Deux mois après l'incendie de l'usine Lubrizol, "tout ce qu'ont retenu les gens, c'est que notre lait n'était pas bon"

Le 26 septembre, l'incendie de l'usine Lubrizol de Rouen dégageait un nuage de fumée polluante qui a traversé l'Aisne, l'Oise et la Somme. Près de 600 exploitants agricoles ont subi des restrictions sanitaires. Parmi eux, Jean-Christophe Grandin, producteur laitier au Nouvion-en-Thiérache.


"Je me suis dit : c’est loin. Ça ne nous concerne pas. J’avais remarqué de légères traces noires sur les voitures blanches mais rien de très significatif."

Le 26 septembre, un incendie ravage l'usine Lubrizol à Rouen (Seine-Maritime). La fumée traverse les Hauts-de-France. Personne ne sait ce qu'il y a dans ce nuage, dont la possible toxicité inquiète. Les autorités préférent mettre en place des restrictions sanitaires sur les produits agricoles dans une centaine de communes de la région.

Pas de ramassage


Parmi elles, Le Nouvion-en-Thiérache. C'est dans ce village de l'Aisne que, depuis 2011, Jean-Christophe Grandin et sa femme élèvent 450 têtes de bétail dont 250 vaches laitières.
 

À partir du 29 septembre, il ne peut plus vendre leur production. Comme 312 producteurs laitiers dans l'Aisne, l'Oise, la Somme et le Nord. "On a appris qu’on était concernés le jour où le laitier n’est pas passé. On est restés là, avec notre lait. Et on a commencé à s’inquiéter. On a appelé la laiterie pour savoir ce qui se passait. Ils avaient eu l’ordre de ne pas ramasser le lait mais ils ne savaient pas trop ce qui se passait. On nous a dit : « On attend les ordres du préfet. » On ne savait rien de ce qui se passait ni combien de temps ça allait durer.

Et là, on s’est dit : « Ça doit être grave. ».


Des consignes au jour le jour


Impossible pour Jean-Christophe de stocker sa production sur son exploitation. Son tank à lait ne peut contenir que deux jours de traite. Et le ramassage du lait par la coopérative se fait tous les jours. "On était le deuxième jour. On ne pouvait plus tenir." Pendant16 jours, Jean-Christophe jettera le produit des deux traites journalières. Soit 160.000 litres de lait. "Au début, on n’a pas eu le droit de jeter notre lait. Un camion est d’abord passé le prendre pour le traiter. Mais les volumes étaient trop importants. Alors on nous a dit de le mettre dans une citerne, à part au cas où l’épandage pouvait polluer les sols."

On ouvre la vanne et on laisse couler le lait. Ça n’a pas l’air comme ça mais c’est un geste difficile.


Mais aucune directive précise ne lui est donnée. Tout se fait au jour le jour. "On ne savait jamais à l’avance ce qui allait arriver. On trayait tout comme il fallait et on apprenait au dernier moment qu’il fallait jeter. Moralement, ce n’est pas facile. On ouvre la vanne et on laisse couler le lait. Ça n’a pas l’air comme ça mais c’est un geste difficile. C’est la pire chose qui puisse arriver à un producteur de lait. Aller traire puis jeter le lait, c’est très dur. Ma femme l’a très mal pris. Je sais que des collègues aussi ont eu du mal. Ça ne m’était arrivé qu’une seule fois en 2010 : à cause de la neige, le laitier n’avait pas pu passer."
 

Des prélèvements tous les deux jours


Durant cette période, Jean-Christophe est en contact quasi constant avec les agriculteurs voisins, les techniciens de la coopérative, les syndicats. "Tout le monde a été très solidaire. Ça aide de sentir qu’on n’est pas tout seul. Parce que quand on jette son lait, on est tout seul". Mais même s'il suivait tous les jours les déclarations des uns et des autres, "c'était très abstrait. On ne comprenait pas tout qui se disait."
 

La Direction des services vétérinaires vient tous les deux jours pour faire des prélèvements d’herbe, de nourriture, de lait. De quoi alimenter les incertitudes. "On se posait beaucoup de questions : est-ce que notre lait est pollué ? Est-ce qu’il peut contaminer la population ?"

À mon avis, ils sont allés un peu loin.


Jean-Christophe estime que la situation a était "moyennement bien gérée" par les autorités, notamment le périmètre mis en place pour les restrictions sanitaires : "la ferme voisine n’a pas été concernée. Pour moi, c’était personne ou tout le monde, mais pas quelques-uns. Le principe de précaution est indispensable, mais à mon avis, ils sont allés un peu loin. C’est un vrai gâchis économique."
 

Une mauvaise image


En 16 jours, pas un litre de lait n'a été payé. "Ça aurait pu menacer l’exploitation à court terme. On n’aurait pas eu assez de trésorerie pour payer les factures. Heureusement, ça s’est très vite organisé : la laiterie a fait des avances et a été ensuite remboursée par le Cniel, le fonds d’indemnisation aux producteurs de lait. Mais ce n’est pas l’État qui nous a indemnisés."

Plus de deux mois après l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen, l’histoire n’est pas totalement terminée pour Jean-Christophe. "On est encore en train de remplir des dossiers de demande d’indemnisation. Moi, je veux une reconnaissance de préjudice moral et financier : on a quand même dû acheter de l’aliment pour nourrir nos bêtes autrement, vu qu’on n’a pas eu le droit de toucher à nos stocks de maïs."

Finalement, 12 jours après la mise en place des restrictions sanitaires, les analyses reviennent toutes négatives : le lait n’est pas pollué. Les végétaux non plus. Mais ça ne règle pas pour autant la situation. "Le vendredi, le ministre annonce qu’on va pouvoir reprendre. Mais on a encore jeté notre lait pendant 4 jours. Tout ça parce qu’un papier n’était pas signé et que c’était le week-end. Pour nous, ça a été 4 jours de trop. Et tout ce qu'ont retenu les gens, c'est que notre lait n'a pas été bon pendant 15 jours."
 
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité