REPORTAGE. Affaire Grégory : la vallée de la Vologne, entre tourisme morbide et harcèlement médiatique

Quatre décennies après le meurtre du jeune Grégory Villemin, en 1984, certaines communes des Vosges restent toujours associées à l’un des faits divers les plus tristement célèbres de France. Les habitants de Lépanges-sur-Vologne, comme ceux des villages alentour, sont exaspérés par le "dark tourism", ou tourisme macabre, et l'acharnement médiatique qui mène visiteurs et journalistes jusqu’au pas de leur porte.

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Aumontzey, Docelles, Lépanges-sur-Vologne… ces villages vosgiens sont passés de l’anonymat à une notoriété lourde depuis l’assassinat de Grégory Villemin, un garçonnet de quatre ans, le 16 octobre 1984. Le nom de ces communes revient régulièrement sur le devant de la scène, à chaque rebondissement judiciaire ou lorsque l’un des protagonistes de l’affaire décède. Si le meurtre reste non élucidé, 40 ans plus tard, les habitants sont fatigués par le harcèlement médiatique et la curiosité qui pousse les visiteurs à visiter leur village pour des raisons parfois douteuses. Ils veulent tourner la page.

Le tourisme macabre lié à l’affaire Grégory

Quarante ans plus tard, ce fait divers fascine toujours autant. Chaque année, il pousse même quelques curieux à se rendre sur place pour voir les lieux du drame de plus près. L’attraction voyeuriste se retrouve jusque dans le registre de l’église du village de Lépanges-sur-Vologne, à quelques mètres du cimetière qui abrite l’ancienne tombe de Grégory Villemin. "Ceux-là viennent de Montbéliard (Doubs), par exemple. On peut lire "repose en paix petit ange", comme si c’était encore un bébé. Cela m’attriste de voir que les gens ne viennent que pour ça. Quand vous voyez la belle église que nous avons, la richesse de notre patrimoine. C’est malheureux de voir que les gens n’accordent pas plus d’importance à tout ça", soupire Danielle Didier, une habitante.

Sans que je m’en rende compte, c’était complètement voyeuriste

Jérémy P, administrateur du groupe Facebook "Christine Villemin est innocente"

Le meurtre non élucidé, les nombreuses lettres et appels anonymes des "corbeaux", les secrets et rivalités familiales, ou encore le fiasco judiciaire et médiatique… sont autant d'ingrédients macabres qui rendent l’affaire Grégory si intrigante pour certains. C’est le cas de Jérémy P, que nous avons pu joindre par téléphone. "J’étais en vacances en Alsace chez des amis. J’ai été attiré, comme un aimant, à une heure et demie de route. Je suis allé à Lépanges-sur-Vologne, près de l’ancienne maison de Christine et Jean-Marie Villemin (les parents de Grégory), sur les lieux du rapt de l’enfant. Puis j’ai continué vers Docelles, à l'emplacement de la découverte du corps. Sans que je m’en rende compte, c’était complètement voyeuriste. C’était il y a quelques années, maintenant, je vois les choses différemment", explique l’administrateur du groupe Facebook "Christine Villemin est innocente".

Chaque année, des personnes viennent à Lépanges-Sur-Vologne spécialement pour voir le lieu de la disparition de Grégory Villemin, photographier ou filmer son ancienne maison et sa sépulture

Sébastien Liarte, professeur à l'Université de Lorraine et spécialiste du "dark tourism"

Sébastien Liarte est enseignant-chercheur à l'Université de Lorraine. Ce spécialiste du "dark tourism" étudie l’attractivité de ce genre de lieux associés à la mort. "Le dark tourism est une forme de tourisme associée à la mort, qu’elle soit accidentelle, le fait d’une bataille, d’un désastre ou d’un crime. Il prend ici sa forme la plus morbide, la plus voyeuriste. En effet, chaque année, des personnes viennent à Lépanges-sur-Vologne spécialement pour voir le lieu de la disparition de Grégory Villemin, photographier ou filmer son ancienne maison et sa sépulture. Quelques kilomètres plus loin, ils s’arrêtent à Docelles, où le corps du garçon a été retrouvé dans la Vologne. D’autres se rendent aussi à Épinal, où l’affaire a été instruite, ou au cimetière de Jussarupt, où repose Bernard Laroche, l’un des suspects, abattu par Jean-Marie Villemin, le père de Grégory", détaille Sébastien Liarte.

