Dans la maison Bernard Figuet, à Saulchery, dans l'Aisne, les vendanges se déroulent en famille. Au total, 60 personnes ont été embauchées pour l'occasion. Des vendangeurs, venus pour la plupart de Pologne, qui reviennent travailler ici chaque année.
Qui dit plus de raisins à couper, dit plus d'embauches. Mais dans la maison Bernard Figuet, la question du recrutement des vendangeurs ne s'est jamais posée. Quand ils viennent une première fois ici à Saulchery, dans l'Aisne, ils reviennent. Le secret ? Prendre soin des travailleurs saisonniers comme des membres d'une même famille.
Résultat, à l'heure du départ, pas un vendangeur ne manque à l'appel. Et ils sont venus en nombre ce lundi 4 septembre. 26 Polonais et 23 Français, des voisins pour la plupart.
Edyta Kubicka, comme ses autres acolytes, est arrivée la veille. En montant dans la remorque qui va les emmener vers les vignes, elle arbore un large sourire : "ce sont mes premières vendanges. C'est fantastique, parce que je découvre un nouveau pays, un nouveau job !". Cheffe d'entreprise en Pologne, elle a pris des congés exprès pour participer à l'aventure, sur les conseils d'une amie.
Travailler dans la bonne humeur
Mais pas de temps à perdre, à 7h30, le soleil monte vite et la chaleur aussi. En moins de dix minutes, les vendangeurs arrivent sur une première parcelle.
Chacun récupère un panier et un sécateur. Le contremaître rappelle les consignes : "alors surtout les gars, on sera très vigilants cette année sur le pourri. Tout ce qui est pourri, vous le mettez par terre, pas sur la vigne", insiste Mikaël Primet. "C'est un peu le stress parce que c'est le premier jour, nous confie-t-il en aparté. Ça ne se passe pas toujours comme on veut, mais là, vu qu'on a déjà des habitués, ça nous facilite le truc et après, ça va bien se dérouler."
Les premières grappes tombent dans les paniers. Elles sont très chargées cette année. Certaines pèsent même jusqu'à 600 g, soit trois fois le poids habituel.
Maël Gardoni a pris le rythme, c'est la deuxième fois que le jeune pompier volontaire vient ici : "je loge chez mes parents et cette année il y a mon beau-père Fernando et en même temps, je suis avec les copains."
"Ils prennent soin de nous"
"C'est la première fois qu'on fait les vendanges en famille, confirme Fernando Da Costa. C'est agréable. On n'a pas trop l'occasion de travailler ensemble". "Ce sont des petits villages, reprend Maël. Tout le monde se connaît. C'est presque la même équipe que l'année dernière, même les Polonais, on les connaît déjà, contrairement à Reims parce que je suis à Reims d'habitude, où c'est plus industriel. Ici, c'est différent, il y a un esprit de famille. Tout le monde rigole, il y a une bonne ambiance. En plus, ils prennent soin de nous."
"J'adore les gens ici", avoue Igor Kapuscinski. Étudiant dans son pays, c'est la deuxième fois qu'il revient à Saulchery. "Ils sont gentils et le travail ici est très sympa. On s'entraide quand on ne va pas assez vite."
Dans les rangs, l'ambiance est bon enfant. On s'interpelle, on rit, on discute, mais on coupe.
Assise sur son trépied pliant, Edyta s'applique sans perdre le sourire : "je dois retirer toutes les feuilles, de haut en bas, comme ça... Tac tac tac. Je dois faire attention et prendre les beaux raisins. C'est bon pour la santé !"
Autour d'elle, les discussions vont bon train. Elle aussi travaille en famille : "Voici ma nièce Carla, Karolina en polonais, et là-bas c'est ma sœur Kasha, avec Adrian et Erick. On est une petite équipe."
"Water in the car !", lance Mikaël. C'est l'heure de la pause. "De cette chaleur, il faut surtout s'hydrater sinon ça va tourner les têtes. Ils annoncent 33°C cet après-midi, donc je préfère qu'ils boivent abondamment. Il le faut pour le bien-être des vendangeurs, on sait que c'est dur les vendanges."
