Calais : polémique autour du relogement d'une riveraine de la "Jungle"

Une riveraine de la "Jungle" de Calais, qui se plaignait de vivre à proximité des migrants, a été mise en demeure de quitter sa maison, propriété de la ville de Calais, qui lui propose un autre logement. Ce qu'elle refuse. En pleine campagne des régionales, l'affaire prend une dimension politique.

Le courrier, daté du 5 novembre, est signé par Natacha Bouchart, la maire Les Républicains de Calais. Il est adressé à Nadine Guerlach, une habitante du chemin des Dunes, qui vit en face du bidonville de la "Jungle", où vivent officiellement 4500 migrants. Elle est locataire d'une maison et d'un terrain qui appartiennent depuis 1988 à la commune. "Je vous mets en demeure de libérer le logement dans un délai porté à six mois", lui indique la mairie. "Une offre de relogement correspondant à vos besoins vous sera proposée très prochainement".


La famille de Nadine Guerlach a rendu public cette mise en demeure sur les réseaux sociaux ce qui a suscité une vague d'indignation. Mercredi, lors du débat des régionales organisé par France 3 Nord Pas-de-Calais et France 3 Picardie, la tête de liste Front National, Marine Le Pen, l'a brandie devant les caméras. "Ça, c'est la lettre que la tête de liste de Xavier Bertrand, Mme Bouchard, a adressée à Mme Guerlach", s'est-elle exclamée. "Mme Guerlach, c'est les "Calaisiens en colère", c'est cette dame qui a fait cette vidéo parce qu'elle vit tous les jours le cauchemar des migrants. Elle est expulsée de sa maison, voilà (...). On lui dit que comme on ne peut pas régler le problème, c'est elle qui va déménager". 

L'égérie des "Calaisiens en colère"

Nadine Guerlach est en effet une figure bien connue des réseaux sociaux, devenue l'égérie en quelque sorte des "Calaisiens en colère", un collectif qui dénonce la présence des migrants à Calais et ses conséquences sur le quotidien des habitants.  Avec sa fille, Sarah, elle a réalisé plusieurs vidéos pour dénoncer ses conditions de vie en face de la "Jungle".

 
"Ce n’est pas un avis d’expulsion, il n’y a pas eu de décision de justice qui fait que la ville de Calais doit procéder à l’expulsion de Mme Guerlach", explique Emmanuel Agius, le premier adjoint de Natacha Bouchart à la mairie. "Mme Guerlach est en souffrance dans ce logement, elle souffre de ce qui se passe en face de chez elle, dans la lande. Elle l’exprime très clairement et c’est son droit. Je l’ai rencontrée il y a quelques mois pour lui proposer un relogement, pour la sortir de ce logement où elle est locataire puisque nous sommes propriétaires de cette maison depuis 1988. Une convention nous lie avec Mme Guerlach. Cette convention dit que nous pouvons disposer des lieux sous un mois. Nous lui avons écrit pour lui annoncer que nous lui donnons six mois pour quitter les lieux, tout simplement parce qu’elle-même avait exprimé une très grande souffrance et une très grande insécurité dans ce logement. Donc de fait, nous répondons à sa demande."

"Elle ne comprend pas pourquoi elle gêne"

"Ma maman habite ici depuis 45 ans", a réagi sa fille, Sarah Guerlach. "En 1983, elle voulait racheter avec mon papa cette maison. La ville a eu droit de préemption. Maman est restée ici et ils lui ont fait un petit bail précaire qui est normalement – soit disant – de trois ans. Mais ça fait plus de 30 ans qu’elle est locataire de la ville où elle a toujours payé son loyer. Jamais de retard et elle ne comprend ce qu’il lui arrive." Nadine Guerlach verse un loyer mensuel de 268 euros pour habiter cette maison. En prévision de la création de la Zone des Dunes, elle avait vocation être détruite, après son départ, selon, les termes de la convention d'occupation précaire signée en 1988. "Elle ne comprend pas pourquoi elle gêne, ce qu’elle a fait de mal", poursuit sa fille. "Elle ne comprend pas qu’une Calaisienne doive partir pour laisser la place certainement aux migrants. Il faudrait qu’on m’explique. Nous avons rencontré M.Agius le 15 septembre pour parler des frais qui avaient été effectués ici pour la protection de maman. Tout s’est bien passé. Il nous avait dit : "Ce serait bien que Mme Guerlach parte pour sa sécurité". On lui a dit : "OK, faîtes nous des propositions de logement à sa juste valeur". Il nous a dit : "OK, on pourrait même envisager les frais du déménagement et retrouver l’équivalent". Et puis on n’a plus entendu parler de quoi que ce soit.

