Vosges : la forêt pourrait flamber comme dans le Sud de la France

Ce n’est pas un scénario catastrophe. La forêt vosgienne pourrait bien s’enflammer dans les prochaines années comme les feux qui ravagent les forêts du Sud de la France. En cause : la sécheresse, l’évolution du climat et le scolyte, cet insecte qui s’attaque aux épicéas et sapins.

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Il suffit de lever les yeux. De regarder la couleur des arbres pour comprendre l’ampleur du phénomène. Un peu partout, quel que soit l’endroit, vous observerez ces arbres rougis, comme brûlés par un fer trop chaud : le soleil. 10% de la forêt vosgienne est touchée, 220 000 m3 de bois à la fin du mois de septembre, contre 50 000m3 en 2018.


Trois raisons à ce cataclysme : la sécheresse, l’évolution du climat et le scolyte, cet insecte ravageur qui décime les populations d’épicéas et de sapins dans les Vosges. Un phénomène qui n’est pas propre à la forêt vosgienne mais qui touche toutes les forêts d’Europe.

Risque d’incendies avérés

Pour bien comprendre, Gilles Oudot, forestier à l’ONF nous emmène dans la forêt domaniale de Remiremont, à quelques kilomètres à peine du centre ville. Un endroit bien connu des citadins avec une aire de pique-nique, des sentiers pour les joggeurs et cyclistes au milieu des arbres,  l’endroit rêvé pour décompresser. Un endroit qui pourrait bien être interdit au public dans les prochaines années.

La forêt est en train de devenir dangereuse


Gilles Oudot, Responsable de l’Unité Territoriale ONF de Remiremont


"Vous êtes ici dans une zone d’accueil du public et en même temps, vous avez des arbres qui déperissent, qui sont secs. Au moindre coup de vent, vous allez avoir des chutes de branches, des chutes d’arbres, des risques d’incendie. Certaines zones de la forêt devront probablement être fermées au public dans les années qui viennent" prévient le forestier.

Avec un risque d’incendies accrus, chaque année toujours plus. Le préfet des Vosges a pris un arrêté en ce sens au cours de l’été 2020, interdisant tout feu en forêt, y compris les barbecues.
"Nous avons maintenant dans les Vosges, les mêmes conditions que dans le Sud de la France. Il va falloir changer nos habitudes en forêt car au moindre risque, au moindre mégot jeté, tous ces bois morts pourraient s’enflammer." prévient le forestier.

3 fois plus de scolytes qu’il y a 30 ans

Au dessus de l’aire de pique-nique, une zone à nu, comme rasée : toute une parcelle décimée par le scolyte vient d’être coupée par les bûcherons durant l’été. Un peu plus bas, une autre parcelle d’épicéas encore debout mais pour peu de temps.

Cette parcelle était complètement verte il y a encore six mois.   


Gilles Oudot.

 "Les peuplement étaient sains. Vous pouvez voir les attaques d’insectes. Chaque trou correspond à la perforation d’un adulte. L’adulte rentre dans l’arbre, se loge sous l’écorce sous laquelle la femelle va pondre et creuser un certain nombre de petites galeries. C’est pour cela qu’on appelle cet insecte, le typographe. C’est fulgurant. La sève de l’arbre ne s’écoule plus et l’écorce tombe, puis les insectes s’envolent et vont coloniser d’autres arbres. On  a affaire à une armée d’insectes qui s’est développée à la faveur de l’affaiblissement des peuplements  et de la chaleur. Suite aux printemps doux et aux automnes doux, on constate qu’il y a plus de générations d’insectes qu’auparavant" explique Gilles Oudot.

On peut parler au moins de 3 générations d’insectes dans une année, au lieu de 2 il y a 30 ans. 


Gilles Oudot


Le scolyte est un insecte opportuniste, qui profite de l’affaiblissement des peuplements de sapins et d’épicéas suite aux modifications climatiques et aux épisodes de chaleur à répétition depuis une dizaine d’années.

Une hausse de 2 degrés des températures en 30 ans

"On a connu des années très séches en 2010, 2014, 2018, 2019, 2020. Les arbres qui sont affaiblis suite au stress hydrique, n’arrivent plus à se défendre et les insectes viennent les tuer en quelque sorte en quelques mois"  nous explique Gilles Oudot.  

