À Château-Thierry, le projet de revalorisation de l’ancienne piscine oppose défenseurs du patrimoine et municipalité

Le 26 mai dernier, les travaux de démolition de deux des trois bâtiments de l'ancienne piscine municipale de Château-Thierry dans l'Aisne ont commencé. Un dossier sensible sur lequel associations locales de sauvegarde du patrimoine et municipalité s'affrontent depuis plusieurs mois.

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"On était à proximité du site toute la journée parce qu'on avait vu les pelleteuses arriver juste avant le week-end. Comme il ne se passait rien, on a décidé de partir le lundi vers 18h. Et c'est à ce moment-là que les ouvriers sont venus pour entamer la démolition." Rémi Turc n'en revient toujours pas. Cet architecte et président de l'association de sauvegarde du patrimoine du sud de l'Aisne Domisiladoré raconte les faits avec un mélange d'amertume et de colère sourde.
 

Démolition nocturne

Il est environ 21h lundi 26 mai quand les engins de chantier commencent leur travail. En quelques heures, ils vont faire tomber deux des trois bâtiments de l'ancienne piscine municipale de Château-Thierry dans l'Aisne. À la lueur des projecteurs, alors que le soir arrive, la loge du gardien, le bâtiment abritant l'entrée et les vestiaires ainsi que la galerie vitrée les reliant aux bassins sont détruits.
 
Une démolition qui passe d'autant moins que selon Rémi Turc, elle s'est fait "en toute illégalité : il n'y avait pas d'autorisation de travail de nuit." Ce que confirme Sébastien Eugène, maire LR de Château-Thierry : "je ne m'explique pas pourquoi ils ont fait ça comme ça. J'ai été prévenu par le commandant de police. Je me suis rendu sur place pour faire arrêter les travaux. Ce qui a été fait. Le promoteur me jure qu'il n'était pas au courant et que c'est l'entreprise de démolition qui a pris cette initiative. En tout cas, la mairie n'a délivré aucune autorisation de travaux de nuit. On regarde avec le service juridique de la mairie pour dresser un procès-verbal qui déboucherait sur une amende". Stoppés dans la soirée, les travaux reprendront le lendemain matin.


À l'abandon depuis 2016

Pour l'association Domisiladoré, le mal est fait. Depuis plus d'un an, elle se bat avec l'association locale Globe 21 et 1'association nationale Sites et Monuments SPPEF pour que l'ancienne piscine municipale de Château-Thierry soit sauvegardée. Située sur les bords de la Marne, construite en 1970, elle est a l'abandon depuis 2016 : "lorsque Paris a été officiellement candidate aux JO de 2012, la mairie voulait accueillir des compétitions de natation, explique Rémy Turc. Mais la piscine n'avait pas assez de lignes de nage : 5 au lieu de 8 selon les standards olympiques. En plus, elle était mal isolée et pour la chauffer, ça coûtait cher. Une autre piscine a été construite, un "complexe aquatique" au nord de la ville."

Au moment de la désaffection du lieu, un sondage mené de la mairie demandait aux habitants quel avenir ils souhaitaient pour l'infrastructure : "un tiers était pour une rénovation en complexe sportif, un autre tiers en complexe culturel et le dernier tiers était partagé entre faire des logements ou des commerces. Mais il n'a jamais été question de démolition jusqu'à ce qu'un projet arrive en conseil municipal en 2018 à la surprise général où il était là question de démolition", raconte Remi Turc.


Repérée par le ministère de la culture

Dans le projet du promoteur privé, la piscine doit être rasée pour accueillir un pôle de loisirs avec un fast food, une brasserie et une crèche. "C'était pour faire avaler la pilule au conseil municipal", réagit Rémi Turc. Un projet adopté "avec zéro voix contre", tient à préciser Sébastien Eugène. Mais la crèche ne verra jamais le jour après avoir reçu un avis défavorable des services de la Protection maternelle et infantile de l'Aisne". "Parce que c'était une crèche Montessori qui était prévue, se défend le maire. C'est la méthode d'enseignement qui a été retoquée, pas le projet de crèche. On ne l'a pas relancé dans le projet suivant parce qu'on s'est rendus compte que ce n'était pas le meilleur endroit pour accueillir des enfants"