"C'est pour aider ma sœur et mon beau-frère"
Au même instant, chez le viticulteur, Dominique Verdier et sa femme s'activent en cuisine. Ils sont aux fourneaux dès potron-minet. "On a déjà servi les petits déjeuners, avec de la charcuterie et du fromage, j'ai commencé à 5h et demi."
Car les vendangeurs sont logés sur place et nourris bien sûr. Un défi pour cet ancien boucher-traiteur qui doit "servir 57 personnes en une heure et quart, du début du repas à la fin !" Une manière aussi d'aider la famille dans cette période d'intense activité. "Je fais les vendanges depuis que je suis en retraite. C'est ma 9e saison. C'est pour aider ma sœur et mon beau-frère, sinon je n'ai jamais coupé le raisin."
Autour de lui, il y a aussi Mathis, une jeune apprenti, deux aides cuisinières et bien sûr, sa femme : "on est très famille, confie Hélène Verdier, pour nous, rendre service à la famille, c'est normal." C'est aussi l'occasion pour le couple de créer des liens : "disons qu'on a plus de contacts avec les Polonais qu'avec les Français parce qu'on les a toute la journée. Ils arrivent, ils nous font la bise et ils nous amènent des fois quelques cadeaux. Il y a un petit noyau qu'on connaît depuis le début et d'autres se greffent autour." En retour, Hélène leur prépare des pâtisseries maison : "on sait ce qu'ils apprécient et ils aiment manger différemment de chez eux."
"Je n'ai pas le droit à l'erreur"
11h, les premiers raisins débarquent au pressoir. Ceux d'Eric Figuet et ceux d'autres viticulteurs qui profitent du pressoir. Il s'agit de ne pas mélanger les paniers. Mais Isabelle, la femme d'Eric Figuet a l'œil. C'est elle qui pose les étiquettes. Tout est noté dans son cahier : "moi, ce sont les chiffres. Toute la journée, on me livre des kilos de raisins qu'on transforme en hectolitres. Je dois faire la conversion kilo/hecto. Il faut que tout soit nickel parce que ce sont nos comptes, mais aussi ceux de nos partenaires viticulteurs. Je n'ai pas le droit à l'erreur."
En cette fin de matinée, 176 caisses d'environ 47 kg chacune ont déjà été livrées. Aussitôt débarquées, aussitôt versées dans le pressoir. La chaîne est bien huilée. Les quatre pressureurs font valser les paniers.
Le jus s'écoule. Maxime Figuet, le fils, contrôle les niveaux. Pas question de dépasser un certain seuil, quotas obligent. Et quand le niveau est atteint, un geste et sa compagne Lydie ajoute juste ce qu'il faut pour que le liquide ne s'oxyde pas. Tout cela sous l'œil attentif du papa.
Passage de flambeau
"C'est une passation, explique Maxime. L'an dernier, mon père était plus présent. Maintenant, il approche de la retraite donc il me laisse un peu plus en autonomie." Alors qu'Eric Figuet s'approche de nous, le jeune homme poursuit : "mais il est toujours dans le coin pour contrôler." "Pour superviser, sourit le père. Ça se passe très bien, il est bien rôdé. C'est une routine en fait. On est habitué. C'est un bon apprenti et aussi une bonne équipe avec des gens qui viennent depuis très longtemps, depuis une quinzaine, voire une vingtaine d'années". "Ils sont là depuis 25 ans, précise Maxime. J'ai 29 ans. Ils m'ont connu tout petit, ils m'ont vu grandir."
"C'est très rassurant pour l'avenir, confie Eric. Le champagne sera toujours entre de bonnes mains. Je vais tout faire pour." Et Maxime de conclure : "il ne sera jamais très loin, mais il faut être exigeant. La moindre erreur, ça se paye cash."
Comme dans toutes les réunions de famille, la journée se terminera autour d'une table avec bien sûr un petit verre de champagne à consommer avec modération.
Cette année, la cueillette devrait se terminer vers le 15 septembre. Chaque jour, les vendangeurs extraient 600 caisses de grappes de raisins. La qualité promet un bon cru et qui sait peut-être un nouveau prix d'excellence.