600 ans d'Azincourt : un ancêtre du général de Gaulle a-t-il vraiment participé à la bataille ?

Le général Charles de Gaulle se disait le descendant d'un certain Jean de Gaulle qui aurait combattu les Anglais lors de la célèbre bataille d'Azincourt le 25 octobre 1415. Mais il s'agit vraisemblablement d'une légende familiale qui repose sur l'amalgame entre deux personnages bien réels.


"Cette défaite est une affaire de famille", aurait dit un jour Charles de Gaulle à propos de la célèbre bataille d'Azincourt du 25 octobre 1415, l'une des pires débâcles militaires de notre histoire. Natif de Lille, le héros de la France libre et premier président de la Ve République se revendiquait d'une lignée très ancienne, dont l'un des représentants se serait brillamment illustré au Moyen-Âge contre les Anglais. "Jehan de Gaulle (...) s'est illustré pendant la guerre de Cent ans en participant dans l'ost royal à Azincourt en 1415, tout en ayant déconseillé de combattre sur ce terrain défavorable (mais déjà « l'état-major » n'avait pas retenu ce bon conseil d'un de Gaulle, la défaite fut terrible et les 2/3 de la France occupés suite au Traité de Troyes en 1420 !)", peut-on ainsi lire sur le site de la Fondation Charles de Gaulle qui entretient la mémoire du général. "Il résista encore deux ans à Vire puis dût s'exiler en Bourgogne. Comme Robert de Baudricourt, La Hire, Dunois ou Gilles de Rais, il a fait partie de ceux qui, avec Jeanne d'Arc, soutinrent la cause du Dauphin Charles."


Cet étonnant parallèlisme entre Charles de Gaulle et ce prétendu ancêtre est régulièrement rappelé dans des biographies consacrées au général, comme celles de Max Gallo ("De Gaulle, l'appel du destin") ou de Bruno Larebière ("Charles de Gaulle"). "Jehan de Gaulle est dubitatif : la stratégie qui a été adoptée par Charles d'Orléans pour contrer les Anglais à Azincourt lui semble vouée à l'échec", écrit ce dernier. "Mais ce que propose le valeureux chevalier est par trop révolutionnaire : il prône la guerre de mouvement, alors que la tradition guerrière de la France consiste en un affrontement direct. Ce qu'il avait prédit est arrivé : les Français ont été défaits." Dans ses "Mémoires accessoires", l'amiral Philippe de Gaulle, fils du grand Charles, évoque lui aussi ce lointain ancêtre qui a combattu l'Anglais à Azincourt puis en Normandie. "C'est de lui qu'est issue la branche de notre famille, dont on trouve trace en Franche-Comté, à Vaudrey, entre 1570 (Jacques et Guyon de Gaulle) et 1665", affirme-t-il, bien qu'il ait pris soin, quelques lignes plus haut, de préciser qu'il y avait une "absence de preuves formelles". Effectivement, il y a de très gros doutes sur cette légende familiale. Car si un "sire de Gaules" a bien combattu à Azincourt, il est peu probable qu'il ait un lien quelconque avec le général.

Le "sire de Gaules" s'appelait... Pierre de Mornay

C'est Le Religieux de Saint-Denis, chroniqueur du début du XVe siècle, qui mentionne ce fameux Jean (ou "Jehan") de Gaules en pleine rivalité entre Louis, duc d'Orléans, et Jean Sans Peur, duc de Bourgogne. En 1405, "le duc d'Orléans chargea le vaillant chevalier, messire Jean de Gaules, gouverneur d'Orléans, de passer la Seine avec une troupe d'arbalétriers et cinq cents hommes, armés de pied en cap, pour s'emparer de Charenton​", écrit-il. Mais Le Religieux s'est en fait trompé de prénom (il se contentera de l'appeler "sire de Gaules" dans la suite de ses écrits). Le gouverneur d'Orléans, à l'époque, ne s'appelle pas Jean. Il s'agit de Pierre de Mornay le Jeune, seigneur de Gaulnes ou Gaule. Ce "sire de Gaules" était surtout connu par son surnom "Galiot" ou "Gauluet". En 1848, l'historien Francis Guessard lui a consacré une étude extrêmement fouillée à partir d'archives administratives, militaires, judiciaires et des écrits d'autres chroniqueurs médiévaux, comme Jean Juvénal des Ursins et Enguerrand de Monstrelet .


