Pauvreté, précarité alimentaire, isolement social : dans l'Aisne, "même un euro, pour nous, c'est important"

Crise du Covid, perte d'emploi, augmentation des prix du gaz et de l'électricité...Quand le moindre euro compte, de nombreux ménages ont recours à l'aide alimentaire. Quand s'ajoutent l'isolement social ou géographique, il n'est pas rare pour beaucoup de tomber dans la précarité alimentaire.

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Un sac plastique à la main, Cyril déambule dans les allées de l’épicerie solidaire Les quatre saisons à Hirson dans l’Aisne. Mise en place par la mairie, elle accueille chaque semaine une centaine de bénéficiaires. Des fruits, des légumes, des brioches, du sirop de grenadine… Cyril fait ses courses comme dans n’importe quel magasin d’alimentation. Mais ici, les prix sont 10 fois moins chers qu'en grande surface. Une aide indispensable pour ce père au foyer qui a deux enfants : "On essaye de faire des économies où on peut. En venant ici, ça aide vraiment. C'est ce qu'on paie en moins dans les magasins".

La Thiérache, un territoire pauvre et isolé

Cyril vit en Thiérache, un territoire rural situé au nord-est de l’Aisne. Un secteur très pauvre où le taux de chômage atteint 21% quant celui du département est de 11% et celui de la région d'un peu plus de 9%. Le taux de pauvreté est ici de 24% : une personne sur quatre est touchée par des questions de précarité monétaire.

À la caisse de l’épicerie, Sybille Delplanque, salariée du Centre communal d’action sociale d'Hirson qui gère la structure. Un brin désabusée, elle avoue que la situation s’est détériorée avec la crise du Covid : "ça a eu un impact sur les difficultés que peuvent rencontrer les gens notamment pour s'alimenter dans la mesure où les missions intérimaires n'ont pas pu être renouvelées."

La précarité alimentaire, la conséquence de multiples facteurs

C’est le cas de Dominique. La cinquantaine passée, le masque sur le nez, il choisit des yaourts sans trop faire le difficile : "Faut retrouver du boulot. Quand on a un certain âge, c'est difficile. Moi, je suis venu ici il y a déjà une paire d'années. Et puis il faut faire attention : même un euro, pour nous, c'est important."

La précarité alimentaire combine les notions d'insécurité alimentaire et d'exclusion sociale, le plaisir à manger et le lien social.

Quentin Rouffignac, auteur d'une étude sur la précarité alimentaire en Thiérache

Et de la précarité financière découle irrémédiablement une précarité alimentaire. "La précarité alimentaire est une notion qui n’est pas très bien définie, selon Quentin Rouffignac, étudiant en master économie sociale et solidaire et auteur d’une étude sur la précarité alimentaire en Thiérache. Ça va plus loin que l'insécurité alimentaire qui s'applique aux besoins nutritifs journaliers. La précarité alimentaire combine les notions d'insécurité alimentaire et d'exclusion sociale, le lien social et le plaisir à manger. La précarité alimentaire découle de l'exclusion pour les gens qui en sont touchés. Même si elles ont plaisir à cuisiner, ces personnes ne le font plus parce que leur isolement provoque une souffrance morale qui leur enlève le plaisir de manger. C'est le cas des foyers dont les enfants ont grandi et sont partis : avant, les gens prenaient beaucoup de repas avec leurs enfants; maintenant, ils sautent des repas ou c'est du vite-fait."

Quand l'urgence devient pérenne

Personnes âgées, étudiants… Si de nouveaux publics sont apparus parmi les bénéficiaires de l’aide alimentaire, il n’y a pas pour autant de profil type du précaire alimentaire : "On trouve toutes sortes de populations : des familles monoparentales, des personnes âgées, des personnes seules, énumère Quentin Rouffignac. Ce que l'on constate en revanche, c'est que la précarité s’est durablement installée : les personnes qui vont à l'aide alimentaire y vont souvent depuis plusieurs années. C'est une aide d'urgence qui s'est installée dans le temps."

L’aide alimentaire est en effet généralement la seule réponse à la précarité alimentaire. Que ce soit celle fournie par les associations comme la Banque alimentaire, les Restos du Cœur ou la Croix rouge ou par les CCAS des municipalités. Souvent, les personnes qui ont des difficultés d’accès à l’alimentation fréquentent plusieurs structures. Si toutefois, ces structures sont regroupées.

Déserts alimentaires

Car la précarité alimentaire, c’est aussi un problème de mobilité. C’est particulièrement vrai en Thiérache : sur ce territoire très rural, beaucoup sont géographiquement isolés. "En Thiérache, il y a une mauvaise répartition de l'aide alimentaire avec l’implantation des grandes surfaces essentiellement autour des principaux bourgs", constate Quentin Rouffignac.

On s'aperçoit que, dans les petits villages, on peut avoir une précarité alimentaire qui n'est pas traitée ou pour laquelle il n'y a pas de dispositif.

Vincent Szpakowski, responsable du CCAS d’Hirson

Ce que confirme d’expérience Vincent Szpakowski, le responsable du CCAS d’Hirson : "Il y a un manque de transports en commun. Et tout le monde n'a pas le permis de conduire. C'est des fois difficile de venir à Hirson pour faire quelques courses ou pour aller tout simplement chez un spécialiste médical. La précarité alimentaire fait partie d'une plus grande problématique. On s'aperçoit que, dans les petits villages, on peut avoir une précarité alimentaire qui n'est pas traitée ou pour laquelle il n'y a pas de dispositif."

La gratuité, un frein à l'aide alimentaire

Pour combler ces déserts alimentaires, de plus en plus d’épiceries solidaires sont créées dans les petites communes de Thiérache. Et dès 2022, une unité mobile sillonnera 26 communes autour d’Hirson. Des efforts que Quentin Rouffignac estime plus efficaces s’ils étaient coordonnés et mieux mis en lumière : "il y a clairement un manque d’informations autour de ces actions : les personnes en situation de précarité alimentaire ne savant pas toujours ce qui existe pour les aider, déplore-t-il. Il y a aussi un manque de cohérence entre les acteurs du secteur : ils ne se connaissent pas assez. Du coup, il n'y a pas d'interactions entre par exemple les Restos du coeur et un CCAS qui pourrait animer des ateliers cuisine. Et il faut changer le regard sur l'aide alimentaire : ce n'est pas réservé aux plus nécessiteux, tout le monde peut se retrouver un jour à avoir besoin de l’aide alimentaire."

Et d'ajouter : "il faudrait aussi remettre le citoyen au coeur de ces actions d'aide en faisant payer, même un peu, les colis : ça valoriserait les gens non plus en tant que bénéficiaires mais en tant qu'usagers. Parce que parfois, la gratuité, contrairement à ce qu'on pense, peut être un frein pour les personnes en situation de précarité financière et alimentaire."

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