Un demi-million de jeunes participeraient chaque année à des jeux dangereux, comme le "jeu du foulard" ou sa variante "de la grenouille", qui débouchent de plus en plus rarement sur des décès mais qui peuvent laisser des séquelles graves.
Environ 500.000 jeunes de 10 à 17 ans s'adonnent chaque année aux jeux dangereux. C'est du moins l'estimation des spécialistes, qui étudient ces jeux d'évanouissement (étranglement volontaire, blocage de la respiration...) de type jeu "du foulard", "de la tomate", "du rêve indien", et d'autres pratiques dangereuses comme "le petit pont massacreur" ou le catch.
"C'est un problème qui existe depuis longtemps", il y a peu de publications médicales, "alors que c'est devenu un vrai problème de santé publique", a relevé a Bertrand Chevallier, chef du service pédiatrie-adolescents-urgences pédiatriques de l'hôpital Ambroise Paré.
Constat confirmé à Amiens. "Le problème ne disparaît pas, il s'amplifie !", affirme le professeur Patrick Berquin, neuropédiatre au CHU. L'intéressé connaît d'autant mieux le problème qu'il a participé en 2011, en tant que membre d'un comité d'experts, à la rédaction d'un document pédagogique sur ce thème.
Moins de décès, mais des séquelles
Les cas connus de décès causés par ces jeux "ont prodigieusement baissé", a souligné la présidente de l'APEAS Françoise Cochet, lors d'un colloque organisé par l'APEAS (Association de parents d'enfants accidentés par strangulation) et l'assureur scolaire MAE. Entre 2000 et 2013 "le maximum, c'est 25, cette année c'est deux." Dans le même temps, "les signalements ont augmenté", grâce aux actions de formation et d'information.
Mais les jeux dangereux provoquent aussi des séquelles irréversibles, selon les spécialistes. La mortalité "est la partie émergée de l'iceberg", a affirmé Bertrand Chevallier. Certains jeunes en gardent des séquelles cognitives ou motrices plus ou moins graves, sans qu'il existe de statistiques fiables, d'autant que les personnels soignants ne font pas nécessairement le lien avec des jeux dangereux.
Parmi les conséquences possibles, altération de la mémoire, cécité ou surdité partielle, épilepsie, risque d'atteinte cérébrale avec vie végétative, voire décès, a détaillé Jean Lavaud, pédiatre, ancien chef du Smur (service mobile d'urgence et de réanimation) à l'hôpital Necker.
Témoignages
Françoise Cochet ne connaissait pas ces jeux. "'Mon fils m'a parlé du jeu du foulard le jour où il l'a appris par un camarade. Je n'avais jamais entendu parler de ça. Jamais je n'aurais pu imaginer qu'on puisse faire des expériences pareilles. Je suis passée à côté des symptômes, jusqu'au jour où on l'a retrouvé mort dans sa chambre".
Florent, 13 ans, est mort aussi du jeu du foulard en 2009. "Ce fut un choc énorme", raconte sa mère, Fabienne Tosi. "On était persuadé que c'était un suicide. On a eu la chance dans notre malheur de tomber sur un médecin qui a su nous expliquer la cause du décès. Beaucoup de parents enterrent leur enfant en pensant qu'il s'est suicidé".
Que faire face à "la violence aseptisée" ?
Les jeunes qui participent à ces jeux seraient animés par le désir "d'explorer un monde fantasmé, s'évader de la réalité ou faire partie d'un groupe".
L'anthropologue Thierry Goguel d'Allondans conseille aux parents de s'informer. "Si vous rentrez claqué du travail et votre enfant vous parle du jeu de la grenouille... si vous savez que c'est une variante du jeu du foulard, vous dites au gamin 'viens m'expliquer'". Pour prévenir, Jean Lavaud conseille de "parler de la physiologie. Le sang circule dans le corps, il est porteur d'oxygène, l'oxygène est vital , toute privation d'oxygène peut être extrêmement dangereuse". "Il ne faut pas faire de la prévention sur la nature du jeu, mais sur ce qui est en jeu", "parler positivement du corps", prône Jean-Luc Denny formateur académique jeux dangereux au rectorat de Strasbourg.
L'APEAS a lancé une pétition pour demander aux sites internet type YouTube ou Dailymotion de retirer les vidéos incitant aux jeux dangereux, sur le site jeudufoulard.com. L'espace numérique, déplore M. Denny "devient un lieu où certains jeunes vont professionnaliser leur pratique, mieux comprendre le rituel", avec une "banalisation". "La violence est aseptisée, on ne voit jamais les effets négatifs".