Ce "Gauluet" était originaire de La Ferté-Nabert (aujourd'hui La Ferté-Saint-Aubin), au sud d'Orléans. Né dans les années 1360, il avait combattu les Anglais dès sa plus tendre jeunesse dans le Périgord, le Limousin et le Poitou, aux côtés du connétable Louis de Sancerre. En 1400, il succéda à son père comme sénéchal de Carcassonne et de Béziers. Le duc Louis d'Orléans, frère cadet du roi Charles VI, le prit ensuite sous son aile et le nomma gouverneur d'Orléans. A la mort de son protecteur, assassiné en 1407 par des hommes du duc de Bourgogne, le sire de Gaules devint l'un des principaux conseillers de son fils, le jeune Charles d'Orléans. Il fut préposé à la garde du château de Blois, épousant pleinement la cause orléanaise (ou "armagnaque") face aux Bourguignons dans la violente guerre civile qui allait diviser le royaume de France.      

Un chevalier controversé

Contrairement à ce qu'affirment la Fondation Charles De Gaulle et certains biographes du général, ce n'est pas à Azincourt mais lors d'un épisode de cette guerre intestine que le sire de Gaules déconseilla à Charles d'Orléans de combattre l'ennemi frontalement. C'était en 1411 : les Armagnacs faisaient alors le siège de Paris, tenue par les Bourguignons. Ils hésitaient à attaquer la ville de Pontoise, plus au nord, où se trouvait le duc Jean Sans Peur. "Il ne faut point diviser notre armée ni aller à la rencontre du duc", aurait suggéré de Gaules avec d'autres seigneurs, selon Le Religieux de Saint-Denis. "S'il entre à Paris, vous n'aurez plus qu'un ennemi au lieu de deux, et vous pourrez plus librement que jamais courir au loin la campagne". Contrairement à ce que prétend la légende gaullienne, "Gauluet" fut entendu par le duc d'Orléans, qui se rangea à son avis, mais ce fut... un fiasco total. En entrant dans Paris, Jean Sans Peur consolida la défense de la capitale et repoussa les assauts des Armagnacs. Le "bon conseil" du sire de Gaules n'en était donc pas vraiment un. "Quelques uns même , comme il arrive toujours en pareil cas , soutinrent que l'avis de Gauluet et des autres anciens cachait une trahison", écrit l'historien Francis Guessard.


Il va sans dire que le sire de Gaules n'a absolument rien prédit concernant la bataille d'Azincourt qui se déroulera quatre ans plus tard. Mais il était bien présent ce vendredi 25 octobre 1415 pour affronter les troupes du roi d'Angleterre Henry V. Selon le chroniqueur Gilles le Bouvier, dit le "Héraut Berry", Gauluet était à l'avant-garde aux côtés du duc Charles d'Orléans. Mais d'après Le Religieux de Saint-Denis, il faisait partie des commandants de la cavalerie et son comportement fut loin d'être héroïque. "On chargea l'amiral de France messire Clignet de Brébant, Louis Bourdon et le sire de Gaule d'aller, avec mille hommes d'armes d'élite (ils étaient sans doute beaucoup moins nombreux NDR) et des mieux montés, disperser les archers anglais qui avaient déjà engagé le combat", écrit le chroniqueur. "Mais à la première volée de flèches que l'on fit pleuvoir sur eux, ils lâchèrent pied à leur éternelle honte, laissèrent leurs chefs seuls au milieu du danger avec un petit nombre de braves, se replièrent en toute hâte sur le centre de l'armée, comme s'ils eussent fui devant la foudre et la tempête, et répandirent l'effroi et l'épouvante parmi leurs compagnons".

