C'est un dispositif méconnu. Dans l'Aisne, 5 groupements fonciers agricoles mutuels (GFAM) œuvrent à acheter des terres pour les louer ensuite à des agriculteurs à tarif raisonnable. Ce concept juridique déjà ancien pourrait trouver un nouveau souffle dans le contexte actuel.
"Ce sont des gens très bien, très pros et très efficaces". Jeanne et David Heyse, agriculteurs d'une cinquantaine d'années, installés à Saint-Clément dans le nord-est de l'Aisne, se montrent ravis de l'intervention du groupement foncier agricole mutuel (GFAM) de la région de Vervins. Ces polyculteurs et éleveurs de Thiérache sont parmi les derniers bénéficiaires de cette structure. Grâce à elle, ils peuvent continuer à exploiter les terres qu'ils louaient alors que leur propriétaire avait décidé de les mettre en vente.
Ils auraient peut-être pu les acheter, mais cela représentait un investissement important et le couple d'agriculteurs hésitait à se lancer. "Ça nous aurait mis dans des situations compliquées, vous avez une baisse de vos moyens pour vivre. C'est l'idée de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier".
Le GFAM a donc pris le relais pour acheter la quarantaine d'hectares en jeu. L'argent nécessaire à l'achat des terres a été réuni par au travers de l'achat de part par ses membres. Désormais, le groupement les loue directement aux agriculteurs à un tarif raisonnable. L'opération leur a évité de perdre l'usage de parcelles de leur exploitation. "Une surface en moins, c'est du revenu en moins et une diminution de la valeur de l'exploitation. Ce qui nous a plu, c'est qu'on peut transmettre à nos enfants", expliquent Jeanne et David Heyse.
"S'il achète, il a un pied dans la tombe"
Comme beaucoup, ces agriculteurs ne connaissaient pas jusque-là l'existence des GFAM, ces sociétés civiles immobilières à vocation agricole. Jean-Claude Liénard, président bénévole et membre fondateur de la structure vervinoise se plait à en expliquer l'intérêt et le fonctionnement. "Souvent, le fermier a déjà des prêts et il ne va même pas voir sa banque car il sait qu'il aura un refus. S'il achète, il a un pied dans la tombe". C'est là que le GFAM intervient pour permettre la poursuite des exploitations. "La confiance et le respect sont importants. C'est une démarche d'entraide solidaire. À partir du moment où les gens viennent nous contacter, je vais les voir. Durant deux heures, j'explique comment cela fonctionne. Ça peut aller relativement vite. On fait un appel de fond. Il y a une assemblée générale. On propose le dossier et on sollicite des souscripteurs", détaille le président.
Ce GFAM de Thiérache est, selon son promoteur, le 2e plus important de France aujourd'hui. Il date de 1979 et rassemble 260 souscripteurs issus de 13 départements et 3 suisses au profit de 13 fermiers de Thiérache. "À l'époque, il y avait beaucoup de fermes qui avaient des difficultés pour acheter les terres à leurs propriétaires. On avait eu un achat à faire à La Bouteille (Aisne), 11 hectares à vendre. C'était une somme conséquente. Nous sommes allés chez les gens pour les sensibiliser. Leur dire de penser aux autres. Nous avions eu 43 souscriptions."
Dans l'Aisne, il existe actuellement 5 GFAM, de taille variable. Dans le triangle Soissons, Chauny, Laon, le GFAM de l'Aisne du centre est assez récent, créé en 2017. "En 2016, nous avons eu une année catastrophique. Nous avons eu une récolte très mauvaise. Nous avons eu de la demande", raconte Benoit Davin, son président. Le groupement aide regroupe à ce jour 6 fermiers avec 85 hectares et 80 apporteurs associés. "Avant, on allait voir ses voisins pour trouver de l'aide. Aujourd'hui, on rachète des terres pour des fermiers qui n'en ont pas les moyens quand le propriétaire met en vente. Souvent, ils ne veulent pas ou ne peuvent pas. On loue les terres en fonction du prix auquel on les a achetées : 3 % du prix d'achat en général. C'est honnête, ça coûte bien moins cher que de racheter avec les taux d'intérêt".
Un investissement dans le local
Le groupement tient justement son assemblée générale ce jeudi 22 février. Il travaille actuellement à intervenir sur deux dossiers, notamment celui d'un agriculteur souhaitant prendre la succession de son père cette année dans le secteur de Laon. Le GFAM doit achever de réunir l'enveloppe nécessaire à acheter les terres mises en vente par le propriétaire pour pouvoir lui louer.
Le concept des CFAM n'est pourtant pas nouveau. Il date des années 70, mais il reste méconnu et s'est même essoufflé jusqu'en 2000. "Ça avait démarré en trombe, mais ça n'a pas été trop soutenu. Beaucoup ne savent pas qu'on existe", estime Jean-Claude Liénard, croyant pourtant en ses perspectives. "On a ouvert la participation au GFAM à toutes les catégories professionnelles. Il faut sortir du milieu agricole. Je souhaite qu'il y ait plus de monde pour participer, plutôt que quelques gros apporteurs. Il faut se bouger, il n'y a pas d'obstacle juridique."
De son côté, Benoît Davin estime également que le dispositif pourrait revenir au goût du jour en profitant du contexte actuel. "On se rend compte que les gens veulent investir en local. Si vous avez une fibre locale, c'est concret. On peut vous montrer les terres", met en avant l'agriculteur qui souligne les avantages du GFAM pour celui qui achète des parts. "Un rendement d'environ 3 % brut, des avantages fiscaux en cas de succession et surtout, c'est vraiment la solidarité agricole", car à la fin l'agriculteur bénéficiaire aura la possibilité de devenir propriétaire des terres qui lui auront été louées par le groupement.
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