Sur les bords de l'Aisne, la papeterie Everbal produit du papier recyclé. Mais l'entreprise qui communique sur le développement durable est une nouvelle fois inquiétée sur se pratiques environnementales par la préfecture, ce n'est que le dernier épisode d'une longue série de dysfonctionnements.
Sur le site web de cette papeterie, des champs et des arguments marketing qui font appel à la conscience environnementale : "Everbal, votre partenaire, spécialiste de la fabrication de papiers 100 % recyclés depuis plus de 40 ans, préserve les richesses naturelles, en développant des papiers responsables."
L'entreprise fabrique bien 40 000 tonnes de papier recyclé par an, c'est une filiale du groupe Clairefontaine. Mais derrière les éléments de langage, à en croire les rapports d'inspection et les arrêtés préfectoraux qui jalonnent ces dernières années, la réalité n'est pas toute verte. Depuis le 3 octobre, l'entreprise est mise en demeure de se mettre en conformité avec la législation.
Fioul lourd et quotas carbone
Le 26 juin dernier, les inspecteurs de la Dreal, la direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement des Hauts-de-France, visitent la papeterie située à Évergnicourt, tout près des Ardennes.
Pour produire de la pâte à papier à partir des vieux papiers qu'elle recycle, Everbal doit chauffer ces derniers avec de la vapeur d'eau. La chaleur est censée provenir de deux chaudières à biomasse installées en 2008 et 2012, alimentées par de la "plaquette forestière", c'est-à-dire des résidus de coupes d'arbres sous forme de copeaux de bois.
Les inspecteurs découvrent que pour l'année 2023, l'entreprise a utilisé sa chaudière au fioul lourd bien plus qu'elle n'est autorisée à le faire. L'entreprise a le droit de faire fonctionner cette chaudière au maximum 500 heures par an, en secours en cas de dysfonctionnement des chaudières à biomasse. En 2023, elle a été utilisée 1192 heures. Le rôle de secours est donc écarté.
Les arguments de l'entreprise ne sont pas convaincants pour les inspecteurs. "Lors de la visite, l'exploitant a fait mention de nombreux problèmes techniques sur les chaudières biomasse en 2023, mais les éléments mis à disposition de l'inspection n'ont pas mis en évidence de réels problèmes techniques nécessitant les arrêts complets et longs (...), peut-on lire dans le rapport. À noter aussi que l'opérateur en charge de la maintenance, interrogé sur les opérations menées en 2023, a confirmé que les chaudières biomasse n'avaient pas connu de problème particulier."
Cette chaudière est donc sortie de son rôle de secours, ce qui pose problème à deux niveaux. Premier problème : la combustion du fioul émet des substances très polluantes, les SOx et les NOx. La qualité de l'air a été impactée et en prime, la chaudière ne respecte pas le rendement minimum demandé par la loi.
Pour comprendre le deuxième problème que pose cette situation, il faut s'intéresser au marché européen des quotas carbone. De façon simplifiée, au-delà d'une certaine quantité d'émissions de CO2, une usine peut acheter le droit à polluer plus. C'est ce qu'on appelle un quota carbone, le prix est fixé sur un marché européen à la tonne de CO2 émise. Il fluctue : en 2023, le prix de la tonne de CO2 a atteint des sommets, près de 100 € la tonne sur certains mois. En 2024, le prix de la tonne de CO2 a beaucoup varié, mais s'établit en moyenne autour de 70 €.
Si une entreprise utilise plus de 95 % de biomasse locale pour produire son énergie, elle peut sortir de ce dispositif et n'a plus à acheter de quotas carbone, car son modèle énergétique est considéré comme vertueux. C'est ce qu'Everbal tente de faire depuis plusieurs années. Sa demande n'a jamais été acceptée en raison de problèmes dans les données fournies à l'administration. L'utilisation de la chaudière au fioul lourd éloigne un peu plus cette perspective. Les nombreuses imprécisions sont-elles dues à une tentative de dissimulation ? Cette question restera sans réponse, l'entreprise Everbal a refusé de donner suite à nos sollicitations.
