Quatre agents du centre pénitentiaire de Laon ont été agressés par un détenu en quartier disciplinaire, dans la soirée du lundi 2 octobre. L'un des deux hommes blessés raconte ce moment d'extrême violence, ses collègues représentants syndicaux soulignent que ce type d'événement est favorisé par des conditions de travail dégradées.
Il est presque 20 heures, lundi 2 octobre au centre pénitentiaire de Laon dans l'Aisne, quand quatre agents pénitentiaires se font agresser par un détenu placé à l'isolement en quartier disciplinaire.
L'un des hommes blessés accepte de revenir sur ce moment de violence, sous couvert d'anonymat.
"J'ai reculé, sonné, il s'est mis à frapper le collègue à côté de moi"
Tout commence par trois appels de détenus via l'interphone de leurs cellules d'isolement. Les détenus signalent une pendaison, quatre surveillants vont sur place pour vérifier. "En arrivant, on regardait aux œilletons pour s’assurer qu’il n’y avait pas de problème, ils nous ont tous répondu sauf un de ceux qui avaient appelé", se souvient le surveillant.
"Il y a une porte double en quartier disciplinaire : derrière la porte, il y a un sas puis une grille, on ne pénètre pas directement dans la cellule. Donc j'ai vu que sa grille était obstruée par un drap, je l'ai appelé, il n'a pas répondu. J'ai ouvert la grille et c'est là qu'il m'a mis un coup de poing. J'ai reculé, sonné, il s'est mis à frapper le collègue à côté de moi."
On a toujours la crainte...On espère tous ressortir le soir à 19 heures pour retrouver nos familles.
Carine, représentante syndicale UFAP au centre pénitentiaire de Laon
Le détenu fracture le nez d'un des surveillants, les quatre agents pénitentiaires se replient pour éponger le sang et se soigner. Pendant ce temps, le détenu est dans la coursive du quartier disciplinaire. Les agents appellent du renfort. "Il y a des surveillants qui étaient en réunion, on a trouvé quatre volontaires pour intervenir. Heureusement qu’il y avait cette réunion, sinon on n'aurait pas eu de renfort."
En effet, deux des surveillants de nuit étaient déjà en train d'emmener un autre détenu à l'hôpital, car il disait avoir avalé des cachets pour se suicider. L'effectif était donc réduit à sept surveillants au lieu de neuf. Les volontaires, équipés de tenues pare-coup, ont rapidement réintégré le détenu dans sa cellule d'isolement, l'intervention a duré une demi-heure au total.
Pourquoi le détenu a-t-il tendu un piège aux surveillants ? Le surveillant a une théorie : "Il venait d'être transféré en quartier disciplinaire, le matin même, car il avait proféré des menaces de mort contre une surveillante et sa famille. Dans son parcours pénitentiaire, il a de multiples agressions sur personnel et même à l’extérieur, sur la police. Il a été incarcéré dans une unité pour détenus violents avant son arrivée à Laon, c’était à Sequedin."
La collègue m'appelle et je comprends à sa voix que quelque chose de grave est en train de se passer.
Fabien, agent pénitentiaire à Laon
Arrêté pour plus d'une semaine, l'agent pénitentiaire attend maintenant de reprendre le travail pour pouvoir visionner la vidéo de son agression et combler les vides de sa mémoire : "Dans l’action, on ne réalise pas. Il y a des flashs qui reviennent au fur et à mesure. J’ai eu le directeur qui m’a parlé de la vidéo, il y a des choses dont je ne me rappelle plus, c’est rapide, très violent, les idées reviennent en place petit à petit."
Fabien, agent pénitentiaire et représentant syndical UFAP, aussi était présent la nuit de l'agression, au mirador : "la collègue m'appelle et je comprends à sa voix que quelque chose de grave est en train de se passer. Au mirador, c'était long, j'attendais de savoir ce qu'il se passe. On me rappelle pour me dire qu'une collègue vient me remplacer, que j'aille m'équiper pour remettre le détenu en cellule. Le détenu avait fait ce qu'il avait à faire, quand il nous a vus équipés, il est rentré comme si de rien était. Pour moi, c'était réfléchi, il savait très bien ce qu'il faisait, c'était un guet-apens, mais c'est mon simple avis."
"On est dépassés par ce manque d'effectif"
"Ça a été un carnage total, on aurait cru une pile électrique", se souvient Carine, qui était au poste central, devant les caméras de surveillance. Représentante syndicale UFAP, elle a assisté, impuissante, à l'agression. "C'est le risque de la nuit, on emmenait un détenu à l'hôpital, c'est dans notre travail... Mais s'il y avait eu deux agents en plus, on n’aurait peut-être pas eu ce problème."
"Ce n’est pas que dans notre prison, le manque d'effectif est général à tous les établissements pénitentiaires, détaille Carine. Nous, actuellement, pour combler ce manque d'effectif, il faudrait entre 14 et vingt surveillants pénitentiaires en plus à Laon. On est dépassés par ce manque d'effectif."
"On va faire notre travail, car il le faut, ajoute-t-elle. On n'y va pas la boule au ventre parce que sinon ce n'est pas la peine de le faire, mais on a toujours la crainte... On espère tous ressortir le soir à 19 heures pour retrouver nos familles."
"Entre 2019 et maintenant, la sécurité n'est plus la même"
Fabien est arrivé à Laon en 2019. "Entre 2019 et maintenant, la sécurité n'est plus la même, constate-t-il. On est embêtés par les drones, le problème, c'est qu'on ne sait pas ce qu'ils ramènent. Ils arrivent la nuit, on n’arrive pas à les voir. Au mieux, c'est de la drogue, au pire un jour, on tombera sur des armes. Si un détenu a envie de passer à l'acte, il le fera."
"On est en surpopulation et nous, en sous-effectif, la balance n'est pas bonne. Pour moi, il y a de plus en plus d'agressions dans toutes les prisons, on a des groupes entre surveillants et on voit qu'il y a des agressions tous les jours."
En 2022, 4911 agressions de personnel pénitentiaire ont eu lieu en France, d'après l'Observatoire des disparités dans la justice pénale. Un phénomène en augmentation qui concernerait un surveillant sur six chaque année.
La prison de Laon a un taux d'occupation de 177%, soit près de deux fois trop de détenus, qui se retrouvent parfois à trois personnes dans une cellule de 9 mètres carrés. Une surpopulation qui n'a rien d'exceptionnel : la maison d'arrêt d'Amiens a un taux d'occupation de plus de 171%, 268 places pour 460 détenus.
Fabien n'a pas peur, mais la situation le rend fataliste : "Quand on signe dans un travail comme celui-là, on sait qu'un jour ou l'autre dans notre carrière, on peut se faire agresser. Mais par rapport à quand je suis arrivé dans la pénitentiaire en 2015, on y pense plus, car ça devient de plus en plus agressif. "
Exercé dans des conditions dégradées, le métier n'attire plus : 7% des postes de surveillants étaient vacants en 2020, d'après la Cour des comptes.