Anciens fleurons du style de vie britannique, les stations balnéaires, en déclin continu depuis quarante ans, sont devenus un territoire particulièrement fertile pour le parti populiste et europhobe Ukip, à deux mois des élections législatives dans le pays.
Du sable fin. La mer en face, avec vue sur la France dans les beaux jours. Un climat clément. De belles façades victoriennes. Et des falaises de craie qui ont inspiré le peintre Joseph Mallord William Turner.Bienvenue à Ramsgate dans le Kent, sur la côte Est de l'Angleterre, où Michel Lang a tourné "A nous les petites Anglaises" en 1976. Un petit coin de paradis ? Pas vraiment, selon l'Office National des statistiques qui classe Ramsgate et sa voisine Margate, où l'Ukip a réuni ses troupes vendredi et samedi, dans le top 10 des pires villes côtières du pays en croisant les chiffres de l'emploi, de la délinquance, de l'éducation et de la santé.
C'est d'autant plus déprimant que les stations balnéaires en général, de Blackpool à Clacton en passant par Hastings, comptent parmi les "endroits les plus délabrés du Royaume-Uni", selon l'ONS.
A Ramsgate, derrière un prétendu décor de carte postale, la rouille ronge le métal, les façades sont lézardées et les carreaux souvent cassés.
"Dans les années 1950 et 1960, Ramsgate était en plein boom. Depuis c'est la descente aux enfers. De loin, le cadre peut paraître enchanteur. Mais derrière, on a un énorme problème de chômage", soupire John, un habitant.
Avec la démocratisation des voyages au soleil pas chers, notamment vers l'Espagne, l'industrie du tourisme s'est effondrée. Quelques stations, comme Brighton, au sud, ont su résister en diversifiant leur économie. Mais la plupart, isolées et mal desservies, peinent à attirer des investisseurs. En 2011, Margate était la première ville du pays en termes de commerces ayant fermé leurs portes dans l'année. Certains hôtels abandonnés ont été transformés en logement sociaux.
La chute de l'immobilier a attiré "cas sociaux, déséquilibrés et toxicomanes", indique un rapport en 2013 du "Centre for Social Justice", un think tank conservateur. "On est devenu le dépotoir de Londres", accuse Jack Tyler, un retraité.
Terres "abandonnées", "sacrifiées"
De ces terres "abandonnées", "sacrifiées", l'Ukip a fait son terrain de chasse. Fin 2014, le parti à identifié douze circonscriptions sur lesquelles il allait "mettre le paquet" en vue des élections législatives de mai. Dix se trouvent sur la côte est ou sud du pays. "Ces anciens ports de pêche et villes avec une population blanche, âgée et peu qualifiée représentent un territoire idéal pour l'Ukip", souligne Robert Ford, professeur de politique à l'Université de Manchester.L'une d'elles, Clacton, est déjà tombée dans l'escarcelle du parti, où Douglas Carswell est devenu le premier député Ukip de l'histoire lors d'une législative partielle en septembre. Et le leader du parti, Nigel Farage, est en tête des sondages à South Thanet, la circonscription qui comprend Ramsgate.
"Le problème, c'est les immigrés. Ils viennent pour se soigner gratuitement sans avoir mis le moindre penny au pot. On accueille tous les immigrés de Calais. Les écoles, les hôpitaux sont sous pression. C'est intenable", souligne un habitant, Phil Harris, qui votera "sans hésitation" pour Farage.
Ici, plus qu'ailleurs encore le discours anti-immigration et anti-européen fait mouche. Au congrès de l'Ukip à Margate, un militant est allé jusqu'à proposer d'aller "personnellement bombarder Bruxelles aux commandes d'un bombardier Lancaster de la deuxième guerre mondiale". "Il y a trop d'étrangers, dit Jack Tyler. Ma femme ne veut même plus aller dans le centre-ville, c'est à peine si on y entend encore parler anglais."
Les chiffres du recensement sont pourtant formels. Dans les villes côtières, l'immigration est nettement inférieure à la moyenne du pays. Pour Charlene Flynn, une autre habitante de Ramsgate, ce décalage s'explique par le fait que "la plupart des gens ici ne sont jamais sortis du Thanet". Pour elle,
"Nigel Farage est un fasciste" qui ne fait que prospérer sur "l'ignorance, la peur et la bigoterie" des victimes du déclin des côtes anglaises.