Un autre "de Gaule" au siège de Vire en 1418 

Selon l'historien Francis Guessard, impossible de savoir si le sire de Gaules a pris la fuite lors de la bataille d'Azincourt ou s'il a été capturé comme son suzerain le duc Charles d'Orléans. Son nom ne réapparait dans les chroniques que deux ans après. Gauluet et ce qui reste du parti armagnac mènent alors une guerre sur deux fronts, contre les Anglais d'un côté et les Bourguignons de l'autre. Le vieux chevalier est chargé de renforcer certaines places fortes autour de la vallée de la Loire comme Fréteval, Châteaudun et Yèvre. En février 1418, on retrouve un "Compagnon de Gaule", capitaine de Vire, qui rend cette ville normande aux Anglais conduits par le duc Humphrey de Gloucester, frère du roi Henry V. Mais il s'agit d'un tout autre personnage. Pierre de Mornay, le "sire de Gaules", était encore gouverneur d'Orléans au moment de la capitulation de Vire. Il était également chevalier alors que le capitaine de Vire était un simple écuyer.


En 1932, un historien, Frédéric Alix, a mené des recherches approfondies sur le sujet pour le compte de la Société des Amis du Pays Virois.  Il a retrouvé la trace, dans les archives de la Bibliothèque de Caen, d'un certain "Jehan de Caulières, escuier, seigneur de Feugeray, capitaine et garde du chastel et de la ville de Vire", qui avait inspecté les fortifications des lieux en décembre 1416. Il est également appelé "Jehan de Gauliers" ou "de Gaulers" dans d'autres documents. Le glorieux ancêtre revendiqué par la famille de Gaulle, ce serait donc lui. "Après la capitulation de Vire, il ne se rallia pas à la politique d'Henry V, qui, le 19 avril 1419, confisqua ses biens de la valeur de 200 couronnes de revenu", explique Frédéric Alix. Ce Jean de Gaule a-t-il combattu à Azincourt quelques années plus tôt ? Rien ne permet de l'affirmer. On ignore également ce qu'il devint après la confiscation de ses biens. "Jean de Gaulle, qui défendit Vire contre les Anglais en 1418 était effectivement mon ancêtre", assurait Charles de Gaulle en 1964, dans une correspondance avec un magistrat de la cour d'appel de Caen, citée par Gérard Bardy dans "Charles le Catholique : De Gaulle et l'Eglise". "Après confiscation de ses biens, il alla s'établir en Bourgogne où ma famille résida". On peut toutefois douter qu'un farouche opposant à l'occupation anglaise se soit réfugié ainsi chez leurs alliés bourguignons... 

Ce qui est certain, c'est que ce Jean de Gaule normand n'a rien à voir avec Pierre de Mornay, le sire de Gaules mentionné par les chroniqueurs. Ce dernier continua à se battre contre les Anglais et les Bourguignons aux côtés du dauphin Charles, futur Charles VII. Il mourut le 3 mai 1423 dans son fief de La Ferté-Hubert (La Ferté-Saint-Cyr), six ans avant l'épopée de Jeanne d'Arc. Selon Francis Guessart, la guerre et sa fidélité à la maison d'Orléans l'avaient totalement ruiné, "si bien que le lendemain, 4 mai, pendant qu'il était encore étendu sur son lit de mort, sa veuve, Robine de Saint-Brisson, déclara renoncer à la communauté, et, suivant les formes solennelles en usage à cette époque , elle déposa aussitôt la bourse et les clefs sur le corps du défunt, en présence de l'évêque d'Orléans et de plusieurs témoins , ce dont elle demanda acte , qui lui fut délivré". Il ne semble pas avoir eu de descendance.
A lire
FRANCIS GUESSARD "Gauluet ou le Sire de Gaules" (1848)

FREDERIC ALIX "Compagnon de Gaule" in "Au Pays Virois" (1932)
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