Une grande consultation électronique a été lancée jusqu’au 24 mars dans les Vosges et en Alsace. La population est appelée à se prononcer sur un projet de réintroduction du grand tétras dans le massif. L'initiative est soutenue par le parc naturel des ballons des Vosges, mais les scientifiques du Grand Est sont majoritairement contre.
L’enjeu dépasse largement l’animal. Il ne resterait plus que quelques individus dans le massif. Alors le parc naturel des ballons des Vosges soutient un projet de "repeuplement", qui consisterait à aller prélever des individus en Norvège, pour les relâcher dans le massif.
Se poser la question d'une réintroduction est tout à fait légitime. Elle doit s'accompagner d'un certain nombre de mesures permettant au mieux d'anticiper le succès de l'opération. Avec le cas de la réintroduction du grand tétras, ces questions ont été complètement éludées !
François Guérold, écologue, professeur émérite de l'université de Lorraine
Laurent Seguin, le président du parc, justifie la démarche de réintroduction : "le parc a dans son ADN et dans sa charte, la défense et le renforcement de la biodiversité. Donc le parc en tant que structure ne peut pas laisser disparaître une espèce sans agir". Il estime "qu’énormément de choses ont été faites pour le tétras depuis maintenant une quarantaine d'années et il me semble que si on attendait que cette espèce soit disparue complètement en attendant une hypothétique réintroduction, ça ne serait plus un renforcement mais une réintroduction avec une génétique totalement différente, et on perdrait un peu de la souche vosgienne".
François Guérold, écologue et professeur émérite en écologie à l'Université de Lorraine, a participé au travail du Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel Grand Est (CSRPN). Les autorités lui ont demandé son avis, et le conseil a répondu qu’il était opposé à la réintroduction : "se poser la question d'une réintroduction est quelque chose de tout à fait légitime. Pour autant un projet de réintroduction doit s'accompagner d'un certain nombre de mesures permettant au mieux d'anticiper le succès de l'opération et ces mesures sont clairement listées et énoncées par un organisme international, l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Or avec le cas de la réintroduction du grand tétras dans les Vosges, ces questions ont été complètement éludées puisqu'on nous dit que tous les critères sont remplis alors que c'est tout à fait l'inverse".
Le grand tétras, une espèce du froid
Le président du parc ne partage pas cet avis : "on sait quel type de peuplement il faut pour le tétras. On sait aussi que la nature et le réchauffement climatique paradoxalement nous ont aidés à recréer des conditions de peuplement susceptibles d'accueillir du tétras, c'est-à-dire des peuplements clairsemés, mélangés, avec différents étages. Il me semble qu'aujourd'hui les éléments sont réunis. D'autres facteurs existaient déjà il y a quarante ans, ils sont toujours présents aujourd'hui, ils sont défavorables. C'est le cas effectivement de la surfréquentation de certains sites. Pour ça, il faut qu'on se mette tous autour de la table pour canaliser les flux, pour organiser les fréquentations et ménager des espaces de quiétude notamment dans le cadre du programme de réintroduction".
L’écologue mosellan confirme le caractère symbolique de la réintroduction : "le tétras, c'est une espèce emblématique mais une espèce emblématique d'une biodiversité qui est gravement menacée. L’erreur qui est commise par les partisans de la réintroduction c’est que c’est bien l'écosystème qu'il faut considérer et c'est sur l'écosystème que doivent se porter les mesures et pas cibler sur une espèce aussi emblématique soit-elle. La communauté scientifique est unanime là-dessus. Il faut avant tout restaurer nos écosystèmes forestiers. On nous dit que c'est une espèce qui supportera bien le climat vosgien. Personne n'a d’élément pour l'affirmer. Si on n'a pas réussi en quarante ans à freiner la diminution d'une population, comment pourrait-on y arriver actuellement alors que les causes de disparition des espèces ne cessent de s'amplifier ? On habite ici une région où en février, il n'a pas gelé une seule nuit. Alors imaginez une espèce qui aime le froid !".
À l’issue de la consultation, la Préfète des Vosges Valérie Michel-Moreaux prendra la décision d’autoriser ou non la réintroduction. Le parc espère un arrêté rapide, afin de prélever dès le mois d’avril des individus en Norvège qui seraient relâchés dans la foulée, avant la période de reproduction.