Vervins dans l'Aisne est sur la route entre Bruxelles et Paris. Dans cette ville-étape, La Tour du Roy est bien connue des habitués, Napoléon y a même séjourné le temps de changer de cheval. Aujourd’hui l'établissement est tenu d’une main de velours par Annie et sa fidèle équipe. Pour France 3 Hauts-de-France et "Le Grand Rapporteur", voici sa belle histoire.
Je me suis toujours dit qu’il fallait qu'un jour je raconte ma rencontre avec Annie Desvignes. C’était en 2012, nous devions réaliser une émission Picardie Matin en direct de Vervins dans l'Aisne. Vu la distance avec Amiens, il nous fallait trouver un hôtel pour toute l’équipe technique de France 3. À l’époque, c’était vite vu. Hôtel... Vervins... Vous tombiez sur la Tour du Roy. Affaire conclue.
Comme chez mamie
Nous y arrivons un soir de novembre glacial. Il pleuvait. La journée avait longue et l’envie de se poser était pressante. Au moment où nous avons poussé la porte de l’hôtel, nous avons tous été cueillis par la même sensation. Une odeur de feu de cheminée, de la moquette partout qui étouffe les sons et une petite odeur de soupe chaude qui provenait de la cuisine.
Nous avons attendu deux minutes avant qu’une dame aux cheveux blonds d’un certain âge ne surgisse avec des petits pas rapides et un torchon à la main. "Bonjour Messieurs, soyez les bienvenus à la Tour du Roy !" Annie Desvignes venait de nous souhaiter la bienvenue chez elle.
Nous étions six, tous sous le charme de cette dame très élégante avec un sourire immensément chaleureux. Exactement comme à la maison. Personnellement, j’ai eu envie de lui faire la bise comme s’il s’agissait de ma propre grand-mère. Elle a sorti son cahier, son crayon et nous a attribué des chambres avec ces fameux porte-clés très lourds. Nos premiers pas chez elle ne furent pas les derniers car cet hôtel est devenu notre base axonaise de tournages lointains. Au point que nous lui avons consacré une émission en 2014.
"J’ai toujours adoré le contact avec les gens"
Annie Desvignes est née à Sars-Poteries, près d’Avesnes-sur-Helpe dans le Nord, le 4 mai 1937. Une grande fratrie de quatre filles et deux garçons. Des souvenirs de jeunesse encore très forts marqués par une forte complicité avec ses parents.
"J’allais danser au dancing avec mes parents. Mon père était agriculteur, mon grand-père avait crée "La Galocherie" une fabrique de sabots en bois. Toute ma jeunesse, j’étais dans les champs et les forêts avec mon grand-père. Nous étions très unis et très libre. On pouvait faire ce qu’on voulait de notre vie. On ne m’a jamais rien imposé. À 15 ans, je commençais à travailler. Je faisais des yaourts. On les livrait jusqu’à Lille. Et puis ça marchait de moins en moins. Alors comme la maison était assez grande, ma mère a tenté de faire la cuisine. J’avais 18 ans. Elle a créé l’Auberge Fleurie. Moi et ma mère étions en cuisine. Mon père partait en train à Paris pour faire les courses de la semaine. Moi, j’ai été bercée par les recettes de ma grand-mère qui était une cuisinière remarquable. Ma mère disait que j’étais très affable avec tout le monde et c’est vrai que j’ai toujours adoré le contact avec les gens."
Annie a été Miss Avesnois deux fois. Elle reste à l’auberge jusqu’à ses 30 ans. S’ensuit une petite aventure de mariage de quelques mois qui a mal tourné. "Je suis revenue aussi vierge que quand je suis partie", elle éclate de rire. Car la vraie rencontre de sa vie c’est Claude. Son Titi parisien comme elle dit.
"Je passais tous mes dimanches au théâtre et au cinéma. J’allais manger à la Maison du Danemark sur les Champs-Elysées. Claude y était maître d’hôtel. Oh ce qu’il était beau ! Il ressemblait à Gérard Philippe. Charmeur, beau parleur, passionné... ll travaillait 15 heures par jour."
Emballé, c’est pesé, Annie épouse son Claude après l’avoir fait divorcer. "On est allés remonter une affaire en Normandie. Comme ils avaient entendu parler de notre auberge, ça nous a servi. Et puis ça nous a appris à tenir une affaire."
