Le TFA, polluant éternel retrouvé dans les eaux que nous buvons : "une fois qu'il est présent, il ne se dégrade pas"

Plusieurs ONG, dont Générations Futures, révèlent la présence de TFA dans l'eau potable de 11 pays d'Europe. Ce polluant éternel se retrouve dans 34 des 36 échantillons d’eau prélevés. À Paris, le taux est très élevé, tandis que dans l’Oise et dans la Somme, il est plus limité. Mais le TFA n’étant pas classé, il n’existe pas de limite légale de ce polluant.

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Armé de ses tubes d’échantillons, François Veillerette, cofondateur de l’ONG Générations Futures, a prélevé plusieurs échantillons d’eau du robinet dans un commerce de Clairoix, dans l’Oise et à Glisy, dans la Somme, en avril dernier. La procédure est simple, mais l’enjeu est de taille : détecter la présence de TFA, l’acide trifluoroacétique, un polluant éternel, dans l'eau que nous buvons.

Nous observons moins de TFA dans l’Oise et la Somme parce que l’eau potable est issue des nappes phréatiques.

François Veillerette, co-fondateur de Générations futures

Dans l’Oise, à Clairoix, l’échantillon révèle un taux de 200 nanogrammes par litre d’eau, dans la Somme, à Glisy, il est de 84 ng/L. À Paris, cette molécule, issue de la fabrication et de la dégradation des pesticides PFAS, atteint 2100ng/L.

C’est au robinet du bureau parisien de Génération Future, situé à l’est de la capitale, que l’échantillon a été prélevé. L’écart entre ces taux s’explique par des méthodes de pompage différentes. "À l’est de Paris, l’eau de boisson est pompée dans la Seine, en amont de la ville, où la rivière a déjà parcouru de nombreuses zones agricoles. Ce qu’on retrouve dans les rivières, va direct dans l’eau du robinet. Nous observons moins de TFA dans l’Oise et la Somme parce que l’eau potable est issue des nappes phréatiques. Ce que l’on pompe date de 20 à 30 ans. Ce sont des nappes anciennes donc beaucoup moins imprégnées de TFA. On sait que l’usage des pesticides PFAS a été multiplié par trois en 13 ans. Si on continue comme ça, on va trouver de plus en plus de polluants dans la nature. Et c'est irréversible", explique Françoise Veillerette.

Cette nouvelle étude du Réseau européen d’action sur les pesticides, dont l’ONG Générations Futures est partenaire, intervient près de deux mois après une enquête sur les eaux de surface et souterraines. Le réseau alertait alors sur "la plus grande contamination connue de l’eau à l’échelle européenne".

L’objectif de cette nouvelle étude, qui concerne 11 pays d’Europe, était de déterminer si les taux élevés de TFA détectés dans les rivières se reflétaient dans l’eau potable. Le résultat est sans appel : les niveaux élevés de TFA retrouvés dans les régions d’agriculture intensive se confirment dans de nombreux échantillons d’eau potable. Et le TFA représente 98 % de tous les PFAS retrouvés dans ces échantillons.

Le TFA : un produit chimique "invisibilisé"

Bien que la contamination par le TFA soit répandue, il n’existe actuellement aucune limite légale dans l’UE pour les TFA dans les eaux de surface, les eaux souterraines ou l’eau potable, contrairement à certains PFAS. La directive-cadre sur l’eau de l’UE, adoptée en 2000, vise à prévenir et réduire la pollution de l’eau destinée à la consommation humaine.

À ce jour, une limite de 100ng/L est fixée pour 20 PFAS classés comme métabolites (produit final de la dégradation des substances actives de pesticides) pertinents (dangereux). Mais aucune mention n’existe sur les TFA. Cette substance chimique n’est pas ou peu surveillée dans la majorité des pays de l’Union. Selon le réseau européen à l’origine de cette enquête, "du point de vue de la législation européenne sur l’eau, on peut dire que le TFA est actuellement un produit chimique invisibilisé".

Vers une réglementation européenne

Certains pays de l'UE ont fixé des limites encore plus strictes pour ces PFAS dans leur réglementation nationale sur l'eau potable. Ces limites sont de 4,4 ng/L (Pays-Bas), 4 ng/L (Suède et Flandre en Belgique) et 2 ng/L (Danemark) et s'appliquent à quatre "polluants éternels" particulièrement toxiques. Mais la France, la Belgique, la République tchèque, la Hongrie ou l'Autriche, ont renoncé aux valeurs limites de protection pour ces PFAS.

Il faut prévenir et interdire les pesticides qui fabriquent le TFA. Une fois qu’il est présent, il ne se dégrade pas.

François Veillerette, porte-parole de Générations futures

L'Agence européenne des produits chimiques a commencé l'évaluation et si elle accepte cette proposition de classification, le TFA sera considéré comme un métabolite pertinent et tous les pesticides à base de PFAS perdront, par conséquent, leur autorisation de mise sur le marché. "Cela pourrait poser de nombreux problèmes pour la conformité de notre eau de boisson, notamment. Et ce, un peu partout sur le territoire. Si le TFA entre dans les métabolites pertinents de la directive-cadre, qui tolère jusqu’à 100 nanogrammes par litre, c’est un vrai problème. Par exemple, à Clairoix, on dépasse largement la limite", prévient François Veillerette, qui rappelle que certains syndicats des eaux, comme le SEDIF, en Île-de-France, se sont équipés de nano filtres. "Cela coûte une fortune, près d’un milliard d’euros. L’équipement filtre les nanoparticules des PFAS et de leur métabolite, mais à quel prix ! Au lieu d’essayer de réparer, il faut prévenir et interdire les pesticides qui fabriquent le TFA. Une fois qu’il est présent, il ne se dégrade pas."

Des risques pour la santé impossibles à évaluer

Le TFA a longtemps été présenté comme un produit chimique inoffensif par l'industrie et par certaines autorités. Aujourd’hui, il existe peu d'études toxicologiques et les données sont rares. Deux études récentes sur la toxicité chronique (toxicité hépatique) et la toxicité pour la reproduction (malformations congénitales) du TFA montrent des effets similaires à ceux des PFAS, mieux étudiés et plus connus.

En effet, il s’agit pourtant d’une substance dont les études des industriels, eux-mêmes, ont prouvé la toxicité pour la reproduction en observant les malformations sur des lapins ayant reçu du TFA. Des malformations similaires ont été observées chez les rats et l’homme. Selon les ONG écologistes qui ont produit les différentes études sur le TFA, le principe de précaution doit s’appliquer. "Dans les cas où l'incertitude résultant du manque de données est trop importante pour permettre une évaluation significative des risques, les valeurs standards peuvent être utilisées. […] Dans ce cas, la valeur de précaution par défaut de 100 ng/l dans les eaux souterraines et l'eau potable s'appliquerait. Cependant, les décisions des politiciens et des autorités ont été contraires à cela. Ils ont décidé de ne pas appliquer les limites légales prévues par le règlement sur les pesticides pour les métabolites, ouvrant ainsi la porte à la plus grande contamination chimique de nos ressources en eau."

En attendant des études officielles et une réglementation européenne, Générations Futures et ses partenaires européens réclament l’interdiction immédiate des pesticides PFAS, l’établissement d’une limite d’eau potable sûre pour le TFA et une aide aux agriculteurs pour remplacer l’utilisation de pesticides PFAS sans produits chimiques. Les ONG espèrent que leurs études permettent d’accélérer le processus des discussions à la Commission européenne. "Nous sommes satisfaits de ce travail effectué en commun. Ces alertes doivent constituer une aide pour la puissance publique", conclut François Veillerette.

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