"Ça commence sérieusement à éclater", s'inquiète un délégué Force Ouvrière Pénitentiaire des Hauts-de-France, face à la situation sanitaire des personnels, celle des détenus et les tentatives de rébellion de ces derniers.
La vie en prison est une chose. Le confinement en prison en est une autre. Alors qu'il a provoqué des mutineries mortelles en Italie, il s'applique en France aussi désormais : les parloirs sont fermés, les visites suspendues, les activités de travail non-indispensables et les activités socio-culturelles également. Dans ce contexte, des syndicats et des associations craignent des débordements, mais aussi le risque épidémique dans de tels lieux clos.
"Ce que l'on craint le plus aujourd'hui, explique le secrétaire régional adjoint UFAP-UNSA Frédéric Charlet, c'est la mutinerie. On n'aimerait pas que ça parte en vrille comme en Italie."
4 incidents et des appels à la rébellion
Depuis le début du confinement pour freiner l'épidémie de Coronavirus, quatre incidents se seraient produits dans des prisons des Hauts-de-France. "À Douai, Maubeuge et Sequedin, des détenus ont bloqué les cours de promenade et refusaient de rentrer, pour protester, parce qu'ils ne peuvent pas voir leurs familles", rapporte Jérémy Jeanniot, délégué interrégional de Force Ouvrière (FO) pénitentiaire.
À Sequedin et Valenciennes, les équipes de surveillants ont réussi à tout faire rentrer dans l'ordre. Mais à Douai et Maubeuge, l'administration a dû mobiliser les Équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) pour faire réintégrer les cellules.
Mardi dans les Alpes-Maritimes, pour les mêmes raisons, deux portes sécurisées auraient été vandalisées par des détenus de la maison d'arrêt de Grasse, nécessitant l'exfiltration du personnel pénitentiaire. "C'est généralisé, ça commence à éclater, estime Jérémy Jeanniot. Ce qui nous fait peur, c’est qu’on voit beaucoup de messages sur les réseaux, je pense de détenus eux-mêmes, appelant à des mouvements collectifs. Encore un cet après-midi."
Pour éteindre le feu, le syndicaliste annonce des transferts sécuritaires (les transferts communs sont quant à eux suspendus, la justice travaille par visioconférence) : "si on a un mouvement, on essaiera d’identifier les meneurs et on les changera de sites."
De son côté, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a annoncé ce jeudi des mesures "d'accompagnement pénitentiaire" qui entreront en vigueur lundi, pour toute la durée du confinement : télévision gratuite et 40 euros de crédits téléphoniques mensuels pour tous (soit 11 heures d'appels vers des fixes ou 5 heures vers des portables) ; 40 euros supplémentaires pour l'alimentation des détenus les plus démunis parce que leurs proches ne parviendraient pas à leur transférer l'argent habituel.
Des symptômes chez des détenus et personnels
Quand bien même les mesures de confinement étaient acceptées par les détenus, surffiront-elles à éviter l'entrée et la propagation du virus dans nos prisons déjà surpeuplées ? Lundi, un homme de 74 ans incarcéré à Fresnes (Val-de-Marne) est décédé à l'hôpital. Réunis jeudi midi à la Direction Interrégionale de Lille pour une information sur les conduites spécifiques à adopter, les représentants syndicaux pénitentiaires ont exprimé leurs inquiétudes et réclamé des mesures.
"Officiellement, on nous dit qu'il n'y a aucun cas de coronavirus dans la région, que ce soit dans la population carcérale ou le personnel pénitentiaire, explique le secrétaire régional UFAP-UNSA Guillaume Pottier, mais plus personne n'est testé."
"Faire respecter les mesures barrières est quasiment impossible avec la population carcérale", estime Jérémy Jeanniot. Or le syndicaliste, citant un cas à Sequedin mardi et deux cas ce matin à Maubeuge, affirme qu'il y a déjà "énormément de suspicions chez les détenus et elles se multiplient aussi chez les personnels."
À Sequedin par exemple, 5 surveillants des parloirs ont été mis en quatorzaine suite à quelques symptômes grippaux ressentis dans le service. "On est très inquiet, parce que si demain on a une propagation dans une prison, on n'a pas les moyens de faire face", déplore Julien Martin, délégué régional FO Pénitentiaire.
