Notre journaliste Jean-Paul Delance revient sur les événements et les personnes qui ont marqué le printemps 1940 en Picardie. Aujourd'hui, il raconte l'engagement de la 14ème division d'infanterie, commandée par le général de Lattre de Tassigny, à la charnière de l'Aisne et des Ardennes.
Le 15 mai 1940, cinq jours après le déclenchement des hostilités, l’armée française est déjà en fâcheuse position. Le haut commandement semble complètement dépassé par le plan d’invasion allemand.
Si l’invasion de la Belgique et de la Hollande avait été anticipée, personne n’avait songé à l’ouverture d’un deuxième front au sud du massif forestier des Ardennes traversé pourtant en un temps record par des centaines de blindés ennemis.
Où vont se diriger à présent ces Panzers que rien ne semble arrêter ? Une certitude, il faut leur barrer la route vers Paris. C’est la 14ème division d’infanterie qui est chargée de cette mission en interdisant le franchissement de l’Aisne et du canal latéral, de Berry-au-Bac à Rethel.
L’homme qui la commande s’appelle Jean de Lattre de Tassigny et il est, à 51 ans, le plus jeune général de France. Pour ce Vendéen, le secteur n’est pas une terre inconnue puisqu’il y a déjà combattu en 1917 durant la Bataille du Chemin des Dames. Rappelons que, ironie du sort, et à l’heure où les Panzerdivisions déferlent sur la France, c’est précisément dans ce secteur que les premiers chars français de la Grande Guerre ont connu leur baptême du feu le 16 avril 1917.
Infériorité numérique
Renforcée par la 10ème division d’infanterie, il faut tenir un front de 45 kilomètres face à un adversaire supérieur en hommes et en matériel. De Lattre prend en charge la partie ardennaise du dispositif, autour de la ville de Rethel.
À l’époque, l’Aisne, les Ardennes, la Somme et l’Oise composent la deuxième région militaire de France. Son siège est à Amiens.
Dès le 17 mai, les Allemands arrivent au contact et passent à l’attaque. 48000 hommes contre 18000 Français. Avec seulement trois chars lourds B1 Bis pour les soutenir, les fantassins du général de Lattre repoussent tous les assauts ennemis.
Un général en première ligne
Pendant les combats, notre officier se déplace partout où sa présence est indispensable. Au poste de commandement bien sûr, pour donner les ordres, mais aussi en première ligne, sous la mitraille pour soutenir et encourager ses hommes.
Progressivement, son adversaire le général Guderian ayant repris sa progression vers Amiens et la côte de la Manche, un calme relatif s’installe sur le secteur. Après les succès allemands sur la Somme et à Dunkerque, les hostilités reprennent le 9 juin.
Ce jour là, à 3h45, un déluge d’artillerie s’abat sur les troupes françaises qui tiennent la rive sud de l’Aisne. Masquées par un épais brouillard, les troupes d’assaut ennemies tentent de traverser la rivière. À 6h, quelques éléments investissent Thugny-Trugny.
"Ne pas subir"
À 11h, de Lattre organise une contre-attaque avec ses fantassins et trois chars Renault R35. Le combat dure toute la journée. La 14 DI résiste fidèle à sa devise : "Ne pas subir".
À 17h, les Allemands sont contraints au repli. Un combattant témoigne : "On ne peut percer vers l’avant. Chaque mouvement est exposé aux tirs des mitrailleuses et des mortiers français. On a beaucoup à souffrir aussi des tirs de soldats perchés dans les arbres."
Au soir du 9 juin, les assaillants déplorent beaucoup de victimes, 1 800 morts et 1 200 prisonniers. Du côté français, les pertes sont réduites. Dès le lendemain, à 5 h du matin, l’artillerie allemande redonne de la voix.
Mais comme la veille, à Givry et Thugny-Trugny, les tentatives de franchissement sont repoussées.
Le général allemand Schubert, commandant du 23ème corps d’armée, rendra plus tard un bel hommage à de Lattre et à ses hommes : "Les ardentes contre-attaques françaises, menées de main de maître, ont obligé nos troupes à une retraite précipitée. La 14 DI s’est battue les 9 et 10 Juin, d’une manière identique aux meilleures unités françaises de 14-18 devant Verdun."
Hommage aux héros
Pourtant ici, comme à Stonne dans les Ardennes, Gembloux en Belgique, Montcornet dans l'Aisne, ou Amiens dans la Somme, la vaillante résistance française n’inversera pas le cours de l’Histoire. 80 ans après le déroulement de ces terribles événements, il m’apparaît important d’évoquer l’esprit de sacrifice de ces soldats. Hélas, ce combat comme tant d’autres, fut vite oublié après-guerre. Sans doute étaient-ils trop assimilés à la défaite et aux quatre années d’occupation et de collaboration qui ont suivi.
Enfin pour conclure, quelques mots sur Jean de Lattre de Tassigny. Après un parcours militaire exemplaire au cours de la Seconde guerre mondiale, c’est lui qui représente la France lors de la signature de la capitulation de l’Allemagne nazie le 8 mai 1945.
Mort jeune, à 62 ans, il est élevé à la dignité de Maréchal de France à titre posthume au cours de la cérémonie de ses obsèques qui ont lieu le 15 Janvier 1952, 4 jours après son décès.