De nombreuses atteintes à l'environnement
L'entreprise est également mise en demeure par la préfecture de respecter la législation en vigueur sur la provenance des plaquettes forestières qu'elle utilise. Celles-ci doivent venir d'un rayon de 50 km autour du site. Le rapport d'inspection de juin atteste qu'elles viennent parfois de plus de 100 km, ce qui augmente de fait les émissions associées à l'activité de la papeterie.
Ce n'est pas la première fois qu'Everbal attire l'attention dans le registre de la protection de l'environnement. Le 15 juillet 2017, l'eau de l'Aisne se teinte d'un bleu vif. Des centaines de poissons morts flottent, ventre à l'air. Un dysfonctionnement sur un bassin de la papeterie a entraîné le déversement d'un colorant, le cellusol turquoise, dans la rivière.
"La montée en charge des effluents dans les réseaux a eu pour conséquence d’orienter les effluents vers un ancien réseau de tuyauterie du site, inconnu de l’exploitant, et qui se rejetait directement dans l’Aisne" indique le rapport d'activité de la DREAL. En plus de sa toxicité pour les organismes aquatiques, ce produit entraîne chez l'humain des lésions graves de la peau et des yeux.
D'après l'arrêté préfectoral du 24 août 2017, l'entreprise n'a pas fourni de rapport d'accident suite à cette pollution. Sur cette portion de l'Aisne, la pêche est interdite jusqu'en décembre. Un an plus tard, en décembre 2018, l'entreprise est condamnée à payer 20 000 € d'amende et plus de 25 600 € au titre du préjudice moral et écologique à la fédération de pêche de l'Aisne.
Au printemps 2018, d'autres écoulements colorés sont constatés par les pêcheurs. Ils proviendraient de stockage de papiers et ne seraient pas dangereux. En 2019, une nouvelle suspicion de pollution est évoquée par la presse locale.
Le 25 juin 2023, c'est une nappe d'hydrocarbures qui recouvre les eaux de l'Aisne. La cuve où est stocké le fioul de la chaudière a dysfonctionné. "Un défaut de mesure de niveau dans la cuve intermédiaire a entraîné une alimentation en carburant au-delà de la capacité de la cuve et de la rétention associée. Le trop-plein du fait de la pente du sol s'est infiltré dans le mur et pollué l'Aisne" indique l'inspecteur. Le mur en question n'était pas étanche, souligne le rapport. C'est pourtant obligatoire pour toutes les zones de stockage de matières polluantes.
Des précisions quant à la fiabilité de la sonde de mesure du niveau sont demandées. "Le niveau de confiance accordé à l'efficacité de la sonde de mesure de niveau a écarté le scénario de l'accident. Le retour d'expérience doit inciter l'exploitant à évaluer le risque sur les équipements similaires à l'échelle du site" indique le rapport. L'entreprise est sommée de s'équiper d'une cuve de rétention à même d'accueillir tout le fioul stocké, en cas de problème.
En décembre 2023, les inspecteurs retournent sur le site. Ils notent qu'aucun registre ni procédure de nettoyage des zones de stockage du papier n'existent, bien que celui-ci semble correctement réalisé. Les inspecteurs notent aussi l'incapacité de l'exploitant à fournir les mesures de rejets de pollution atmosphérique pour 2023.
Pour ce qui est des risques de rejets de matières polluées dans l'environnement, "le plan des réseaux n'est pas complet, en effet les points de rejets ne sont pas correctement identifiés ainsi que le point de pompage. L'inspection identifie trois points de rejets (biomasse, stockage bobines et fabrication) sur les cinq autorisés. Les sens d'écoulement ne sont pas correctement matérialisés." Ces fameux réseaux ont pourtant déjà joué des tours à l'industriel. "Il n'existe pas de suivi du pH, de la couleur et des hydrocarbures pour les rejets d'eaux pluviales" relève enfin le rapport d'inspection.
C'est peut-être en raison de ce long passif que la direction d'Everbal refuse catégoriquement de communiquer avec la presse. Installations vétustes, gestion dépassée par l'exigence des normes actuelles ou négligence coupable ? En l'absence de dialogue, il reste l'éloquence des faits.