"Pour l’instant, on est un peu sous le choc, on ne comprend pas bien", insiste Sarah Guerlach. "Du fait que maman est sécurisée, avec les caméras, portails, tout ce qui faut, les volets. Quand elle ferme les volets le soir, elle regarde son ordinateur, il n’y a pas d’intrusion, plus rien. Donc on ne comprend pas bien la réaction de M.Agius. On va réfléchir, on va essayer de trouver un bon avocat qui nous aide". Pourtant, dans une vidéo diffusée au mois septembre, Nadine Guerlach affirmait être encore être victime d'intrusions et de vols de la part de migrants. "Je m'étais dit que peut-être qu'avec les barbelés, il y aurait peut-être moins d'intrusions, mais non : 9 intrusions, 9 vols"​, déplorait-elle.  

"Nous lui avons fait plusieurs propositions de logement qu’elle a refusées"

"Nous lui proposons de la reloger dans des conditions dignes et nous savons très bien le faire", assure Emmanuel Agius, le premier adjoint. "Nous pouvons le faire par le biais de bailleurs sociaux ou autres. Nous lui avons fait plusieurs propositions de logement il y a de ça quelques semaines, qu’elle a refusées. Mme Guerlach a décidé de ne pas quitter les lieux, d’y rester malgré le grand mal-être qu’elle exprime elle-même. Nous sommes dans une situation tout à fait inextricable et incompréhensible"


"Je crois que malheureusement Mme Guerlach est utilisée et influencée par de mauvaises âmes qui sont plutôt politiques", accuse l'élu. "J’ai un peu d’expérience et la manipulation, je commence un peu à savoir quelle visage, quelle odeur et quelle voix elle peut avoir. Je suis droit dans mes bottes, j’ai fait une proposition honnête à Mme Guerlach qu’elle n’a pas accepté, qu’elle réfute parce qu’elle estimait qu’elle voulait rester dans cette maison à tout prix. Elle préfère mourir tuée par un migrant, m’a-t-elle dit, ce sont ses termes, lorsque je l’ai reçue il y a quelques mois. Moi, je n’ai pas que ça à faire". Emmanuel Agius dénonce aussi l'attitude de l'entourage de Nadine Guerlach. "J’ai pris le temps de recevoir Mme Guerlach fille et son compagnon M.Régnier qui utilise d’ailleurs les lieux à des fins professionnelles (NDR : une entreprise de démolition) mais de façon tout à fait illégale", déplore le premier adjoint de Natacha Bouchart. "Il le sait, on le lui a écrit. On fait de cette histoire une affaire extrêmement politique, je trouve ça malhonnête bien évidemment".
La réponse de Natacha Bouchart, maire (LR) de Calais
La maire Les Républicains de Calais, Natacha Bouchart, s'est exprimée mercredi sur ce dossier dans un communiqué :

"La presse et les réseaux sociaux ont évoqué la situation de Madame Nadine Guerlach, résidant au 99 chemin des dunes à Calais. De nombreuses précisions doivent être apportées devant une manipulation évidente des faits à but électoral. Dans la presse du jour, il est mentionné un « avis d’expulsion ». Il s’agit là d’une lourde erreur sémantique. Un « avis d’expulsion » est une décision de justice prononcée à l’encontre d’un locataire n’ayant pas respecté ses devoirs. En l’espèce, la Ville de Calais n’a pas engagé de procédure judiciaire à l’encontre de Madame Guerlach, par conséquent aucune décision de justice ne peut avoir été rendue. S’exprimer sur un sujet aussi sensible implique d’être précis sur le sens des mots pour respecter les faits.

Pour comprendre la situation il convient d’établir l’historique des faits. La Municipalité s’y était refusée jusqu’à ce jour pour préserver l’intimité de Madame Nadine Guerlach et éviter la polémique. Depuis le 1er octobre 1988, Monsieur Marceau Guerlach a été locataire de la Ville de Calais pour une maison à usage d’habitation ainsi que des dépendances situées au 99 chemin des Dunes. Après le décès de Monsieur Guerlach, un avenant a été passé à la convention pour permettre à Madame Guerlach de rester dans la maison. Il est important de bien noter que la Ville de Calais s’est rendue propriétaire de cette maison en 1988 en prévision de la création de la Zone des Dunes. Monsieur et Madame Guerlach ont alors sollicité la Ville de Calais pour rester temporairement dans cette maison, jusqu’au moment où la Ville de Calais aurait besoin de récupérer son bien. C’est ainsi qu’une « convention d’occupation précaire » a été conclue entre la Ville de Calais et les époux Guerlach. Cette convention ne constitue pas un bail classique et mentionne expressément que « Monsieur Guerlach s’engage à libérer les lieux dans le mois où la Ville de Calais le mettra en demeure de le faire par lettre recommandée avec accusé de réception ». Le loyer extrêmement modéré demandé par la ville, qui s’élève à ce jour pour information à 268.80€/mois, constitue la contrepartie du caractère précaire de la convention.

