Après sa condamnation à 15 ans de réclusion criminelle en juin dernier pour le meurtre de sa compagne Marie-José Povoa à Guignicourt dans l'Aisne en 2016, Sébastien Bonnet a fait appel. Il vient d'être remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire. Une situation incompréhensible et "inadmissible" pour les deux sœurs de la victime.
"On est en colère et on ne comprend pas ce qu'il se passe". Isabelle et Cécile Povoa sont les sœurs de Marie-José Povoa, 48 ans, dont le corps sans vie a été retrouvé le 27 juin 2016 dans la maison qu'elle occupait avec son compagnon, Sébastien Bonnet, à Guignicourt, dans l'Aisne.
Après six ans de procédure, le principal suspect a été condamné à 15 ans de réclusion criminelle le 29 juin 2022 par la cour d'assises de l'Aisne. Sébastien Bonnet a décidé de faire appel et sa demande de remise en liberté lui a été accordée. L'homme de 52 ans est aujourd'hui placé sous contrôle judiciaire.
"Au bout de six ans, on a un procès qui aboutit et puis après, on nous dit 'ah bah non finalement il est libre'. Il est au milieu de sa famille, il vit et nous, on fait quoi ? On survit", s'indigne Isabelle Povoa. Un mois après les faits, le suspect avait formulé des aveux en garde à vue avant de se rétracter. Les sœurs aînées vivent sa liberté conditionnelle comme une injustice. "L'avocate générale avait demandé 22 ans de réclusion criminelle pour meurtre aggravé. Il a eu 15 ans. Nous étions satisfaites mais, un mois après, la chambre d'instruction d'Amiens le relâche… On est consternées devant tant de laxisme", appuie Cécile Povoa.
"C'est une personne violente qui est en liberté. À partir de là, il peut arriver n'importe quoi", s'inquiète Isabelle. De son côté, l'avocat de la défense nous indique que son client respecte ses obligations judiciaires et qu'il reste, jusqu'à la décision de la cour d'appel, présumé innocent.
Si la demande de Sébastien Bonnet n'est pas exceptionnelle, elle reste rare, explique Matthieu Bourrette, le procureur de Reims à L'Union. Et comme "aucune décision définitive n'a été prononcée", la justice "applique la loi" découlant des principes de liberté et de présomption d'innocence, précise-t-il au journal.
Des violences conjugales dénoncées par la victime
Lors du procès, les témoignages ont souligné l'alcoolémie répétée de l'accusé et ses antécédents de violences conjugales. Des violences dénoncées par Marie-José Povoa sur son profil Facebook, la veille de sa mort. "Mesdames, je viens d'appeler la gendarmerie à 23h ce soir, pour porter plainte pour violence conjugale. [...] Ce soir il m'a violentée, j'espérais trouver réconfort en la gendarmerie nationale!! Mais non, mes dames, sachez que si vous n'avez pas de marques visibles de violence, on ne vous croit pas!!! Les gendarmes sont donc repartis en me laissant seule avec un homme violent et ivre (sic)", écrit-elle alors.
Le jour des faits, Marie-José Povoa appelle les gendarmes, expliquant avoir été victime de violences conjugales. Lorsque ces derniers arrivent, Sébastien Bonnet leur ouvre la porte, leur indique que sa compagne est sous la douche et leur demande de repasser plus tard. En fin d'après-midi, lorsque les gendarmes reviennent, les pompiers et le Smur sont déjà sur place.
"On a l'impression d'être revenues six ans en arrière"
Alors que la première piste envisagée est d'abord un suicide, l'autopsie révèle que la victime a succombé à une asphyxie, causée par une "compression cervicale". Mais les expertises ne parviennent pas à déterminer de cause irréfutable. L'hypothèse la plus probable étant une strangulation. Quant aux aveux de Sébastien Bonnet pendant sa garde à vue, lors du procès, son avocat a pointé le fait que l'enregistrement vidéo de l'audition n'a pas fonctionné.
La remise en liberté de Sébastien Bonnet cet été rappelle de mauvais souvenirs aux sœurs de Marie-José Povoa. "Le meurtrier de ma sœur est en liberté conditionnelle ! [...] C'est inadmissible. [...] On a l'impression d'être revenues six ans en arrière", s'indigne Cécile Povoa. En juillet 2016, après sa mise en examen pour meurtre aggravé, Sébastien Bonnet avait été placé en détention provisoire pendant plusieurs mois puis libéré et placé sous contrôle judiciaire en attendant son procès. "Notre avocate nous a dit texto 'je n'ai jamais vu un procès traîner autant'", souligne Isabelle Povoa qui, avec sa sœur Cécile, dénonce les lenteurs de la justice.
121 féminicides en 2021
Les sœurs Povoa reprochent aussi à l'État son inaction. "Les féminicides sont le cheval de bataille du gouvernement et on a l'impression que rien ne s'est passé, qu'on revient au point de départ", se désole Cécile Povoa. "Qu'est-ce que c'est le combat des féminicides à l'heure actuelle ? On aimerait bien le savoir. Est-ce qu'on avance ? Nous en l'occurrence, on recule presque", souligne son aînée.
En 2021, 122 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, selon le bilan publié le 16 août dernier par le ministère de l'Intérieur. Soit une hausse de 20 % par rapport à l’année précédente. Pour 2022, le collectif "Féminicides par compagnons ou ex" recense 82 féminicides.
Les deux sœurs sont bien décidées à ne pas baisser les bras. "Nous sommes prêtes à recommencer, à se battre, et on arrivera à avoir justice pour notre sœur parce que tout ça est inadmissible", assène Isabelle Povoa.