La présence de nombreux métabolites de pesticides dans l'eau potable n'est pas surveillée, malgré des risques connus

L'association Générations futures vient de publier un rapport prouvant l'absence de surveillance de nombreux résidus de produits phytosanitaires dans l'eau potable, alors que le risque de concentration de ces polluants est avéré. Pour certains, les Hauts-de-France sont en première ligne.

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Dans la famille des métabolites, ces résidus de produits phytosanitaires qui persistent dans l'environnement, il y a des noms bien connus en Picardie. Notamment les métabolites de chloridazone, qui privent d'eau potable les habitants de plusieurs villages de l'Aisne, comme Vaudesson ou Merlieux-et-Fouquerolles, pendant d'interminables périodes

Depuis 2022, l'ARS renforce épisodiquement la surveillance de l'eau de centaines de communes dans l'Oise, la Somme et l'Aisne, afin de surveiller ces indésirables issues de la dégradation d'un pesticide pour les betteraves interdit en 2020. 

Mais il y a aussi les métabolites qui passent sous les radars des autorités sanitaires et ils sont très nombreux. C'est ce que vient de révéler un rapport publié l'association Générations futures. Un travail d'enquête à la méthodologie complexe, qui montre les failles de la surveillance de la qualité de l'eau. Sans surprise, les Hauts-de-France, région d'agriculture chimiquement intensive, pourraient être particulièrement concernés par ces pollutions invisibles. 

"L'iceberg" des métabolites non surveillés

Dans son rapport, l'association Générations futures, fondée par le Creillois François Veillerette, utilise la métaphore de l'iceberg. Les métabolites surveillés sont la partie émergée, minuscule en comparaison avec la masse des inconnues qui reposent sous la surface des analyses sanitaires. 

310 produits phytosanitaires sont actuellement autorisés en France. Tous produisent des métabolites en se dégradant, mais certains sont rapidement détruits par les éléments. D'autres, comme les PFAS, se dégradent très lentement dans la nature, on les appelle "polluants éternels". 

Lors de la mise sur le marché d'un produit phytosanitaire, l'ANSES, agence nationale pour la sécurité sanitaire, publie un dossier d'autorisation. Ce dossier évalue notamment le potentiel de concentration des métabolites de ce produit dans les cours d'eau et nappes phréatiques grâce à une modélisation.

Ces données sont disponibles pour les autorités sanitaires qui auraient dû faire ce suivi.

François Veillerette

Fondateur de Générations futures

Entre 2011 et 2015, ces données étaient publiques. Elles ne le sont plus, l'association s'est donc concentrée sur les substances autorisées pendant ces quatre ans pour identifier les plus à risque d'atteindre de forts taux de concentration dans les nappes phréatiques.

Résultat : 39 substances autorisées en France présentent des métabolites qui risquent de se concentrer dans l'eau et pour lesquelles la modélisation de l'ANSES est publiquement accessible. 8330 tonnes de ces produits ont été utilisées en 2021, dernière année pour laquelle les données sont disponibles. 

Ces 39 substances produisent 79 métabolites à risque. Vingt-trois d'entre eux ont été surveillés au moins une fois par les agences de l'eau. Les 56 restants n'ont fait l'objet d'aucune surveillance de la part des ARS, qui décident au niveau régional des polluants qu'elles recherchent ou ne recherchent pas. 

"C'est un vrai problème, car toutes les données sont disponibles dans les dossiers d'homologation, réagit François Veillerette, fondateur de Générations futures. Ces données sont disponibles pour les autorités sanitaires qui auraient dû faire ce suivi, pour savoir à quel niveau ces métabolites sont présents dans les eaux.

Seuils à géométrie variable 

"Les métabolites concernés viennent de substances parfois dangereuses, soupçonnées d'être cancérogènes, toxiques pour la reproduction, perturbatrices endocriniennes, souligne François Veillerette. Même s'il y a un manque de données sur la toxicité de nombreux métabolites, ce n'est pas une raison pour ne pas les rechercher."

Cette absence d'évaluation de la toxicité mène à des situations curieuses. Ainsi, pour qu'une eau potable soit conforme à la norme sanitaire, elle ne doit pas présenter une concentration d'un produit phytosanitaire ou métabolite supérieur à 0,1 microgramme par litre et pas plus de 0,5 microgramme pour le cumul de plusieurs substances. Sauf si une valeur maximale de concentration précise a été décidée suite à une évaluation de la toxicité de la substance. 

Mais en l'absence de connaissance sur sa toxicité, les autorités locales peuvent décider qu'une eau "non conforme" reste propre à la consommation. En 2022, le gouvernement évaluait ainsi que 10,26 millions de Français ont bu une eau dépassant les seuils de conformité. Dans l'Oise, le Roso recensait en avril que 204 des 289 captages dépassaient les seuils de pollution aux pesticides. 

Il faudra faire évoluer la législation pour exiger plus de données sur la toxicité des métabolites, aux frais des industriels qui les commercialisent.

François Veillerette

Fondateur de Générations futures

Pour que la consommation soit interdite, comme dans les villages de l'Aisne, il faut que la concentration atteigne par exemple 3 microgrammes de métabolites de chloridazone par litre. C'est la valeur choisie par l'ARS dans l'attente de l'établissement d'une valeur maximale par l'ANSES. Soit 30 fois la concentration au-delà de laquelle l'eau n'est plus conforme. Mais bien moins que le précédent seuil, établi par l'ARS, avant 2022, à 44 microgrammes.

"Rechercher la toxicité de ces métabolites, ça devrait être fait, se désole François Veillerette. Au niveau européen, il faudra faire évoluer la législation pour exiger plus de données sur la toxicité des métabolites, aux frais des industriels qui les commercialisent.

Les Hauts-de-France en première ligne 

Pour d'autres métabolites, il existe des données sur la toxicité, c'est par exemple le cas du TFA, un résidu de certains herbicides et fongicides fluorés, toujours autorisés en France. "On a des données toxicologiques et d'ailleurs l'Allemagne propose aujourd'hui de classer ce TFA comme un toxique probable pour la reproduction, ce qui est un classement très élevé" relève le fondateur de Générations futures. 

Ce n'est pas en se mettant la tête dans le sable que l'on va régler les problèmes.

François Veillerette

Fondateur de Générations futures

En mai dernier, l'étude du Réseau européen d'action sur les pesticides a fait des analyses dans des rivières d'Europe, celles de l'Aisne arrivent en quatrième position des plus contaminées, celles de l'Oise, en cinquième place et celles de la Somme sont septièmes du classement. La substance a été retrouvée dans l'eau du robinet à Glisy, près d'Amiens et Clairoix dans la Somme. 

Les dernières analyses montrent que cette substance se retrouve dans 94% des prélèvements d'eau potable au niveau européen. Or, elle fait partie des métabolites qui ne sont pas surveillés. Pourtant, les dossiers de commercialisation des produits phytosanitaires dont provient ce métabolite soulignent sa propension à se concentrer dans l'eau. Et ils sont très utilisés dans les Hauts-de-France, notamment dans la culture du blé, du maïs et de la betterave. 

En parallèle à la publication de son rapport, Générations futures a adressé des lettres aux ARS, dont celle des Hauts-de-France. "Ce qu'on demande, c'est de mettre en place la surveillance d'un certain nombre de ces métabolites de manière très rapide, de façon à ce que l'on puisse savoir exactement où on en est, précise le fondateur de l'association. Si on ne le fait pas, on risque de passer à côté d'une source de pollution absolument majeure. Ce n'est pas en se mettant la tête dans le sable que l'on va régler les problèmes.

Avec Narjis El Asraoui / FTV

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