Scandale Nestlé Waters : 4 questions à la sénatrice écologiste Antoinette Ghul, "l'escroquerie dure depuis 20 ans"

L'affaire des pratiques frauduleuses de Nestlé Waters est-elle relancée ? Après avoir évité un procès, le minéralier qui produit trois marques dans les Vosges, est de nouveau visé par le rapport d'une mission flash initiée par le Sénat. Une synthèse qui met aussi en cause l'inaction de l'État.

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Antoinette Ghul est la rapporteure écologiste de la mission parlementaire flash sur les pratiques de Nestlé Waters réalisée entre juin et octobre 2024. Son objectif : faire la lumière sur les fraudes du minéralier et faire en sorte que ça ne se reproduise plus.

Aujourd'hui nous ne sommes pas certains que toutes ces fraudes ont cessé car nous avons un doute sur la traçabilité de l'eau.

Antoinette Ghul, sénatrice écologiste

Son rapport vient d'être présenté à la Commission des affaires économiques du Sénat, il pourrait aboutir à une commission d'enquête parlementaire. 

1 Que révèle ce rapport sur les pratiques frauduleuses du minéralier ?

Ce que l'on peut affirmer de manière certaine, c'est qu'il y a bien eu tricherie de la part de Nestlé Waters, il y a bien eu une forme d'escroquerie, car ce qui était vendu n'était pas ce qui était contenu dans les bouteilles d'eaux minérales. Une eau minérale naturelle est en effet une eau qui ne doit contenir aucun traitement, or là, Nestlé Waters savait parfaitement qu'elle faisait subir des traitements de dépollution de l'eau qu’elle mettait en bouteille.

Elle vendait sous quatre marques de l'eau minérale qui n'en était pas : Vittel, Hépar, Contrex et Perrier. Nestlé Waters a traité ces eaux depuis près de 20 ans, c'est ce que nous dit un des rapports de la direction générale de lutte contre les fraudes, et le gouvernement en a été informé depuis 2021 après l'intervention d'un lanceur d'alerte. Ensuite, Nestlé Waters a pris l'initiative d'aller avouer auprès des ministres concernés cette faute, y compris auprès de la première ministre en juillet 2021.

2 Est-ce que l'État n'a pas suffisamment contrôlé Nestlé Waters ?

Les ministres et gouvernements successifs qui ont eu à traiter ce sujet, n'ont pas pris la décision d'arrêter Nestlé dans la production et la mise en marché de ces eaux minérales naturelles qui n'en étaient pas. Autrement dit, le consommateur a été floué pendant de nombreuses années. Entre le moment où le gouvernement est informé et le moment où Nestlé Waters se remet dans la réglementation, il se passe plus de deux ans. Deux ans pendant lesquels des consommateurs ont acheté de l'eau minérale qui n'en était pas et l'ont payée 200 fois plus cher que l'eau du robinet, de l'eau qui subissait les mêmes traitements.

Les ministères ont mené énormément de contrôles, tout le monde a travaillé et en particulier les autorités locales. Mais ce qui n'a pas été fait c'est de demander à l'industriel d'arrêter de mettre en marché des produits qui n'étaient pas ce qu'ils étaient censés être et les consommateurs ont continué à être floués.

Autre point important, ils n’ont pas informé la Commission européenne, ce que les gouvernements auraient dû faire parce que nos eaux minérales sont vendues dans toute l'Europe et dans le monde entier. D'ailleurs, la Commission a mené un audit très sévère du gouvernement sur cette séquence.

3 Le problème est-il aujourd'hui réglé ? L'entreprise Nestlé Waters respecte-t-elle toutes les règles ?

Aujourd'hui, nous ne sommes pas certains que toutes ces fraudes ont cessé car nous avons un doute sur la traçabilité de l'eau. Il faut que nous soyons certains, lorsque l'État fait un contrôle, que l'eau qui est contrôlée soit bien de l'eau minérale naturelle. Et comme dans l'usine d'embouteillage, nous avons à la fois les eaux minérales naturelles et les eaux de boisson rendues potables par traitement, nous ne savons pas de manière certaine si les contrôles portent sur l'une ou l'autre de ces eaux. Il faut des inspections spécifiques, cela fait partie de mes recommandations.

Avec ce rapport, je compte solliciter les ministres en charge de ce dossier, ceux de la Consommation, de l'Industrie et de la Santé, afin de leur demander de prendre en compte ces recommandations.

4 Que permettrait une nouvelle commission d'enquête ?

Elle va reprendre l'ensemble de ces éléments, 34 personnes ont été auditionnées parmi les personnalités les plus importantes de ce dossier, à savoir les DG des grands minéraliers Nestlé, Danone, Cristalline, les préfets des départements concernés, les ARS, la DGCCRF, les agents locaux de la lutte contre les fraudes, les ONG, les syndicats qui vont permettre de poser un état des lieux. La commission d'enquête permettra de rendre publics ces auditions. Le Sénat décidera sur la base des procédures judiciaires en cours.

Au-delà de cette procédure, c'est aussi l'état national de notre ressource en eau qui doit être interrogé.

Nestlé Waters sous le feu des critiques

Contactée par France-Info, la direction de Nestlé répond que "ce rapport est une première étape, qui n’a pas encore fait l’objet d’un contradictoire, et doit être complété par les précisions apportées par Nestlé Waters sur les différents points soulevés, qui seront transmises prochainement. Ce projet de rapport est donc encore appelé à évoluer et ne constitue pas une position définitive de l’administration.

Le minéralier avait échappé à un procès en signant le 10 septembre 2024 une convention avec la justice, lors de laquelle elle acceptait de payer deux millions d'euros d'amendes. Un accord qui avait ulcéré de nombreux défenseurs de l'environnement, parmi lesquels Food Watch qui continue à se battre pour que la vérité des fraudes soit révélée.

Dans les Vosges, une enquête préliminaire visant Nestlé Waters est en cours pour exploitation de forage sans autorisation. La plainte est portée par le Collectif Eau 88.

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