Mais dans la tête d’Annie, il y a une petite cachette bien secrète. On y trouve un souvenir d’enfance avec son grand-père à Vervins dans l'Aisne. Un hôtel-restaurant baptisé La Tour du Roy.
Annie, cheffe étoilée
"Quand j’avais 5 ans, mon grand-père m’emmenait manger régulièrement dans cette maison. Elle m’a toujours inspirée. Je lui disais que si un jour je devais faire ce métier, alors c’est ici que je l’exercerais."
Et ce jour est arrivé puisque son père apprend par hasard que la Tour est à vendre. Ni une ni deux, il appelle sa fille en Normandie. Et paf !
"Je suis rentrée dans la nuit. On a signé le lendemain. Claude était fou furieux ! Pendant des mois, il m’a offert des bouquets de chardons ! Après trois mois de travaux, on a ouvert à Pâques en 1971. Moi en cuisine, lui pour tout le reste. Comme il parlait plusieurs langues, on a tout de suite eu du succès avec la clientèle étrangère."
Il faut dire que l’hôtel se trouve sur la Nationale 2, un axe routier parfait entre Paris et Bruxelles. La bonne cuisine d’Annie est récompensée par une première étoile Michelin au bout de six mois... Elle l’a gardée pendant 30 ans ! Jusqu’à ce qu’un client-rageur envoie une lettre au Guide pour dire qu’il trouvait son agneau trop gras. On lui enlève illico. Depuis elle ne veut plus entendre parler du fameux guide rouge.
Claude et Annie ont eu aussi un enfant. Fabrice, né en 1973. Si son nom ne vous dit rien, je vous invite à taper "Fabrice Elysée" sur un moteur de recherche... Ça y est vous l’avez ? Fabrice Desvignes, nouveau chef-cuisinier officiel de la Présidence de la République en remplacement de Guillaume Gomez.
Vervins, sous les ors de la Tour du Roy
Il faut vraiment voir avec quelle précision Annie et Claude ont tout pensé et réalisé eux-mêmes. La moindre faïence est peinte à la main. Le porte-serviette de la salle de bain aura le même dessin unique que celui du bidet ou de la tablette au-dessus du lavabo. Les 22 chambres sont différentes. Le choix des serviettes, les dessus de lit, les rideaux, tout a une histoire. Il faut dire que le lieu a lui aussi sa petite histoire.
Au 11e siècle, la ville était fortifiée et protégée par 21 tours. Aujourd’hui il n’en reste que 5 dont celle d’Annie. Napoléon, en personne, est venu changer de cheval dans la cour de la Tour qui sert aujourd’hui de parking. Annie a gardé le document qui en atteste. Henri IV serait aussi venu y signer le traité de paix avec les Espagnols en 1598.
Annie est très à cheval aussi sur la politesse et l’élégance. Annie est toujours souriante et pimpante, son personnel aussi. Elle a formé 575 apprentis à tous les postes. De la femme de chambre aux cuisiniers.
"Je suis cool mais ferme. Jamais de heurts. Celui qui ne se plaisait pas, la Tour me le manifestait. J’ai vu des gens faire demi-tour. Mes anges sur les murs font le travail de sélection."
Annie, du haut de ses 80 ans, espère au fond d’elle qu’une de ses petites-filles reprenne la Tour et fasse vivre ses fameuses recettes que sa mère et sa grand-mère lui ont enseignées. Elle prévoit la sortie d’un livre de cuisine, L’Arc en ciel de ma vie, sous forme de roman dans lequel vous trouverez sûrement de nombreuses anecdotes.
Je vous réserve la mienne pour la fin... Elle concerne ses tasses. J’en suis tombé amoureux. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas moi-même, mais elles ont un truc unique ces tasses. Larges... Évasées... Jolies quoi ! Je signifie à Annie que j’aimerais lui en acheter une paire.
Elle vient s’asseoir à notre table, me prend la main et me dit : "Écoute mon p’tit chéri, je t’en aurais bien vendues mais ces tasses sont trop rares. Avec Claude, on a été les chercher en Hongrie, elles sont dorées à la main. On m’en a tellement cassées que je les compte sur les doigts d’une main désormais. Je suis désolée mais ça m’embête de m’en séparer. Tu m’en veux pas hein ?" Elle me pose une bise sur les deux joues et me tapote la main.
Le lendemain matin à notre départ très très matinal, je trouve sur ma voiture un carton emballé dans du papier journal. À l’intérieur ? Deux tasses avec deux soucoupes et juste la signature d'Annie...