais aussi chez les autres qui doivent nous remplacer".

Ce soutien, c'est celui que la plupart des pompiers de la caserne ont affiché à leur collègue Julien Thouvenin en arborant un t-shirt à son effigie le 14 juillet 2024 juste après les cérémonies officielles. Ce dernier, sapeur-pompier volontaire depuis 20 ans à Liffol-le-Grand et responsable des JSP (Jeunes Sapeurs-Pompiers) n'a pas vu son contrat renouvelé, sans explications d'après Yoann.

Dans cette vidéo devenue virale, on peut voir Julien Thouvenin salué par les élus, avant de voir ses collègues arborer les t-shirts.

En l'absence d'interlocuteur joignable du côté de la direction du SDIS des Vosges, difficile de savoir ce que sa hiérarchie reproche à Julien Thouvenin . Pour les syndicats contactés, il s'agit avant tout d'un problème de management, c'est ce qu'affirme en tout cas Alban Febvay, secrétaire général adjoint du Syndicat des Sapeurs-Pompiers Volontaires de France.

Les pompiers volontaires sont des gens qui donnent de leur temps et ils sont malmenés pour des motifs qui ne sont pas valables.

Alain Febvay, secrétaire général adjoint du Syndicat des Sapeurs-Pompiers Volontaires de France

"Ces sanctions à l'encontre des pompiers volontaires de Liffol-le-Grand sont disproportionnées j'en suis convaincu. On verra ce que dit la justice, plusieurs procédures sont en cours. Il ne faut pas oublier que les volontaires sont des gens qui donnent de leur temps personnel et ils sont malmenés pour des motifs qui ne sont pas valables. Ils n'ont mis en danger personne et ce qu'il se passe ne justifie pas une sanction à titre conservatoire. Qu'il y ait un entretien, oui. Mais il faut savoir que la discussion est très difficile avec la direction du SDIS des Vosges. C’est un management inapproprié, pour certains il est même toxique, c'est surtout un management par la peur qui est très difficile à supporter pour les sapeurs-pompiers volontaires et les pompiers professionnels".

Un 11 novembre silencieux 

Deuxième acte de cette "rébellion", le soutien de la population de Liffol-le-Grand à ses pompiers le 11 novembre dernier. Ce jour-là, les 27 sapeurs-pompiers de la caserne n'ont pas eu le droit de participer au défilé, ce qui est pourtant une tradition dans la commune. Pas de présence non plus pour les allocutions et le pot de l'amitié. Pour exprimer leur désapprobation, certains Liffolois ont défilé avec des pancartes et la fanfare est restée silencieuse pendant le défilé.

Un évènement qui a marqué notre pompier anonyme : "ça fait chaud au cœur ce soutien de la population. Nous sommes tous très affectés par ce qui se passe. Pompier volontaire c'est un engagement. On donne de notre temps pour aider les gens. Eux le savent contrairement à notre hiérarchie visiblement".

Sept plaintes vont être déposées dans les jours à venir contre la direction du SDIS 88.

Un malaise général dans toute la France

Pour les pompiers et représentants syndicaux contactés, le problème ne se cantonne pas à la caserne de Liffol-le-Grand. Dans les Vosges, Épinal, Gérardmer, Rambervillers ou encore Charmes seraient concernés par ce management jugé toxique.

"Tous les officiers ne sont pas concernés, ils sont une dizaine à faire régner la peur, à vouloir montrer que ce sont eux les chefs" considère Alban Febvay qui se désole de voir que la situation ne se cantonne pas aux Vosges. "Ce qui se passe chez nous se retrouve aussi au niveau national. On estime à 15 les départements où on a exactement les mêmes problèmes de management inapproprié et de management par la peur. C'est apparemment une pratique généralisée. Sapeurs-pompiers volontaires ça n'est pas notre métier, on est là pour aider les gens, on ne devrait pas être traités comme ça".

Pour dénoncer cette situation délétère, les pompiers ont manifesté le mois dernier à Epinal aux côtés de la CGT. 

À Stenay dans la Meuse trois plaintes ont également été déposées à l'encontre de la direction du SDIS 55 et le S.S.P.V.F demande "d’engager une enquête administrative sérieuse par une société extérieure et n’ayant aucun lien avec l’établissement pour enfin faire une enquête impartiale".

Les racines du mal ?

Bruno Menard ne mâche pas ses mots, partout depuis des mois le secrétaire général du SPV France dénonce inlassablement les dysfonctionnements des SDIS et il croit savoir d'où vient le problème.

Si le système pompier tombe, c'est la guerre civile

Bruno Menard, secrétaire général du SPV France

"Le point commun entre toutes ces affaires c'est l'ENSOP, l'Ecole Nationale Supérieure des Officiers Sapeurs-Pompiers. Il y a une méthodologie de management qui est enseignée dans cette école et il y a dans le même temps des egos surdimensionnés. Ces personnes sont ensuite envoyées en région où elles doivent gérer des agents volontaires qui leur posent des problèmes et dont ils ne veulent pas. Clairement certains officiers ne veulent plus de SPV, et ils ne veulent plus être remis en cause dans leurs pratiques. C'est ce qu'a fait Julien Thouvenin à Liffol-le-Grand. Il a pointé les dysfonctionnements qu'il y avait et il s'est fait virer".

Bruno Ménard, dénonce aussi un jusqu'au-boutisme de ces officiers. "On a ouvert la boîte de Pandore. On a des plaintes de toute la France qui nous arrivent. Je ne dis pas pour autant que tous les officiers sont comme ça, mais il y a urgence à faire du ménage. Si le système pompier tombe, c'est la guerre civile ! On a déjà des services d'urgence défaillants dans certains départements mais si les pompiers ne peuvent plus assurer leurs missions c'est la fin" assène le président du SPV France, "c'est aussi ce que dit le général De Villiers".

Des temps d'intervention rallongés

Du côté de Liffol-le-Grand, avec sept SPV en moins, la charge de travail est plus lourde pour les sapeurs-pompiers restants, tous volontaires. Le maire de la commune s'inquiète pour eux et pour tous ses administrés. "Il y a un risque pour que les temps d'intervention soient rallongés s'il y a moins de sapeurs pompiers volontaires. Les Liffolois sont inquiets. C'est aussi pour cela qu'ils ont défendu leurs pompiers le 11 novembre. Nous sommes tous inquiets pour l'avenir de notre caserne et attristés par l'état psychologique de certains" se désole Cyril Vidot.

Yoann lui, attend de connaître la durée de sa mise à pied et s'il fera l'objet sanctions disciplinaires. Chez lui, sur le portemanteau, sa tenue de pompier attend de servir à nouveau.

*Nom d'emprunt.

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