Alors que l'Exécutif a promis de dépenser "sans compter" pour éviter toute faillite d'entreprise dans le contexte de confinement face au Covid-19, des entrepreneurs se questionnent et des syndicats demandent encore plus d'efforts.
En moins de 48 heures, le président de la République Emmanuel Macron et le ministre de l’Économie Bruno Le Maire ont annoncé l’équivalent de 15% du PIB pour soutenir les entreprises affectées par la crise du coronavirus : 300 milliards pour garantir les prêts bancaires, 45 milliards spécifiquement pour les TPE-PME, un fonds de solidarité d’1 milliard “minimum”, un forfait mensuel de 1500€ pour les petits patrons…
Selon le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) de la Somme, Sébastien Horemans, les annonces gouvernementales sont “intéressantes mais insuffisantes”.
De plus, dans l’attente des textes officiels, certains entrepreneurs peinent à y croire et s’attendent à des lendemains difficiles.
“Le principe est clair : si rien ne rentre, rien ne sort, résume pour sa part le président de l’Union des entreprises de proximité (U2P) des Hauts-de-France, Laurent Rigaud. Les services de l’Etat disent qu’il y aura de la bienveillance et que tout sera décalé, mais la difficulté, c’est que ce n’est pas écrit.”
“On paiera à un moment ou un autre”
Alors que son bar ouvert en 2018 dans le village de Charly-sur-Marne (Aisne) est fermé - comme les autres - depuis dimanche, Tiphaine Chibout continue de voir partir “les sous” : “hier j’ai dû payer ma comptable et mon fournisseur de boissons, alors que tout le stock reste dans la cave". Sans compter la caution du PMU, le paiement de la Française des Jeux “en début de semaine”, le salaire de sa salariée à temps partiel (800 euros charges comprises) ou encore un remboursement de crédit (550 euros par mois).
La gérante sait “qu’on ne s’arrêtera pas que 15 jours” et a “du mal croire” que l’Etat pourra satisfaire tout le monde : “On gèle les loyers, mais mon propriétaire aussi a des crédits à rembourser, c’est une chaîne sans fin ; on fige les taxes et on nous autorise des prêts, mais après, quand on rouvrira, les gens n’achèteront pas plus et je n’ai pas 3 mois de trésorerie… On paiera, à un moment ou un autre.”
“On ne pourra pas satisfaire tout le monde, c’est pas possible”, tranche Tiphaine, qui se donne deux semaines pour réfléchir à des activités supplémentaires qu’elle pourrait développer une fois la crise passée, pourquoi pas de la “vente de vêtements d’occasion”, pour tenter de rattraper les pertes.
(Jusqu’à ?) 1500 euros pour les petits patrons
Comme tous les travailleurs non-salariés, Tiphaine Chibout devrait toucher 1500 euros, le “forfait” promis mardi matin par Bruno Le Maire aux petits entrepreneurs touchés par la crise (fermeture ou baisse de 70% du chiffre d’affaires). Mais “ça ne pourra pas être automatique”, croit savoir Laurent Rigaud, de l’U2P, “et l’argent sera évidemment récupérée à un moment ou un autre, par la solidarité nationale.”
Selon Carolina Ona La Micela, du cabinet NCLI Conseil, c’est Pôle emploi qui versera cette “indemnité jusqu’à 1500 euros”, mais “c’est encore un peu flou”.
Elle s’exprimait dans le cadre d’un Facebook Live organisé mardi après-midi par la CPME de la Somme, dont le président, Sébastien Horemans, estime qu’il est “dommage” que cette indemnité soit plafonnée : “les dirigeants ont des familles à nourrir, j’espère que le gouvernement sera en mesure de proposer quelque chose plus à la hauteur de nos attentes.”
“L’autre grande question, c’est : sous quels délais vont se débloquer les trésoreries ?”, poursuit Sébastien Horemans. “C’est le gros problème aujourd’hui”, confirme le cabinet de conseil, avec un effet boule de neige entre clients qui ne se payent pas les uns les autres.
Crédits, chômage partiel, charges, impôts : il n’y a qu’à demander
“La porte d’entrée, c’est le banquier”, martèle Carolina Ona La Micela à l’adresse des TPE et PME. “Envoyez-leur un mail pour étaler les prêts en cours, même à titre personnel des crédits immobilier ou voiture, la BPI et les banques proposent de travailler main dans la main” et les réponses devraient arriver “en une semaine”. “Pas mal” de prêts auraient déjà été étalés par le cabinet, avec un remboursement proposé sous 3 à 7 ans.
Pour le reste, les petites entreprises doivent se tourner rapidement vers l'État, par internet.
Les boutiques, restaurants, ou encore les entreprises de logistique, impactées par la crise, sont invitées à mettre leurs salariés en chômage partiel, en faisant la demande sous 30 jours sur le site activitepartielle.emploi.gouv.fr. Ce dernier étant parfois saturé, Alain Cauchois, gérant de l’entreprise Synchronicité, conseille de procéder “entre minuit et 2h du matin”. Les salariés au SMIC seront payés à 100%, au-delà “entre 70 et 84%”.
Même logique pour les impôts directs (sur les bénéfices, par exemple) : selon Linda Mouloudiova, juriste fiscaliste, les petites entreprises peuvent remplir un simple formulaire sur impots.gouv.fr pour demander un délai de paiement ou même une remise d’impôts (à condition de justifier qu’un délai ne suffira pas), mais “nous n’avons pas d’informations sur le délai de traitement de la demande”.
Le principe est clair. Les annonces sont fortes. Mais comme le dit Laurent Rigaud de l’U2P : “il ne faut pas croire que derrière la décision, tout se passe en un claquement de doigts… il faut que ça rentre dans les tuyaux”.