Le projet de loi asile et immigration voté dimanche soir assouplit le "délit de solidarité". Mais laisse un flou préjudicable à ceux qui viennent en aide aux migrants, selon les associatifs. Qui dénoncent dans la région une autre pression, plus insidieuse, menée par les autorités.

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Après sept jours d'âpres débats, les députés ont adopté dimanche soir à l'Assemblée nationale le projet de loi "Asile-immigration" porté par le Ministre de l'Intérieur Gérard Collomb. Une partie du texte concerne l'assouplissement du fameux "délit de solidarité", qui n'existe pas à proprement parler dans le droit français, mais a été désigné ainsi depuis que des militants associatifs ont maille à partir avec la justice en raison de leur aide aux personnes migrantes. 

Le dit "délit de solidarité" fait en réalité référence à l’article L 622-1 du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), qui date de 1945. Il stipule que : "Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation, ou le séjour irrégulier, d'un étranger en France, sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 euros". Sa suppression est une revendication de longue date des associations, dont une centaine avait signé en janvier un manifeste "pour en finir avec le délit de solidarité".


Des exemptions au délit de solidarité


L'assouplissement voté dimanche prévoit des "exemptions" à ce délit, notamment lorsque "l'acte reproché a consisté à fournir des conseils et de l'accompagnement, notamment juridiques, linguistiques, ou sociaux, ou des prestations de restauration, d'hébergement, ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger". L'amendement propose également d'exempter "toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci, ou bien tout transport directement lié à l'une de ces exceptions, sauf si l'acte a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ou a été accompli dans un but lucratif".

François Guennoc, de l'Auberge des Migrants commence par saluer une avancée : "C'est bien que le débat eut lieu car c’est un vrai problème que des personnes puissent être embêtées par la police et la justice pour avoir aidé des exilés. Le texte de 1945 ne donnait pas de précisions sur les circonstances de l’aide apportée. Là, au moins, il y a quelques exemples sur le droit d’apporter une aide humanitaire, médicale etc.".


Le flou de "la contrepartie directe ou indirecte" gène le monde associatif


Mais le militant associatif calaisien tempère aussitôt ce premier enthousiasme. "Le flou autour de la notion de « contrepartie directe ou indirecte » est préoccupant. Cédric Herrou (militant condamné de la vallée de la Roya à la frontière italienne) a été condamné précisément sur cette question de la contrepartie car la cour a considéré qu’il avait tiré partie de son aide aux exilés car elle servait sa cause militante. Donc cette disposition laisse libre court à la subjectivité du juge", s'inquiète cette figure de l'Auberge des Migrants.


D'autres formes de pression sur les militants calaisiens


Si aucun militant associatif calaisien ou dunkerquois n’a été inquiété ces dernières années pour l’aide apportée aux exilés, François Guennoc déplore la pression exercée par les autorités de manière insidieuse et permanente selon lui, pour entraver et décourager leur action.
« Le préfet a convoqué dernièrement des militants britanniques de Help Refugies et de Refugies Community Kitchen (qui distribuent nourriture, vêtements et tentes en partenariat avec l’Auberge des Migrants) pour leur dire qu’ils n’avaient rien à faire à Calais. L’Auberge a été convoquée il y a trois semaines pour « installation illégale sur terrain d’autrui » pour des tentes distribuées à des exilés. La société qui nous fournit en palettes (transformées en bois de chauffage pour les migrants) a été menacée de perdre des marchés publics si elle n'arrêtait pas de nous approvisionner. Sans compter la pluie de contraventions reçues par l’Auberge pour "stationnement dangereux" lorsque nous distribuons les repas. »

La police enquête actuellement aussi sur les comptes de l’association calaisienne, ainsi que sur les comptes personnels de ses responsables, dont François Guennoc, une action qui s’inscrit là encore selon lui dans ce travail de sape mené par les autorités pour contrarier l’aide aux migrants.

Le risque d'une condamnation pour "aide au passage" des migrants


Des pressions, les bénévoles de Migr'action 59 n'en ont pas encore subies. Créé en janvier dernier, le jeune réseau réunit des chauffeurs et des "hébergeurs" qui offrent chaque week-end la possibilité aux migrants de souffler loin des difficultés de la jungle.

Sophie Djigo, qui en est à l'initiative, a conscience que les bénévoles pourraient être potentiellement poursuivis au motif qu'ils convoient des exilés vers la zone de passage du Calaisis. "Nous avons mesuré les risques et nous avons fait appel à un juriste au moment de la création du réseau", énonce-t-elle. "En cas de difficultés juridiques, notre ligne de défense consisterait à dire que le transport des exilés est indissociable de notre action : une prestation d'hébergement ponctuelle destinée à extraire des personnes des conditions indignes dans lesquelles elles vivent. Bien sûr, cela serait laissé à la libre appréciation du juge. Le risque zéro n'existe pas. Mais nous ne pouvons pas imaginer être condamnés pour avoir offert une douche et un repas à ces personnes", conclue la fondatrice de Migraction59.

Les prestations de restauration et d'hébergement à but non lucratif font partie des aides exemptées de poursuites du projet de loi asile et immigration.
Après le vote des députés, il sera examiné par les sénateurs, courant juin. La majorité de droite a déjà promis de "l'amender considérablement", pas nécessairement sur la question du "délit de solidarité".
La notion de "contrepartie" qui a justifié la condamnation d'un militant à la frontière italienne
En août dernier, l’agriculteur Cédric Herrou a été condamné en appel à quatre mois de prison avec sursis pour avoir aidé quelque 200 migrants à traverser la frontière italienne par la vallée de la Roya.
Pour le magistrat, l’agriculteur ne pouvait bénéficier des exemptions humanitaires aux termes desquelles l’aide au séjour irrégulier n’est pas punissable : « Lorsque l’aide s’inscrit dans une contestation globale de la loi, elle n’entre pas dans les exemptions prévues mais sert une cause militante qui ne répond pas à une situation de détresse. Cette contestation constitue une contrepartie » à l’aide apportée.
Cette notion de "contrepartie directe ou indirecte" aujourd'hui inscrite dans la loi "asile-immigration" inquiète les associations d'aide aux migrants car elle laisse libre court à la subjectivité des juges.  

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