Pas de gel, peu de masques
Pour protéger les personnels, Julien Martin affirme que seulement "environ 7000 masques ont été distribués mercredi dans les prisons des Hauts-de-France, et le stock est en partie périmé car il devait servir à la grippe H1N1." Jérémy Jeanniot précise que ce "petit stock" doit en plus être gardé "pour d'éventuels contacts avec des cas confirmés, mais ça génère des tensions, les collègues ne comprennent pas qu’on a des masques et qu’on ne peut pas les utiliser."
"Une grosse commande de gel hydroalcoolique a été passée, poursuit Julien Martin. Mais je pense qu'on n'en verra pas la couleur." Faute de gel ou de lingettes, le lavage des mains se fait à l'eau et au savon pour les détenus. Mais là encore, il n'y a pas suffisamment de stocks pour tenir. "Cette crise nous fait vraiment toucher du doigt les conditions sanitaires déplorables dans lesquelles on travaille", conclue Julien Martin. Illustration pour les personnels de la maison d'arrêt d'Amiens : ici, les deux tiers des postes de travail des surveillants ne sont pas équipés de lavabos, alors "pour aller se laver les mains, il faut changer de bâtiment, donc quitter son poste."
Face à la crise, l'organisation du travail est en cours d'adaptation. "Les personnels vulnérables, qui ont d'autres pathologies, seront mis à l'écart, espère Jérémy Jeanniot. Mais ça va être difficile, hier 80% du personnel était présent."
À la maison d'arrêt d'Arras, établissement qui enregistre le plus d'absentéisme depuis le début des événements, la direction souhaitait mettre en place des équipes de surveillants en confinement de trois jours... dans la prison ! "Ça a démarré ce matin, on a fait venir des agents qui étaient censés rester trois jours, mais pour nous c'est hors de question, ça ne sert à rien, il y a d'autres organisations de travail à trouver. Finalement ça ne se fera pas », se réjouit Frédéric Charlet, de l'UFAP-UNSA.
Moins d'incarcérations, plus de libérations ?
Malgré le confinement, les détenus français ont encore droit au sport en extérieur et aux promenades. Mais l'espace est restreint. "Pas plus tard qu'hier, on pouvait encore avoir 100 personnes dans une cour", regrette Jérémy Jeanniot, qui se réjouit d'avoir "obtenu aujourd'hui des consignes de limitation du nombre de détenus sur les terrains et dans les cours".
"100 détenus dans une cour, quand on connaît la taille de la cour de Sequedin par exemple, c'est ingérable, abonde Guillaume Pottier, secrétaire régional UFAP-UNSA. La promenade, on ne peut pas la leur retirer, ça serait invivable pour eux, mais on aimerait qu'ils soient moins, quitte à faire plus de promenades. Ce qu'il faut, c'est éviter la surchauffe."
Pour limiter encore les risques, l'idéal sanitaire serait de dépeupler les prisons. Précisément, la ministre de la Justice a appelé les juridictions à "différer la mise à exécution des courtes peines d'emprisonnement". Nicole Belloubet se réjouit d'ailleurs qu'au niveau national, "ces derniers jours", seule "une trentaine" d'individus sont incarcérés quotidiennement, "contre plus de 200 habituellement".
Nous allons prendre des mesures pour limiter les courtes peines. Mais je peux vous assurer que les détenus dangereux ne seront pas concernés.#Covid19 @Senat https://t.co/lnCPsDI7g2
— Nicole Belloubet (@NBelloubet) March 19, 2020
"On aimerait que la justice accélère les mises en semi liberté, permette plus de libérations conditionnelles et de remises de peines", déclare Frédéric Charlet. Et l'idée d'un décret d'une grâce présidentielle ? "On nous a dit que c'était juste une rumeur."
Jérôme Crépin, avocat au barreau d'Amiens, a obtenu hier la libération d'un client. Il assure n'avoir que peu évoqué le contexte sanitaire, mais estime que ce dernier a compté "à un quart" dans la décision des juges. "Ça ne peut évidemment jouer que pour des individus qui ne présentent pas de danger pour la société, d'ailleurs juste avant moi, un autre détenu n'a pas été libéré", précise l'avocat.