L’arbre souffre alors de stress hydrique.
"On a en même temps des périodes de canicule avec des températures très élevées qui provoquent un déperissement très fort, plutôt sur le sapin. En même temps, on peut être trois, quatre, six mois sans pluie, hormis des épisodes de deux ou trois jours très intenses, on reste donc des mois sans pluie alors que la forêt vosgienne, c’est la forêt humide. Traditionnellement, on devrait avoir de la fraicheur"explique le forestier.

Ici, aucune fraîcheur, un sol qui devient poudreux et qui se compacte à mesure des sécheresses.


Gilles Oudot


Le forestier nous montre la carte des relevés de températures de Bains-les-Bains, station thermale vosgienne située à une trentaine de kilomètres de Remiremont.
"On voit les températures de 1970 jusqu’aux années 2000 qui se situent autour de 9°, 9°2. On voit très nettement une élévation des moyennes qui sont à plus 10°, voire plus de 11° quand on regarde la courbe de ces dernières années avec des années exceptionnellement sèches : 2011, 2014, 2018, 2019 et on va encore sûrement battre un record en 2020. On a une hausse des températures de 2 degrés en 30 ans", constate le forestier.

Avec une problématique majeure pour les forestiers dans les années à venir : quelles essences replanter sur les surfaces décimées par le scolyte et la sécheresse ? Des essences qui soient capables de supporter des étés caniculaires et secs ; mais également les gels de printemps.  Des essences capables d’avoir la même rentabilité économique que l’épicéa et le sapin. Des essences capables de s’adapter à une hausse des températures dans les années à venir. Car si rien n’est fait pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement climatique pourrait atteindre 7 °C d’ici à la fin du siècle.  C'est ce qui ressort des travaux d'une centaine de chercheurs et d'ingénieurs français, notamment du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et de Météo-France, engagés dans le programme mondial de recherche sur le climat.

Quelle forêt pour demain ?

Alors les forestiers tentent d’anticiper et de s’adapter. Nous nous rendons sur la parcelle 160 de la forêt indivise du Girmont Val-d-Ajol dans les Vosges, totalement dévastée par le scolyte il y a cinq ans.

Une régénération naturelle s’est installée depuis, avec des pousses naturelles d’essences très variées comme du chêne,  bouleau, chataîgnier, du sapin, du merisier, ou encore de l’érable.

Il y a un, le forestier local avec l’accord de l’ONF a procédé à des essais avec des essences provenant de Corse comme le pin laricio planté par des élèves de l’école du secteur. Une vingtaine d’arbustes  protégés par un grillage pour que le gibier friand des semis, ne les mangent pas.
"Il faut bien avoir en tête que dans 50 ou 100 ans, ici, on aura un climat qui sera proche d’un climat méditerranéen ou d’un climat qu’on rencontre dans le Sud Ouest de la France. Donc la logique poursuivie par les forestiers, c’est de faire remonter des essences de ces régions là. Des essences qui auront la capacité de se développer pour donner du bois d’œuvre et en même temps, de s’adapter aux changements climatiques avec des sécheresses estivales, de plus en plus prononcées" explique Patrick Kubler, directeur ONF de l’agence Vosges Montagne.

"On va donc privilégier le mélange d’essences locales en faisant très attention à ce qu’il n’y  ait pas une essence qui domine  le peuplement si jamais cette essence devait manifester des points de faiblesse par rapport aux conditions climatiques de demain" ajoute le forestier. 

Autrement dit, on ne reproduira plus les mêmes erreurs que de par le passé. Avec une forêt vosgienne constituée majoritairement de peuplements de sapins et d’épicéas, aujourd’hui en grande souffrance.

La forêt vosgienne de demain ne ressemblera plus à celle d’aujourd’hui. Elle sera plus clairsemée, moins boisée aussi. Elle se rapprochera de la forêt que l’on peut voir dans le Sud de la France.

Reste une inconnue et de taille : cette nouvelle forêt saura-t-elle s’adapter à une hausse de 7° des températures d’ici la fin du siècle ? Aucun forestier n’est aujourd’hui en mesure de répondre à cette question.
  


 
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