Témoignages. L'illettrisme, un frein à l'insertion sociale : "J’étais coupée de tout, de tout le monde"

Publié le Écrit par Elise Ramirez

11% de la population sont concernés par l’illettrisme dans les Hauts-de-France. Un chiffre que les associations d’insertion tentent de réduire avec des formations pour adultes et des ateliers de retour à l’emploi. Nous avons rencontré les formateurs d’une association dans l’Aisne qui accompagnent les stagiaires vers une maîtrise des bases scolaires. Témoignages.

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Il n’a pas été simple de trouver des témoignages de personnes confrontées à l’illettrisme. Un mot dur, synonyme d’échec qui suscite des réactions négatives et la honte. Pourtant faire face aux situations de la vie quotidienne sans avoir recours à l’écrit exige de la volonté, et la mise en place d’habiles stratégies de contournement. Sandrine a vécu cette situation durant de longues années.

Femme au foyer, elle a élevé cinq enfants. Puis, après la séparation avec son conjoint, elle se retrouve sans revenu. "J’étais très renfermée vis-à-vis des gens. Je n’avais pas confiance en moi. J’étais coupée de tout, de tout le monde. J’avais peur de sortir de chez moi." C’est en cherchant du travail à Pôle emploi que Sandrine est orientée vers l’Aideq, une structure d’insertion et de lutte contre l’illettrisme. "Je voulais retrouver une vie sociale normale, avoir un niveau de lecture et d’écriture et de maths aussi. Je voulais recommencer les savoirs de base pour rentrer dans la vie active", explique Sandrine.

Apprendre à lire, à écrire, à agir

Comme elle, 7% de la population active sont concernés par l’illettrisme en France et 11 % dans les Hauts-de-France. On parle d’illettrisme pour des personnes qui, après avoir été scolarisées en France, n’ont pas acquis une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture, du calcul, des compétences de base, pour être autonomes dans les situations simples de la vie courante. De nombreuses structures existent pour leur venir en aide et parmi elles, l’association d’insertion pour le développement de l’emploi et de la qualification (AIDEQ).

Implantée sur huit sites dans les Hauts-de-France (Amiens, Saint-Quentin, Beaumont-en-Cambrésis, Chauny, Douai, Ham, Soisson et Le Nouvion-en-Thiérache), elle accompagne 1 600 demandeurs d’emploi et bénéficiaires du RSA de 18 à 65 ans. Parmi eux, une vingtaine par an est en situation d’illettrisme.

Depuis 2015, date de sa création, la structure a mis en place plusieurs dispositifs pédagogiques. LEA, lire, écrire, agir est une première formation pour acquérir ou retrouver les bases, à travers des sorties culturelles et sportives. "Pour amener ces personnes à l’apprentissage, il ne faut surtout pas leur donner le sentiment de retour à l’école. Cela ne fonctionnerait pas. Dans le cadre de la formation LEA, nous laissons les stagiaires choisir leur sortie, puis nous les laissons tout préparer : appels téléphoniques pour le devis, le planning et la constitution du dossier. Avec ces cas concrets, on insère des cours de français, de mathématiques et d’expression orale. Par exemple, celui qui a du mal à l’oral passera les appels. Ce sont des exercices très efficaces. Puis, en petits groupes, nous débriefons. Cela passe aussi par des lignes d’écriture. La semaine dernière, un groupe a visité le musée d’histoire naturelle à Paris et cette semaine, ces stagiaires travaillent sur ce qu’ils ont vu", détaille Aurélien Bouglenan, responsable pédagogique à l’AIDEQ de Chauny.

Le manque de mobilité : un frein à l'insertion

Autre dispositif : la dynamique vers l’emploi (DVE), une formation pour la remise à niveau et le travail du projet professionnel. Les stagiaires bénéficient d’une immersion en entreprise de huit semaines pour découvrir des métiers et s’orienter vers une formation qualifiante. La formation est rémunérée entre 500 euros et 685 euros pour les stagiaires. Une motivation de plus pour se former. D’après les statistiques de l’association de Chauny, à la suite de ces stages, 50 % des personnes intègrent une formation qualifiante et seules 20 % trouvent un emploi. 30% restent sans solution. Des chiffres qui s’expliquent par les freins à la mobilité dans ce territoire de l’Aisne. "Il existe peu de formations qualifiantes autour de nos sites. Notre public n’a pas le permis de conduire et cumule les difficultés pour s’organiser avec la garde des enfants. Ils n’ont pas toujours les moyens de mettre en œuvre leur projet", explique Aurélien Bouglenan.

J’arrive à lire les étiquettes pour ne pas mélanger les produits d’entretien

Sandrine, femme de ménage

Sandrine est dans ce cas. Après sa formation, en 2020, à 43 ans, elle est recrutée à mi-temps comme femme de ménage dans l’association, mais elle peine à trouver un autre emploi. "J’ai fait des demandes ailleurs et je n’ai eu que des réponses négatives. Pourtant, grâce à l’association, j’arrive à lire les étiquettes pour ne pas mélanger les produits d’entretien. Ce qui pourrait être dangereux. J’ai aussi plus confiance en moi."

Dès qu'elle le peut, l'association offre du travail à ses anciens stagiaires pour les lancer dans le monde du travail. "C'est important de continuer à les aider. Ils ont des compétences même s'ils n'ont pas de diplôme. C'est important aussi que les entreprises en prennent conscience. Ils peuvent travailler", explique le responsable de l'association. 

Grâce à la formation, j’ai vaincu ma timidité

Jean-Baptiste, stagiaire à l'Aideq

Lors de notre visite, une classe entière est réunie dans les locaux du site de l’association à Chauny. C’est l’heure de la dictée pour les stagiaires. La directrice de l’établissement lit lentement un texte sur l’histoire d’une personne illettrée qui réussit à cacher son handicap au travail et dans sa vie quotidienne. La concentration est palpable, mais quelques sourires apparaissent lorsque certains passages rappellent une expérience vécue.

Parmi les élèves, il y a les nouveaux et ceux qui ont déjà effectué une partie de la formation. Jean-Baptiste a terminé l’étape LEA. Il commence bientôt la suite, qui devrait l’orienter vers l’emploi : "Grâce à la formation, j’ai vaincu ma timidité et je suis content car je vois des gens ici."

Maud, la cinquantaine, a été reconnue travailleuse handicapée et ne retrouve pas de travail : "J’ai repris confiance en moi, malgré mon âge. Je vois que je ne suis pas seule dans ce cas. J’espère pouvoir reprendre les bases scolaires. Ça fait 40 ans que j’ai quitté l’école. Après toutes ces années, j’ai oublié les règles de français, de maths. J’aimerais pouvoir suivre une formation et devenir auxiliaire de vie scolaire."

Ecrire une liste de courses, lire une notice de médicament ou une consigne de sécurité, rédiger un chèque, utiliser un appareil, lire le carnet scolaire de son enfant… des gestes qui ne sont pas anodins pour tous. Selon Aurélien Bouglenan, "l’illettrisme est souvent lié à des problèmes familiaux et d’absentéisme à l’école. Ces enfants sont isolés et le restent s’ils n’apprennent pas à lire et à écrire."

Parler pour venir à bout de cette exclusion, une nécessité pour les associations de lutte contre l'illettrisme.

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