Des habitants épuisés qui veulent tourner la page

Si les touristes se font plus rares aujourd’hui, pendant des années, un vent de folie a soufflé sur les Vosges. Michel L, 75 ans, habite à Docelles, à quelques mètres du lieu de la découverte du corps de l’enfant. Il a vu défiler des centaines de journalistes et de visiteurs. "C’est tout juste si nous n’étions pas accusés du crime. Il y avait des journalistes partout, jusque sur le toit de ma maison. Nous avons été envahis pendant des mois. Suite à cet épisode, il y a encore eu beaucoup de passage, les gens venaient voir. Ils venaient sur le pont qui surplombe la Vologne, voir où avait été retrouvé le petit Grégory. C’est devenu un lieu de visite. Ça a été très pénible", déplore le septuagénaire.

Lépanges-sur Vologne est un beau village qui mérite qu’on parle de lui pour autre chose que l’affaire Grégory

Marc Sabattier, 30 ans, habitant de Lépanges-sur-Vologne

Désormais, les habitants de Lépanges-sur-Vologne et des communes alentour veulent passer à autre chose. "Entre la série Netflix, les papiers ou blagues de mauvais goût dans la presse et les films, les personnes qui nous harcèlent jusqu’au pas de notre porte, c’est de l’acharnement. Le nom de notre commune revient toujours sur le devant de la scène pour de mauvaises raisons. On en a assez", lâche, exaspérée, Danielle Didier, 79 ans. Comme elle, ce jeune Lépangeois est bien décidé à se tourner vers l’avenir. "Il est temps de passer à autre chose. Pour ma part, je n’ai même pas connu cette affaire, je suis né bien après les faits. On rabâche toujours la même chose dans les médias, c’est un peu saoulant. Il faut vivre le présent, laisser le passé au passé. Lépanges-sur-Vologne est un beau village qui mérite qu’on parle de lui pour autre chose que l’affaire Grégory", insiste Marc Sabattier, 30 ans.

On voit débarquer des gens en voiture ou en camping-car qui nous demandent où se trouve la tombe de Grégory, c’est insupportable

Danielle Didier, 79 ans, membre du collectif "Stop au Lépanges bashing"

Le traumatisme du harcèlement médiatique et de la fascination des visiteurs est toujours présent. Lassés d’être associés à l’affaire Grégory, des habitants de Lépanges-sur-Vologne ont fondé un collectif pour protester contre l’attention macabre dont leur commune fait l’objet. "Quand on va au cimetière pour honorer nos proches et qu’on voit débarquer des gens en voiture ou en camping-car qui nous demandent où se trouve la tombe de Grégory, c’est insupportable. La tombe de Grégory, elle est là mais il n’y a rien dedans, plus rien ! Pourquoi viennent-ils ? Il faut passer à autre chose, on veut vivre normalement. Lépanges est dotée de plusieurs infrastructures scolaires et médicales, d’une vie associative variée, d’un patrimoine historique et naturel très riche. On y vit très bien", insiste Danielle Didier, 79 ans, membre du collectif "Stop au Lépanges bashing".

Quatre décennies après l’assassinat du jeune Grégory Villemin, les habitants de la vallée de la Volgone semblent déterminés à casser les clichés et à défendre les atouts leur territoire, bien trop longtemps associé à l’un des faits divers les plus tristement connus de France.

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