En raison de l'épidémie de Covid-19, les professionnels du lait lancent un appel à la réduction de la production au mois d'avril, traditionnelle période de pic d'activité. Une mesure diversement accueillie par les acteurs de la filière.
Avec les mesures de confinement et depuis la fermeture des marchés, des restaurants ou encore des cantines, les outils de production sont saturés : les débouchés sont restreints alors que les vaches continuent à donner du lait.
"À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle"
Face à cette crise sanitaire inédite, les professionnels du lait appellent les éleveurs, sur la base du volontariat, à réduire leur production du mois de 2 à 5% par rapport au volume d'avril 2019.
En compensation, un fonds de 10 millions d'euros, alimenté par le Cniel (organisme qui représente l'ensemble de la filière laitière), permettra d'indemniser ceux qui joueront le jeu à hauteur d'un prix moyen de 320 euros les 1000 litres de lait.
"C'est vraiment une mesure exceptionnelle. La filière se prend en main. Mais il faut que chacun fasse ensuite des efforts à son niveau" a déclaré à l'AFP, Thierry Roquefeuil, président du Cniel.
Une proposition que refuse Didier Halleux, président du syndicat départemental des producteurs de lait (SDPL). "Ce sont les laiteries qui ont demandé à réduire les volumes. En fait, elles voulaient baisser le prix pour faire diminuer les volumes et nous, au niveau du SNPN, on dit non. Si vous diminuez les volumes, nous, nous allons être obligés de produire plus pour garder le chiffre d'affaire, donc ce n'est pas bon signe. Autant avoir une aide réelle à la diminution des volumes".
À chaque secteur, sa spécificité
Dominique Dengreville, responsable d'élevage à la chambre d'agriculture de la Somme, préfère lui, discuter avec sa laiterie plutôt que de "fermer les robinets s'ils en ont besoin". Pour lui, rien n'a changé. Avec ses 150 vaches, il produit 5000 litres par jour qu'il vend directement à la coopérative.
"Avec la crise sanitaire, les consommateurs ont changé leurs habitudes alimentaires. Moi, je livre à la coopérative d'Abbeville qui met le lait en bouteilles, donc sur ces aspects-là, les gens cuisinant plus chez eux, ils n'ont pas de baisse de consommation. La coopérative vend même peut-être plus".
"Le problème de la surproduction printanière est global"
À Abbeville, les 2/3 du lait partent en bouteille. Le reste est destiné à la fabrication de la poudre de lait. Selon Olivier Vermes, le président de la coopérative Lact'Union, c'est ce reste-là qui vient augmenter le stock global français.
"Certaines entreprises n'ont plus de demandes ou presque, notamment tout ce qui est fromage traditionnel. Comme elles ne peuvent pas transformer en fromage faute de demandes, aujourd'hui, ça augmente le volume de lait qui doit être stocké d'une façon ou d'une autre. Nous avons nos excédents mais par solidarité, évidemment nous préconisons à nos producteurs (...) une réduction de la production d'avril. Il est important qu'aujourd'hui, les producteurs aient en tête que tout cet excédent printanier va peser lourdement sur le prix du lait".
Par ailleurs, Olivier Vermes précise qu'il ne s'agit pas de jeter son lait. La réduction de production peut aussi se faire par la réforme anticipée de certains animaux, un tarissement anticipé ou encore une diminution de l'apport de concentré.
La vente directe impactée
Installé à Rue, dans la Somme, Julien Dailly possède 35 vaches. Sur son exploitation, il transforme son lait lui-même et vend ses produits sur les marchés de la côte picarde. La vente directe représente 90 000 euros de chiffre d'affaire, dont la moitié se fait de mars à juin.
Or depuis le début du mois de mars, l'éleveur a déjà dû s'adapter à la situation. Il ne transforme plus que 10 à 20% de ce qu'il produit habituellement.
En attendant, Julien Dailly garde la tête hors de l'eau en vendant son lait à la coopérative, qui lui collecte 1000 litres environ tous les trois jours.
"Depuis le début du mois de mars, on a décidé de mettre le lait en laiterie au lieu de le transformer. Or le litrage collecté augmente et on a reçu ce message il y a 15 jours, disant qu'ils risquent de ne plus collecter pour pouvoir lisser les volumes. S'ils ne nous collectent plus et qu'on ne peut plus le transformer, on ne sait pas ce qu'on va faire".
"Les fromages, c'est une catastrophe"
De la production à la fabrication, tous les acteurs de la filière laitière sont impactés. Dans l'Aisne, le lait n'entre déjà plus chez Claude Leduc. Le producteur de maroilles a arrêté la fabrication de ses fromages dès le 17 mars, faute de clients.
Tout le personnel de l'atelier est en chômage technique. Les équipes de la partie affinage ont été réduites de moitié.
"J'ai 80 000 maroilles en stock. Je vais en faire partir chez un déstockeur sur Paris aux alentours d'1€50 alors que ça vaut 7 à 8 € la pièce. Je suis obligé de déstocker sinon c'est perdu, c'est l'équarrissage".
Si la mesure de réduction de production demandée par la filière laitière est validée par l'Union européenne, elle permettra de diminuer de près de 30 millions de litres la production du mois d'avril afin d'atténuer le pic de collecte saisonnier.