Depuis janvier 2023, les betteraviers ne peuvent plus utiliser de néonicotinoïdes, ces insecticides "tueurs d'abeilles", pour protéger leurs semences des pucerons. Faute d'alternative efficace, Stéphane Lhotte, un agriculteur de l'Aisne a décidé de réduire de moitié la part de son exploitation consacrée à la culture de betteraves sucrières.
Chez les Lhotte, la betterave sucrière est une histoire de famille. Elle y est cultivée depuis des générations à Gricourt, dans l'Aisne. Elle représente aujourd'hui 35% de la surface agricole utile (SAU) de Stéphane Lhotte.
L'agriculteur de 43 ans y tient, mais en raison de l'interdiction des néonicotinoïdes - insecticides toxiques pour les insectes - et de l'absence "d'alternative efficace", il a pris une décision radicale. "Je vais diminuer de 50% la culture de betterave sur mon exploitation, car je prends trop de risques, et j'ai peur pour la survie de mon exploitation. J'ai une entreprise à faire vivre et une famille à nourrir", expose Stéphane Lhotte.
Les néonicotinoïdes définitivement interdits depuis janvier 2023
Ces néonicotinoïdes, introduits dans la semence, permettent de protéger la betterave de la jaunisse, transmise par les pucerons. Mais ils tuent aussi les insectes pollinisateurs comme les abeilles et représentent un danger potentiel pour l'environnement, la biodiversité et la santé humaine . En 2013, la Commission européenne estimait cependant que, dans le cas de la betterave, le risque pour les abeilles était moins important.
Dans les faits, les néonicotinoïdes sont interdits depuis 2018. Mais après une année 2020 marquée par la prolifération de pucerons et une baisse des rendements, le ministère de l'Agriculture français a accordé des dérogations aux producteurs de betteraves, pour un usage des néonicotinoïdes en traitement de semences, en 2021 et en 2022. Le 19 janvier 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a exclu l’utilisation des néonicotinoïdes pour les semences et le droit de déroger à l'interdiction européenne. Le gouvernement français a donc annoncé qu'il n'accorderait pas de nouvelles dérogations pour la filière betterave-sucre en 2023.
Perte de 40% des rendements en 2020
En 2020, Stéphane Lhotte a perdu "40% de [s]es rendements". Cette année-là, la filière n'était pas autorisée à utiliser de néonicotinoïdes. "Nous avons utilisé des produits phytosanitaires qu'on va réutiliser cette année en cas d'attaques de pucerons", avance l'agriculteur. En cas d'invasion, il pourra aussi compter sur la régulation naturelle permise par les coccinelles dont les larves se nourrissent de pucerons. Mais cela ne suffira pas à sauver la récolte, selon le betteravier.
D'autant plus que Stéphane Lhotte a commencé les semis le 5 avril car "les terres n'étaient pas prêtes à cause de la pluie". Habituellement, les semences de betterave sont mises en terre à la mi-mars. Or "les attaques de pucerons démarrent en général vers la mi-mai. Cette année, ils arriveront sur des betteraves plus petites, donc d'autant plus sensibles à la jaunisse", craint le cultivateur.
" On aura une indemnisation en 2023. Mais en 2024 ? En 2025 ?"
Le 9 février dernier, le ministre de l'Agriculture et les représentants de la filière ont confirmé que l'ensemble des pertes de rendements des betteraviers seraient indemnisées si la jaunisse frappait en 2023 . Stéphane Lhotte prend ces promesses avec des pincettes. "On n'a pas encore le détail du processus d'indemnisation", note-t-il. "En 2020, je n'ai pas été indemnisé à 100% parce qu'il y avait des franchises de 20%", appuie l'agriculteur. Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betterave (CGB) précisait en février que le dispositif serait "sans plafond, sans franchise".
Stéphane Lhotte a peur pour l'avenir. "On aura une indemnisation en 2023. Mais en 2024 ? En 2025 ? Sans alternative aux néonicotinoïdes, l'État va continuer à nous indemniser ? Ce n'est pas écrit dans le marbre, un autre gouvernement peut très bien changer les règles."
"Il faut nous donner le temps de trouver des alternatives"
Le betteravier fait partie d'un centre d'étude agricole regroupant une soixantaine d'adhérents pour lesquels un ingénieur tente de trouver une alternative aux néonicotinoïdes. En 2023, cet ingénieur va ainsi tester l'efficacité d'un produit de biocontrôle à base d'huiles essentielles. S'il fonctionne, encore faudra-t-il l'homologuer, ce qui pourrait coûter cher.
"Nous, les agriculteurs, allons savoir s'adapter, mais il faut nous donner le temps de trouver des alternatives", souligne Stéphane Lhotte. "Là, la France est en train de tuer la filière de la betterave." En 2021, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a identifié 22 alternatives aux néonicotinoïdes pour protéger les cultures de betteraves sucrières. Parmi elles, quatre sortaient du lot dont l’huile de paraffine et l’utilisation du champignon Lecanicillium muscarium.