Rapidement, différentes associations locales se fédèrent pour demander le classement des lieux au titre des monuments historiques et le label architecture contemporaine remarquable sur la base de documents de la DRAC et de la Région Hauts-de-France. : "toutes deux avaient déjà identifié la piscine comme un bâtiment intéressant, selon Rémi Turc. En 2019, on avait organisé des visites pour les Jours nationales du Patrimoine et pour les Journées nationales de l'architecture : on avait eu l'accord du ministère qui en avait fait la publicité sur leur site internet. La piscine avait été repérée par le ministère, le Conseil régional et le Département de l'Aisne mais elle n'était pas du tout recensée par la mairie pour figurer sur son programme officiel."
 


Un recours au tribunal administratif

Autant de marques d'intérêts nationales qui, pour les associations de sauvegarde du patrimoine local, sont le signe que la piscine peut être sauvée. Elles déposent alors un recours en annulation au tribunal administratif d'Amiens contre le permis de construire qui comprend la démolition en avril 2019. "On pensait que le fait de déposer un recours était supensif mais on a découvert que non, explique Rémi Turc. On voulait faire reconnaître que le projet du promoteur contient des irrégularités en matière d'urbanisme et empêcher la démolition. Il reste le bâtiment principal à sauver et le projet à faire capoter. Pour le moment, on attend que le tribunal veuille bien statuer mais on n'a toujours pas de date d'audience".
 

Suite à ce recours, la municipalité entame "un temps de concertation et il m'est apparu important de garder l'ancien bassin, précise Sébastien Eugène. C'est lui présente le plus d'intérêt architectural : sa structure principale est en acier avec une technique de construction novatrice pour l'époque. Ce qui a été détruit était en briques rouges. Pour avoir parlé avec des architectes, ça n'a pas grande valeur parce que c'était typique des années 70. On peut toujours refaire l'histoire mais le fait de réussir à ne faire détruire que des annexes qui n'avaient pas de valeur patrimoniale et à garder la structure du bâtiment principal, je trouve que c'est pas mal."
 


Une demande de classement aux monuments historiques avortée

Dans le deuxième projet, les anciens bassins sont en effet toujours debout mais seuls cette structure principale est conservée. "Le reste du bâtiment est typique des années 70, explique Sébastien Eugène. Ça n'a pas un grand intérêt patrimonial". Une aberration pour les opposants : selon eux, étudiants, architectes et universitaires reconnaissent l’intérêt des trois bâtiments. "Ils forment un tout inspiré des œuvres de Jean Dubuisson et Ludwig Mies Van der Rohe, ce dernier étant mondialement connu pour ses édifices de brique et d’acier. Château-Thierry avait la chance de posséder une architecture du Style international, héritage du Bauhaus, regrette Rémi Turc. Il n'en subsistera que la charpente. Tout ce qui fait l'attrait du bâtiment, la vue sur la Marne, les bassins et les plongeoirs recouverts de céramique rouge, la mezzanine et toutes les baies vitrées vont disparaître", déplore Rémi Turc. On avait fait plein de propositions de reprise à la municipalité à partir des idées des habitants. Mais rien n'a été retenu puisque tout était déjà bouclé."

Pour Sébastien Eugène, l'équation est simple : la piscine n'étant pas classée monument historique, la mairie avait parfaitement le droit de la vendre. Et quand on lui demande s'il n'aurait pas fallu attendre les conclusions de la demande de classement, sa réponse fuse : "elle a été déposée après le projet de reprise ! Vous imaginez si à chaque projet de démolition, il fallait attendre les conclusions d'une commission de classement ? Rien en se ferait ! Quand on regarde l'état de notre église qui a plus de 500 ans ou celui de notre château.... La ville ne peut pas garder tout ce que tout à chacun considère comme du patrimoine. On fait le choix de garder ce qui est officiellement classé."

Rémi Turc déplore que les tranches de vie qui se sont déroulées dans ces bâtiments partent en poussière.
Et de conclure : "ça fait 50 ans que cette piscine est debout. En 50 ans, les gens ont eu le temps de se l'approprier. Beaucoup en parlent avec nostalgie."
 
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