Un rare moment de poésie, de rêve et de réflexion mêlés attend les visiteurs de l'exposition "Retours de mer" qui se tient jusqu'à janvier 2015 au musée des Beaux-Arts de Dunkerque.
Dans "un lieu où se retrouve l'identité", rien de plus naturel pour sa directrice et conservatrice en chef Aude Cordonnier, que cette exposition dans la cité portuaire flamande où se côtoient peinture classique de port et de combat naval, objets anthropologiques, surtout Océaniens, bois flottés mis en scène, éléments ou pièces sonores, et performances d'art contemporain autour d'un même thème: ce qu'a pu apporter le grand large à l'imaginaire collectif.
Pour montrer tout "ce qui revient de l'horizon", la sélection a été rigoureuse. Le visiteur suit un trajet structuré, en 10 sections --de "Vibration" à "salles
océaniennes: cosmogonie de la mer"-- avec d'évidentes préoccupations pédagogiques, à travers des salles lumineuses où peu d'artefacts sont disposés.
Mais le caractère universel de ce qu'ont apporté à travers les siècles le flux et le reflux de l'histoire maritime de l'Occident, et sa vision de la mer, dépasse
de beaucoup les aspects locaux. C'est ce qu'a voulu celui qui a "proposé" l'exposition, Jean Attali, professeur de philosophie, en collaboration avec l'équipe du musée.
Du local au global
Depuis sa conquête par Louis XIV, Dunkerque a d'abord été un port de guerre et de pêche, avant d'être un port de commerce. L'absence ou la rareté, jusqu'à 1878, de grands négociants, par rapport à Saint-Malo, Nantes et Bordeaux, explique qu'il ait moins trempé dans le commerce triangulaire et la traite des esclaves. Mais une lettre de 1784 exposée dans une vitrine montre que Dunkerque y a quand même marginalement participé.Un tronc de 1630 collectant les dons pour la libération des esclaves rappelle aussi que les corsaires de la côte des Barbaresques réduisaient des Français à l'esclavage. "Dieu vous le rende", peut-on lire. "Dans le parcours artistique, on va vraiment du local au global, et du tragique à l'élégiaque", comme du passé au contemporain, "avec des oeuvres significatives", souligne Mme Cordonnier.
Evasion onirique
On y trouve un des tableaux de Courbet ayant pour sujet "la vague" (1869), "chef d'oeuvre absolu de l'histoire de l'art", estime la conservatrice, où l'élément océanique liquide est quasi solidifié, minéralisé. Il est prêté par le musée du Havre jusqu'à fin janvier 2014.Dans une autre salle passe en boucle un extrait du film d'Alain Resnais "Je t'aime, je t'aime" (1968) où l'on voit un tout jeune Claude Rich s'exercer à l'apnée devant une fille, avec palmes et masque.
Ailleurs, on tombe sur "les restes de la Méduse", de Valérie Favre, une installation contemporaine composée d'une oeuvre de 40 m2 au sol et d'une vidéo d'une durée de huit heures, où l'artiste raconte ses naufrages personnels. L'émotion peut aussi être provoquée par des photos d'une tête maori tatouée et momifiée, autrefois propriété du musée et restituée en janvier 2012 à son peuple d'origine, en Nouvelle-Zélande, comme par un film projeté en permanence, où l'on fait face à la mer.
Tout contribue ainsi à l'atmosphère d'évasion onirique et d'évocations historiques, sans moralisme. En accord avec le parti pris de départ, explique Mme Cordonnier, qui était de créer par "des rapprochements en discontinu" de souvenirs et d'émotions, "une tension et des décalages" s'adressant au travers d'images et de sons autant au coeur qu'à la tête.