Ce vendredi 2 août, cela fait un an que le centre provisoire d'hébergement d'Anizy-le-Grand a ouvert ses portes aux réfugiés. Cours de langue, accompagnement administratif, accès aux soins : en neuf mois, la structure prépare ses pensionnaires à l'autonomie. Rencontre.
Il est 13h30 à Anizy-le-Grand, entre Laon et Soissons, ce mercredi 31 juillet. Élodie Chereau, monitrice éducatrice au centre provisoire d'hébergement (CPH), gare sa voiture devant une grande maison en brique du bourg du village. Au deuxième étage, Thaaer Al Hamdan, 21 ans, l'attend patiemment pour son état des lieux de sortie. Ce soir, il dormira à Soissons où l'attend une nouvelle vie. Tout sourire, le réfugié syrien ouvre sa porte et accueille la travailleuse sociale dans son petit appartement, qu’il partageait jusqu’ici avec un autre réfugié de nationalité tibétaine.
Le premier centre provisoire d'hébergement de l'Aisne
Ce 2 août 2019, le CPH souffle sa première bougie. Avec 14 logements de tailles variées, il accueille 50 personnes, toutes bénéficiant du statut de réfugié. Les nationalités varient : des Afghans – la communauté la plus importante avec un tiers des réfugiés – des Syriens, mais également des Russes, des Chinois, des Congolais, des Albanais... Le centre les accompagne pendant une période neuf mois, prolongeable trois mois sur dérogation, et les prépare à l’autonomie. "Pour l’instant, tous les gens sont sortis à la date prévue, se félicite Bruno Blondel, chef de service. Quand ils rentrent, on pense déjà à leur sortie."Le centre dépend d’une structure nationale d’envergure : Coallia. Née au début des années 1960, l’association se spécialise très vite dans l’accueil des migrants. Elle compte aujourd’hui près de 300 sites dédiés à l’hébergement et à l’accompagnement social des personnes en situation d’exclusion en France. Sur l’ensemble du territoire, elle propose 8 755 places d’hébergement pour les demandeurs d’asile et réfugiés. "Ça fait dix ans qu’on estime que l’Aisne doit avoir un CPH", poursuit le chef de service. À 2 km de là, Pinon accueille depuis 2015 un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), le premier de France à avoir ouvert ses portes aux réfugiés syriens, mais le public n’est pas le même.
Assurer un logement et un accompagnement complet
À Anizy-le-Grand, trois travailleuses sociales assurent à temps-plein un suivi personnalisé des réfugiés. Élodie Chereau, l’une d’entre elles, a longuement travaillé avec les enfants autistes.Si la mission première du CPH est d’assurer un logement aux réfugiés, elle leur dispense également des cours de français, les accompagne dans leurs démarches administratives, leur garantit un accès aux soins et propose des activités culturelles et sportives. "On tient beaucoup au mot « accompagnement » , souligne Bruno Blondel, on ne fait jamais à leur place."Sur le plan personnel, j’avais envie de m’investir pour les réfugiés mais je n’avais pas le temps, précise la mère de trois enfants qui a intégré le centre en novembre 2018.
"J’ai remarqué qu’une nouvelle épicerie russe venait d’ouvrir à Laon, lance Élodie Chereau à Denis Lopatin, un réfugié politique russe. J’ai pensé que ça pourrait vous intéresser." Caricaturiste dans son pays, il dessine depuis sa plus tendre enfance : des scènes de cinéma, des hommes politiques ou des paysages. Mais son message dérangeait en Russie, notamment ses dessins de Vladimir Poutine, et il a dû fuir pour éviter la prison. Pris en charge par Cartooning for Peace, le réseau fondé par Plantu, il a obtenu le statut de réfugié à son arrivée en France en quelques jours seulement. Il dessine désormais régulièrement pour la presse, principalement des caricatures.