Monsieur et Madame Guerlach ont donc bénéficié depuis 1988 d’une habitation pour un loyer extrêmement modéré qu’ils avaient accepté de quitter dans le mois où la ville le leur demanderait. Par courrier en date du 25 mars dernier, Monsieur Régnier, gendre de Madame Nadine Guerlach, époux de Madame Sarah Guerlach, a sollicité la Ville de Calais pour procéder à l’achat de la maison. La Ville de Calais a décliné compte tenu de la destination de démolition de la maison qui avait prévalu à son achat en 1988. Les services de la Ville se sont alors aperçus que Monsieur Régnier avait établi son entreprise de démolition sur les lieux. Des engins de chantier ainsi que des matériaux ont pu être stockés sur le terrain attenant à la maison. La convention ne permet pas d’avoir une d’activité professionnelle sur les lieux. Par courrier du 18 mai 2015, la Ville de Calais a demandé à Monsieur Régnier de cesser tout stockage de gravats et de procéder au nettoyage du terrain. Nous ne sommes pas en mesure de préciser si le lieu a effectivement été déclaré comme lieu d’activité de la société de Monsieur Régnier, notamment à l’administration fiscale pour le paiement des taxes correspondantes.

Après la publication d’une vidéo sur Internet en août dernier, vidéo dans laquelle Sarah Guerlach présentait la situation de sa mère Nadine Guerlach, en omettant de mentionner le caractère d’occupant précaire d’un bien de la Ville de Calais, la Municipalité avait choisi de ne pas réagir publiquement mais d’inviter Sarah Guerlach à une rencontre. Madame Sarah Guerlach, accompagnée de Monsieur Régnier, ont ainsi été reçus le 15 septembre dernier à 11h par le Premier Adjoint, Monsieur Emmanuel Agius. La proposition d’achat de la maison a de nouveau été formulée. Monsieur Agius a renouvelé le refus de la Ville. Quelques minutes après avoir énoncé le fait de vouloir acheter la maison, Madame Sarah Guerlach énonçait que sa mère, Madame Nadine Guerlach, y vivait dans des conditions effroyables que la Ville ne pouvait accepter. N’étant pas en charge de l’ordre public et de la sécurité, compétences d’État, Monsieur Agius a indiqué que la Ville de Calais ferait des propositions de relogement à Madame Nadine Guerlach. Madame Sarah Guerlach a alors déclaré que sa mère ne quitterait le logement sous aucun prétexte.

Par conséquent, aucune solution ne s’offrait à la Ville de Calais :
- En maintenant Madame Nadine Guerlach dans les lieux, la Ville de Calais la soumettait – à entendre sa fille – à des conditions indignes.
- Toujours d’après la fille de Madame Guerlach, la formulation de propositions de relogement aurait rendu la Ville de Calais responsable du tourment de sa mère.
- Seule solution possible pour Madame Guerlach : la vente, à prix bien sûr extrêmement modeste. Une demande qui semble bien paradoxale après les violentes critiques formulées sur l’environnement.

Chacun devra reconnaître ici que la Ville de Calais a dû faire face à une situation particulièrement inextricable et dont certains ont manifestement pensé pouvoir tirer parti. En effet, il convient de porter à la connaissance de tous le fait que Monsieur Régnier et Madame Guerlach fille ont récemment procédé à des investissements sur les lieux pour leur société (qui n’est officiellement pas autorisée sur les lieux). Ils ont pu indiquer à Monsieur Agius qu’ils ne pouvaient pas quitter les lieux compte tenu de leurs investissements. Est-ce donc bien Madame Nadine Guerlach que l’on cherche à protéger ou ses investissements ? Guidée par le seul objectif de protection de Madame Nadine Guerlach, Madame le Maire de Calais lui a indiqué par courrier le souhait de la Ville de voir le logement se libérer sous 6 mois, conformément à la convention mais en portant le délai à 6 mois au lieu d’un seul. De même, le courrier mentionne expressément le fait que la Ville de Calais proposera un relogement à MADAME Nadine Guerlach.

Les commentateurs et les agitateurs des réseaux sociaux, qui ont omis de mentionner cette proposition de relogement, se rendent clairement coupables de manipulation. La connaissance complète de l’historique de cette situation complexe donne à voir une réalité bien différente. Qui protège Madame Nadine Guerlach ? Madame le Maire de Calais, qui souhaite la reloger dans de meilleures conditions, ou bien ceux qui utilisent cette dame âgée pour leurs affaires ou à des fins politiques ? Aujourd’hui, Marine Le Pen a mentionné ce dossier, sans le connaître, lors de l’enregistrement du débat des têtes de listes régionales pour France 3. Natacha Bouchart dénonce fermement l’utilisation que la candidate du Front National cherche à faire de la situation dramatique de Mme Nadine Guerlach. A quelques jours du scrutin, s’il en fallait un, voici l’exemple même de ce qui distingue Natacha Bouchart et Marine Le Pen : quand Madame le Maire de Calais assume ses responsabilités et protège ses habitants, y compris contre leur entourage et en restant discrète pour préserver la vie privée des personnes, la Présidente du Front National, quant à elle, cherche à faire sa com’ à tout prix sur le dos d’une situation humaine difficile. Les électeurs doivent le savoir."
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