L'opposition britannique a fustigé ces derniers jours les fonds spéculatifs qui parient contre la livre après avoir soutenu financièrement la campagne pro-Brexit de Boris Johnson, dénonçant des conflits d'intérêts qui restent toutefois difficiles à démontrer.
Le travailliste John McDonnell, en charge des questions financières dans le principal parti d'opposition britannique, a notamment décrié au parlement les spéculateurs qui "parient sur l'échec du pays" si le Royaume-Uni sort de l'Union européenne sans accord. Il a accusé le Premier ministre Boris Johnson et le parti conservateur d'avoir reçu des centaines de milliers de livres "de la part d'individus qui soutiennent un Brexit sans accord, beaucoup faisant partie de fonds spéculatifs".
Il a demandé une enquête, appuyé par des membres du parti des libéraux-démocrates. Ces attaques sont également venues de figures du parti conservateur comme l'ex-ministre des Finances Philip Hammond, fermement opposé à un Brexit sans accord et en rupture avec le camp de Boris Johnson sur ce point.
Le gouvernement balaie des "théories conspirationnistes"
La livre sterling a perdu environ 15% de sa valeur depuis le vote du Brexit il y a plus de trois ans. Début septembre, elle était retombée à des niveaux plus vus depuis 1985 si l'on exclut un crash éphémère en 2016. Le gouvernement a balayé ces allégations qu'il a qualifiées de "mythes", refusant d'ouvrir une enquête et dénonçant des "théories conspirationnistes".
Les accusations de l'opposition visaient notamment le richissime Crispin Odey, fondateur du fonds Odey Asset Management, qui soutient un Brexit "dur". Selon la presse britannique, il a donné 10 000 livres à la campagne de Boris Johnson pour prendre la tête du parti conservateur, et près de 900 000 livres à des campagnes pro-Brexit.
Dans le quotidien The Guardian, il s'est défendu, qualifiant de "sottises" les propos selon lesquels ses positions politiques seraient motivées par la possibilité d'en tirer des profits. "Nous échangeons des devises tout le temps, à la hausse ou à la baisse", a-t-il argumenté.
Casser la livre ?
Quand un trader pense qu'un actif va baisser, il l'emprunte à un investisseur qui le possède déjà contre un intérêt ou une commission. Il le revend aussitôt, puis, si son pronostic se confirme, il le rachète un peu plus tard, moins cher, puis le restitue au propriétaire initial.
C'est le "short-selling" en jargon financier. Le marché des changes a toujours été hautement spéculatif : le milliardaire George Soros y a fait sa fortune en pariant avec succès contre la livre au début des années 90. Plus récemment lors du référendum du Brexit en juin 2016, le pro-Brexit Nigel Farage, un ancien trader, avait été soupçonné d'avoir spéculé sur la livre - ce qu'il a nié. Avant l'annonce officielle des résultats, il avait annoncé la défaite de son camp pro-Brexit, alors que l'annonce de la victoire du "Leave" a finalement fait plonger la devise britannique.
Les experts soulignent le poids du marché des changes où s'échangent plus de 5 000 milliards de dollars par jour : "c'est très difficile de le faire bouger seul" remarque Yuval Millo, professeur de comptabilité à l'université Warwick. D'autre part, même si une donation de nature à pousser la réalisation d'un pari a eu lieu - par exemple, l'élection d'un chef de gouvernement pro-Brexit - il sera très difficile de prouver qu'elle seule a poussé une devise dans une direction et à quel point, sachant que beaucoup de facteurs interviennent - les tensions commerciales internationales, les taux d'intérêt dans tel ou tel pays.
On peut en outre arguer que M. Odey ou d'autres gestionnaires de fonds ne sont pas les seuls à s'attendre à ce que la livre continue à fondre : Craig Erlam, analyste chez Oanda, anticipe par exemple une chute "jusqu'à 20% supplémentaire, ce qui serait très sévère", en cas de Brexit dur. Yuval Millo souligne que si l'on n'est peut-être pas dans le cadre d'un vrai conflit d'intérêt, il s'agit tout de même d'utiliser son influence "en tant que donneur politique pour améliorer des positions de marché".
Et quelqu'un qui parie à la baisse aura intérêt à le faire savoir pour tenter d'influencer d'autres investisseurs et faire se réaliser sa prophétie. M. Millo souligne par ailleurs que, outre les mouvements sur la livre, "on observe une augmentation des positions qui parient à la baisse sur les valeurs liées au marché britannique", notamment les actions d'entreprises présentes surtout au Royaume-Uni.
Quant à de possibles "raids" spéculatifs pour "briser la livre", à l'image de l'opération de George Soros il y a près de 30 ans, pour Marcin Kacperczyk, professeur à l'Imperial College, "c'était une autre époque" et ce serait difficile à orchestrer aujourd'hui vu les volumes et l'interconnexion des marchés.