De l'est de la Russie à Anizy-le-Grand
Originaire de Kamchatka, une péninsule de l’est de la Russie proche de l’Alaska, il s’est fait épauler par un journaliste qui l’a aidé à quitter le pays pour la Biélorussie. De Minsk, il a pris un bus pour Varsovie, puis Berlin, Paris et enfin Créteil. Sa femme et ses deux enfants, désormais âgés de 13 et 10 ans, l’ont rejoint par la suite. Aujourd’hui, le dessinateur de 41 ans a appris le français. Dans quelques jours, il quittera le CPH avec sa famille pour une petite maison à Anizy-le-Grand, car le couple se plaît ici.Les gens du village nous ont bien accueillis, se réjouit Denis. Ils apprécient mon travail, plusieurs m’ont même demandé des portraits.
Pour les municipalités, accueillir des réfugiés est loin d’être un fardeau, mais plutôt une chance. Cela permet de redynamiser des bourgs souvent en peine d’attractivité et de maintenir l’activité scolaire d’un village grâce aux enfants qui viennent gonfler les effectifs des classes. Pour les travailleurs sociaux, c’est aussi le moyen de désenclaver les structures des grandes villes, saturées de demandes. Et pour les habitants, vivre au contact de nationalités différentes permet de déconstruire les préjugés. "Ils vont acheter le pain à la même boulangerie, emmènent leurs enfants dans les mêmes écoles et, inévitablement il y a des liens de solidarité qui se créent", explique Samir Guerfali.
Dans l’appartement de Thaaer, l’état des lieux touche à sa fin. "Comment ça s’appelle ça ?", demande le jeune homme, en désignant l’étendoir rangé dans la cuisine. L’apprentissage du français, qu’il maîtrise bien désormais, a été la plus grosse difficulté pour le jeune originaire de Deraa dans le sud de la Syrie. C’est en 2015 qu’il quitte son pays direction la Turquie, chez un oncle. Mais les maigres perspectives qu’offre le pays le poussent à continuer son périple, avec pour objectif l’Angleterre. D’abord la Grèce, puis la France et le grand saut dans l’inconnu.
J’avais perdu mon passeport, se souvient Thaaer, je ne savais rien de la France et je parlais avec les mains.
Pendant quelques mois, il erre à droite à gauche dans le nord de la France : un mois à Creil, un passage à Noyon puis à Dunkerque pour tenter la traversée mais, vite découragé, il est finalement pris en charge dans un centre d’accueil et d’orientation (CAO) à Laon, avant d’atterrir à Anizy-le-Grand.
Mission de service public
Lorsqu’il emménage dans le village, il n’a que 20 ans, un âge critique pour les réfugiés. Les jeunes isolés de moins de 25 ans n’ont pas accès aux prestations sociales comme le RSA. Et l’absence de leur famille ne leur permet pas de se préparer sereinement à l’autonomie. Heureusement, lorsqu'ils n'ont pas de ressources financières, le CPH assume leur prise en charge. Et ceux qui perçoivent un revenu, soit des aides de l’État, soit un salaire, participent à hauteur de 15 % de leur revenu, 30 % s’ils désirent bénéficier en outre d’une prestation alimentaire.La structure accomplit une mission de service public. Indépendante de par son statut associatif, elle est intégralement financée par l’État et soutenue par les pouvoirs publics locaux. Une situation qui présente des avantages certains. "On bénéficie de plus de souplesse et on a la force de proposition d’une association, explique Samir Guerfali, responsable de l’unité territoriale pour Coallia. Nous sommes convaincus d’avoir une influence sur le vivre ensemble et une utilité sociale.
Pour être moi-même fils d’immigré, je sais que l’exil est l’un des pires traumatismes possibles.
Nouveau départ à Soissons
L’état des lieux de Thaaer s’est bien passé : il rend sa chambre dans l’état dans lequel il l’a trouvée. La place libérée sera réattribuée d’ici trois semaines environ, moins en cas de force majeure. Le jeune homme chausse ses lunettes de soleil, et attrape ses affaires posées sur son lit, serein pour l’avenir. À Soissons, il va suivre une formation de dynamique vers l’emploi avant de s’orienter dans le domaine de l’électricité. "Ici, je ne pouvais rien faire, explique-t-il.La voiture chargée, Élodie Chereau, heureuse d’avoir pu, le temps d’un séjour, aider le jeune Syrien, l’accompagne une dernière fois. Direction la sous-préfecture de l’Aisne.Je veux juste faire ma vie comme tout le monde.